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RÉFLEXIONS

SUR LES HOMMES.

EN général il peut y avoir un degré d'ignorance meurtriere parmi les hommes en fait de morale.

II y a un degré de connoiffance qui leur nuit peut-être encore davantage.

It y a une médiocrité de connoiffance dont ils se trouveroient mieux, & qui est le point où il faudroit qu'ils fussent.

Dans ce degré médiocre, ils en fçauroient affez pour fçavoir se rendre fuffifamment heureux; mais ils n'en fçauroient pas affez pour fçavoir échapper aux reproches d'être méchants.

Plus les hommes, par la finesse de leur efprit, connoiffent d'iniquités de cœur, & plus ils commettent de crimes.

En vain cette même fineffe leur apprend-elle de nouvelles vertus, ils s'en tiennent à les fçaTome XII.

E

voir, & ne les exercent pas; mais pour des crimes, malheur à toute fociété d'hommes dans laquelle il y a affez d'efprit & d'expérience pour fçavoir en combien de façons fines, fecrettes & impunies, on peut manquer d'honneur, de juftice & de vertu.

Il faudroit donc, pour le bonheur des hommes, qu'ils ne fuffent ni trop ignorants ni trop

avancés.

Trop d'ignorance leur donne des mœurs barbares; le trop d'expérience leur en donne d'habilement fcélérates.

La médiocrité de connoiffances leur en donneroit de plus douces.

Une des plus fortes raifons des conquêtes & de la fupériorité des Romains fur toutes les Nations, c'étoit la fierté qu'un Romain recevoit avec fon éducation.

C'étoit cette opinion fuperbe qu'il avoit de la 'dignité de fon nom; c'étoit l'opinion que les autres peuples en avoient eux-mêmes.

Ce nom de Romain affujettiffoit leur imagination, c'étoit un titre fous lequel elle plioit: la haíne même qu'on avoit pour les Romains, tiroit fon origine de l'épouvante & du refpect qu'ils infpiroient.

Aujourd'hui cette haute opinion qu'un peuple auroit de lui-même, celle que les autres peuples en auroient, ne feroient plus tant de fracas.

Les hommes ne font plus fufceptibles de cet abattement, ni de ce tour d'imagination en faveur d'une autre Nation. On s'est trop éprouvé de part & d'autre, & l'orgueil d'une Nation n'en impoferoit pas jnsques-là.

Mais cet orgueil, malgré le médiocre effet qu'il produiroit aujourd'hui, en produiroit encore un affez grand, pour rendre une Nation extrêmement respectable, pour faire chez elle d'excellents foldats, qu'on regarderoit comme excellents ailleurs.

Enfin, ce feroit en tout temps un furieux avantage pour un peuple, que cette idée altiere qu'il auroit de lui-même: c'eft une espece d'arme qui ajouteroit à fa force, & qui feroit une partie de la foibleffe des autres.

11 eft, pour ainfi dire, heureux de battre les efprits, avant que de battre les corps.

Combien y a-t-il de Sylla, de Craffus, de Marius, de Céfar même, étouffés fous un Gou vernement monarchique ?

Eh! tant mieux: ces gens-là ne font bons que dans l'histoire, où pourtant nous aurions intérêt

de ne les pas mettre; mais où nous avons la cruauté, je dirois volontiers la duperie, de nous amufer des fpectacles fanglants qu'ils ont donnés; & fi jamais les hommes deviennent fages, leur hiftoire n'amufera guères.

Toutes les fois qu'un grand-homme, un grand politique, a besoin d'un crime pour réuffir dans fon entreprise, dreffez-lui des ftatues, s'il ne le commet pas.

Voilà l'homme digne d'exciter le fentiment de notre excellence à le proclamer grand.

Mais quand nous admirons des hommes qui auroient mérité d'expier dans des fupplices les moyens dont ils se font fervis pour arriver au fuccès des hommes qui ont prostitué leur âme au befoin qu'ils avoient d'un crime, qui n'ont pas eu la force de fe refufer aux expédients de ces fcélérats qu'on extermine, notre admiration ici n'est plus qu'une démence.

&

Les difcours d'enthoufiafte & d'infpiré, que Cromwel tenoit fouvent dans l'armée qui auroient dû le ruiner de crédit, lui qui "n'étoit encore qu'Officier Général; la réuffite de ces mêmes difcours; la continuation de fa faveur auprès de tant de bons efprits, fes camarades tout cela marque que; dans de

longs démêlés, & qu'à force de partis, de raifonnements & de cabales dans une grande affaire; tout cela marque, dis-je, qu'il fe fait une telle fermentation dans les meilleurs efprits, qu'ils s'écartent tant de la raifon & du bon-fens, qu'ils s'en éloignent par un écart fi infenfible, quoique journalier, qu'on peut, affurer que la tête des hommes en cet état, n'eft plus la tête qu'ils avoient avant leurs débats; qu'elle eft totalement altérée, & à leur infçu: ce ne font plus les mêmes hommes; & ceux qui gardent tout leur efprit, qui restent comme ils étoient auparavant, & avec le même flegme, font des hommes, vraiment fu→ périeurs aux autres, mais peut-être par-là même. bien plus hors de fervice alors, que ces vigoureufes imaginations, comme étoit celle de Cromwel, de qui les esprits, dans l'état où ils étoient, relevoient bien plus qu'ils n'euffent relevé d'une raison fagement fublime, mais trop peu ardente pour eux.

A l'égard de Cromwel, on dira qu'il jouoit fes infpirations; foit: mais il falloit une furieufe ardeur d'imagination, pour espérer quelque fuccès de ces ridicules inspirations, & pour être délivré de la pudeur qui les lui auroit défendues: il ne fe croyoit pas infpiré, il n'avoit pas cette folie

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