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marche en est trop didactique. Le fond de l'ouvrage n'est qu'un lieu commun, chargé de déclamations, et même d'idées fausses. On la fait apprendre aux jeunes gens dans presque toutes les maisons d'éducation; elle est très-propre à leur former l'oreille à l'harmonie : il y en a beaucoup dans cette ode; mais on ne ferait pas mal de prémunir leur jugement contre ce qu'il y a de mal pensé, et même d'avertir leur goût sur ce que la versification a de défectueux.

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Fortune, dont la main couronne
Les forfaits les plus inouis,
Du faux éclat qui t'environne
Serons-nous toujours éblouis?
Jusques à quand, trompeuse idole,
D'un culte honteux et frivole
Honorerons-nous tes autels?
Verra-t-on toujours tes caprices
Consacrés par les sacrifices
Et par l'hommage des mortels?

Le peuple, dans ton moindre ouvrage,
Adorant la prospérité,

Te nomme grandeur de courage,
Valeur, prudence, fermeté.
Du titre de vertu suprême
Il dépouille la vertu même
Pour le vice que tu chéris,
Et toujours ses fausses maximes
Erigent en héros sublimes
Tes plus coupables favoris.

Mais de quelque superbe titre
Dont ces héros soient revêtus,
Prenons la raison pour arbitre,
Et cherchons en eux leurs vertus.
Je n'y trouve qu'extravagance,
Faiblesse, injustice, arrogance,
Trahisons, fureurs, cruautés:
Etrange vertu, qui se forme
Souvent de l'assemblage énorme
Des vices les plus détestés!

D'abord, ces trois strophes ne sont-elles pas trop méthodiquement rat sonnées; et Rousseau, qui reprochait à Lamothe ses odes par articles, ne l'a-t-il pas un peu imité en cet endroit? De quelque superbe titre qu'ils soient revêtus, prenons la raison pour arbitre, et cherchons, etc., ne sont-ce pas là toutes les formules de la discussion en prose? Une ode, quelle qu'elle soit, doit-elle procéder comme un traité de morale? Otez les rimes, qu'y a-t-il d'ailleurs qui ressemble à la poésie? Un défaut plus grand, c'est que ces trois strophes redisent trop prolixement la même chose: ce sont des pensées communes délayées en vers faibles. Enfin, si l'on examine de près le style, on y trouvera des fautes d'autant moins pardonnables, que les vers doivent être plus sévèrement soignés dans une pièce de peu d'étendue, et dans un genre où l'on ne saurait être trop poëte. Qu'est-ce qu'un culte frivole? Cela ne peut vouloir dire qu'un culte sans conséquence; car ce qui est frivole est l'opposé de ce qui est sérieux, important, réfléchi; et le culte qu'on rend à la Fortune n'est-il pas malheureusement trop réel? n'est-il pas très-suivi, très-médité? n'a-t-il pas les suites les plus sérieuses? Il n'est donc rien moins que frivole. Jusques è quand honorerons-nous est une suite de sons désagréables. Du titre de

vertu suprême: suprême est là pour la rime et contre le sens. Comment dépouille-t-on la vertu du titre de vertu suprème? Il faudrait pour cela que la vertu fût nécessairement la vertu suprême, et cela n'est pas : il y a des degrés dans la vertu comme dans le vice. Extravagance, faiblesse, injustice, arrogance, trahisons, fureurs, cruautés : trois vers qui ne sont qu'un assemblage de substantifs ne sont pas d'une élégance lyrique. Etrange verta qui se forme souvent souvent est rejeté d'un vers à l'autre contre les règles de la construction poétique : de plus, il forme une espèce de contradiction. Peut-on dire qu'une vertu où l'on ne trouve que trahisons, fureurs, etc., est souvent un assemblage de vices? Elle l'est toujours, et nécessairement. Apprends que la seule sagesse

Peut faire des héros parfaits.

La sagesse ne fait point des héros, et qu'est-ce qu'un héros parfait ? Toutes ces idées-là manquent de justesse. Les trois strophes suivantes sont fort belles, si l'on excepte le rapprochement d'Alexandre et d'Attila, qu'il ne fallait pas mettre sur la même ligne.

Quoi! Rome et l'Italie en cendre
Me feront honorer Sylla ?
J'admirerai dans Alexandre
Ce que j'abhorre en Attila?
J'appellerai vertu guerrière
Une vaillance meurtrière

Qui dans mon sang trempe ses mains?
Et je pourrai forcer ma bouche
A louer un héros farouche

Né pour le malheur des humains?

Quels traits me présentent vos fastes,
Impitoyables conquérans ?

Des vœux outrés, des projets vastes,
Des rois vaincus par des tyrans;
Des murs que la flamme ravage;
Des vainqueurs fumant de carnage,
Un peuple au fer abandonné ;
Des mères pâles et sanglantes,
Arrachant leurs filles tremblantes
Des bras d'un soldat effréné.

Juges insensés que nous sommes
Nous admirons de tels exploits.
Est-ce donc le malheur des hommes
Qui fait la vertu des grands rois ?
Leur gloire, féconde en ruines,
Sans le meurtre et sans les rapines,
Ne saurait-elle subsister?
Images des dieux sur la terre,
Est-ce par des coups de tonnerre
Que leur grandeur doit éclater?

Voilà du feu, du mouvement, des images : nous avons retrouvé l'ode: Je ne prétends pas que tout doive être de la même force; mais rien ne doit s'écarter du genre ni tomber trop au-dessous. Ici du moins la poésie est sans reproche; mais la raison peut-elle approuver que l'on ne mette aucune différence entre Alexandre et Attila? Est-il possible, quand on a lu l'histoire avec quelque attention, de les regarder du même oil? Le poëte, quand il veut être moraliste, n'est-il pas obligé d'être juste et raisonnable? Certes, l'ambition d'Alexandre n'est pas un modèle de sagesse; mais on a déjà observé que jamais conquérant n'eut des motifs plus légitimes, et

n'usa de sa fortune avec plus de grandeur. J'abhorre dans Attila un dévastateur qui ne conquérait que pour détruire, qui depuis les Palus-Méo, tides jusqu'aux Alpes marcha sur des ruines, dans des torrens de sang et à la lueur des villes incendiées; un aventurier insolent qui traînait des rois à sa suite, pour en faire les jouets de sa férocité brutale. Un homme qui se fait gloire du titre de fléau de Dieu doit être l'horreur du monde. Mais j'admire dans le jeune Alexandre un guerrier qui, chargé à vingt ans de la juste vengeance des Grecs, si souvent en proie aux invasions des Perses, traverse en triomphateur l'empire du grand roi, depuis l'Hellespont jusqu'à l'Indus; renverse tout ce qui veut l'arrêter, et pardonne à tout ce qui se soumet; ne doit ses victoires qu'à une fermeté d'âme qui résiste à l'ivresse du succès, comme elle fait tête aux dangers; entretient la discipline dans une armée riche des dépouilles du monde ; respecte, dans l'âge des passions, les plus belles femmes de l'Asie, ses captives, et se fait chérir de la famille du monarque vaincu, au point de leur coûter des larmes à sa mort. J'admire un vainqueur qui joint les vues de la politique à la rapidité des conquêtes, fonde de tous côtés des villes florissantes, établit partout des communications et des barrières, aperçoit vers les bouches du Nil la place que la nature avait marquée pour être le centre du commerce des trois parties du monde; ouvre dans Alexandrie une source de richesses dont tant de siècles n'ont pu tarir le cours, et qu'aujourd'hui même la barbarie ottomane n'a pu fermer entièrement. Aussi le nom d'Alexandre, que tant de monumens ont consacré, est-il en vénération dans toute l'Asie; et qu'est-il resté d'Attila, qui n'est connu que dans notre Europe? Rien que le nom d'un brigand fameux.

Je suis fâché qu'Alexandre, qui fut tel que je viens de le peindre, du moins jusqu'au moment où l'orgueil de la prospérité l'égara, ait été si mal avec nos poëtes, que Boileau l'ait voulu mettre aux Petites-Maisons, et que Rousseau le confonde avec Attila.

Rousseau, pour rabaisser Alexandre, a recours à une supposition qui ne signifie rien:

Vous, chez qui la guerrière audace
Tient lieu de toutes les vertus,
Concevez Socrate à la place
Du fier meurtrier de Clitus:
Vous verrez un roi respectable,
Humain, généreux, équitable,
Un roi digne de vos autels;
Mais à la place de Socrate,

Le fameux vainqueur de l'Euphrate
Sera le dernier des mortels.

Mais d'abord, faut-il mettre un homme hors de sa place pour le bien juger? Fallait il que Turenne et Condé, pour être grands, se trouvassent à la place du chancelier de L'Hôpital ou du philosophe Charron? Est il bien vrai d'ailleurs qu'Alexandre, à la place de Socrate, eût été le dernier des mortels? Rien n'a tant illustré Socrate que sa mort. Est-il bien sûr qu'Alexandre n'eût pas su mourir comme lui? Socrate prêchait la morale: Alexandre n'en a-t-il pas quelquefois donné les plus beaux exem. ples? Il est même très-difficile de deviner le sens de l'hypothèse de Rousseau. Concevez Alexandre à la place de Socrate mais comment? Est-ce Alexandre avec son caractère, transporté dans telle ou telle circonstance de la vie de Socrate ? Est-ce Alexandre chargé de la destinée entière de Socrate, et obligé de n'être que philosophe? Eh bien! Alexandre, conservant son caractère, aurait voulu être le premier des philoso

phes, comme il a voulu être le premier des rois. Pourquoi aurait-il été le dernier des mortels?

Mais je veux que dans les alarmes

Réside le solide honneur :

Quel vainqueur ne doit qu'à ses armes
Ses triomphes et son bonheur ?
Tel qu'on nous vante dans l'histoire,
Doit peut-être toute sa gloire
A la honte de son rival.
L'inexpérience indocile

Du compagnon de Paul Émile
Fit tout le succès d'Annibal.

Que veut dire le solide honneur qui réside dans les alarmes ? Ce n'est pas là exprimer sa pensée. Celle de Rousseau était sûrement : « Je veux » que l'honneur consiste à braver les dangers, à triompher dans un champ » de bataille » ; mais il ne l'a pas rendue. Il n'est pas ici plus juste pour Annibal que pour Alexandre: il n'est pas vrai qu'Annibal doive toute sa gloire à la honte de Varron. Il profita de ses fautes, et c'est une partie du talent militaire; mais Fabius, qui n'en commit point, n'eut aucun avantage sur lui, et il battit Marcellus, qui en savait plus que Varron. Seize ans de séjour dans un pays ennemi, où il tirait presque toutes ses ressources de lui-même, et le seul projet de sa marche vers l'Italie, depuis Sagonte jusqu'à Rome, à travers les Pyrénées, les Alpes et l'Apennin, cette seule idée, exécutée avec tant de succès, est d'une grande tête, et prouve un autre talent que celui de battre de mauvais généraux. Annibal est apprécié depuis long-temps, par les juges de l'art, autrement que par Rousseau.

Héros cruels et sanguinaires,
Cessez de vous énorgueillir
De ces lauriers imaginaires
Que Bellone vous fit cueillir.

Il me semble qu'ici l'expression ne rend pas l'idée du poëte : les lauriers de la victoire ne sont point imaginaires: il peut y avoir, et il y a en effet une autre gloire bien préférable : la gloire de Cicéron sauvant sa patrie valait mieux aux yeux de la raison que tous les lauriers de César; mais la raison elle-même ne les trouve pas imaginaires. Ce qui suit vaut beaucoup

mieux.

En vain le destructeur rapide
De Marc-Antoine et de Lépide
Remplissait l'univers d'horreurs :
Il n'eût point eu le nom d'Auguste
Sans cet empire heureux et juste
Qui fit oublier ses fureurs.

Montrez-nous, guerriers magnanimes,
Votre vertu dans tout son jour.
Voyons comment vos cœurs sublimes ⚫
Du sort soutiendront le retour.
Tant que sa faveur nous seconde,
Vous êtes les maîtres du monde,

Votre gloire nous éblouit :
Mais au moindre revers funeste

Le masque tombe, l'homme reste,
Et le héros s'évanouit.

Il n'y a ici qu'à louer ; et je n'insisterai point sur le mot funeste

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