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Server les causes qui contribuèrent à donner cette nouvelle vie à Péloquence, oubliée depuis si long-temps. Un nouvel ordre d'idées et de sentimens à développer, une foule d'obstacles à combattre et d'adversaires à confondre, la nécessité de vaincre par la persuasion et l'exemple, qui étaient les deux seules forces de la religion naissante: voilà ce qui dut animer le génie des fondateurs et des défenseurs du christianisme, Le paganisme, long-temps persécuteur, était encore redoutable, même depuis que Constantin eut fait régner l'Evangile. Les zélateurs de l'ancienne religion avaient pour eux, selon les temps et les circonstances, des intérêts de parti, et, dans tous les temps, l'intérêt de toutes les passions divinisées par le polythéisme. Mais il faut avouer que ce n'étaient, sous aucun rapport, des hommes à comparer aux prédicateurs de la foi chrétienne. Il s'en fallait de beaucoup que Celse, Porphyre, Symmaque, pussent balancer la dialectique d'un Tertullien, la science d'un Origène, ni les talens d'un Augustin et d'un Chrysostôme. Ce dernier, dont le nom seul rappelle la haute idée que ses contemporains avaient de son éloquence, peut être opposé à ce que l'antiquité avait eu de plus grand. Ce n'est pas que dans ses écrits, comme dans ceux de saint Augustin, de saint Basile, de saint Grégoire, la critique n'ait pu remarquer les défauts que n'ont pas eus les classiques grecs et romains: on s'aperçoit que les orateurs chrétiens n'ont pu échapper entièrement au goût général de leur temps, qui s'était fort corrompu. On y désirerait souvent plus de sévérité dans le style, plus d'attention aux convenances du genre, plus de méthode, plus de mesure dans les détails. On leur a reproché de la diffusion, des digressions trop fréquentes, et l'abus de l'érudition, qui, dans l'éloquence, doit être sobrement employée, de peur qu'en voulant trop instruire l'auditeur, on ne vienne à le refroidir. Mais aussi quel connaisseur impartial n'y admirera pas un mélange heureux d'élévation et de douceur, de force et d'onction, de beaux mouvemens et de grandes idées, et en général cette élocution facile et naturelle, l'un des caractères distinctifs des siècles qui ont fait époque dans l'histoire des lettres ?

Celle où je m'arrête en ce moment présente une obsevation qu'il ne faut pas omettre : c'est la supériorité des Grecs sur les Latins. Ceux-ci nous offrent principalement, comme écrivains et orateurs, dans ces premiers âges du christianisme, Tertullien, saint Ambroise, saint Cyprien et saint Augustin. Personne ne conteste au premier la vigueur des pensées et du raisonnement; mais personne aussi n'excuse la dureté africaine de son style, même dans ses deux ouvrages les deux plus célèbres, l'Apologie et les Proscriptions, dont les beautés frappantes sont mêlées d'affectation, d'obscurité et d'enflure. Saint Cyprien, qui l'avait pris pour modèle, en a conservé le caractère, mais également affaibli dans les beautés et dans les défauts. Saint Ambroise a beaucoup plus de dou

ceur et de pureté; mais il s'élève peu, et n'a pas, comme eux, cette foule de traits qui préparait pour la chaire tant de citations heureuses et brillantes. Saint Augustin est certainement le plus beau génie de l'Eglise latine. Il est impossible d'avoir plus d'esprit et d'imagination; mais on convient qu'il abuse de tous les deux. Son style nous rappelle Sénèque, comme celui de Grégoire, de Basile, de Chrysostôme, rappelle Cicéron et Démosthène; et c'est dire assez que les Pères grecs ont la palme de l'éloquence. A l'égard du paganisme, on trouve, vers le temps dont je parle, Libanius et Thémiste, distingués parmi les philosophes rhéteurs, mais qui avaient plus de littérature que de talent. Le plus glorieux titre du premier, c'est d'avoir eu deux disciples dont le nom éclipsa bientôt le sien, et ce sont ce même Grégoire et ce même Basile qui reçurent de leurs contemporains le nom de grand, et qui fu— rent admirés des païens mêmes. L'autre illustra sa plume et son caractère en se faisant, auprès de l'empereur arien, Valens, le défenseur des catholiques persécutés ; et ce fut un païen qui eut la gloire de donner cette leçon de tolérance et cet exemple de courage qui furent couronnés par le succès.

Après cet éclat passager que la religion seule rendit aux lettres, les irruptions des Barbares, depuis le cinquième siècle jusqu'au dixième, étendent et épaississent de plus en plus dans notre Occident les ténèbres de l'ignorance et du mauvais goût; et si dans ce long intervalle on aperçoit quelques hommes supérieurs aux autres par les dons de l'esprit, un Photius qui fit du sien un usage si funeste, un Abélard, fameux dans les écoles, et qui paya par ses malheurs sa réputation et ses fautes, surtout un saint Bernard, qui fut l'oracle de son temps, et dont les écrits sont encore cités dans le nôtre, aucun d'eux ne put relever les lettres dégradées et les arts corrompus. Constantinople en était encore le centre, même dans son abaissement; mais la scolastique et ses controverses, nées de cet esprit sophistique qui dans tous les temps fit plus ou moins partie du caractère des Grecs, avait acquis, en se joignant à la religion qu'elle corrompait, une importance mal entendue, qui décourageait les autres études chez tous les peuples qui avaient assis des trônes sur les débris de l'empire romain. Théodoric, qui fit pour les lettres, en Italie, beaucoup plus qu'on ne pouvait attendre d'un roi goth, ne parvint pas à les relever. Charlemagne, comme lui, conquérant politique et législateur, mais fort supérieur à lui, et sans contredit le plus grand homme qui ait paru dans ce long intervalle qui a séparé la chute des deux empires, Charlemagne fit entrer les sciences et les arts dans le vaste plan de gouvernement dont il voulait faire la base d'une puissance qui ne put survivre à son génie. Il fonda l'Université de Paris; mais ce ne fut que long-temps après lui qu'elle acquit une splendeur digne de son origine, et devint pour toutes les nations de l'Europe un modèle et un objet d'émulation.... Ici je m'arrête

involontairement, les yeux fixés sur le passé, sur le présent et sur l'avenir. Quand je prononçai pour la première fois ce même discours, il y a quelques années, elle existait encore cette savante et respectable école, la plus ancienne du monde, la mère des sciences et des lettres : elle n'est plus. Vingt autres universités, dignes filles de cette illustre mère, honoraient et instruisaient la France: elles ne sont plus! et depuis long-temps, toutes les fois que se rencontre sous ma plume quelqu'une de ces innombrables ruines dont nous sommes environnés, et que je considère d'un côté ce qu'on a détruit, et de l'autre ce qui en a pris la place, je me prosterne en idée, et je paye à ces tristes et vénérables souvenirs le tribut que leur doit tout ce qui n'a pas renoncé à la raison humaine, tout ce qui a conservé des sentimens d'homme; car qu'y a-t-il aujourd'hui parmi nous de saint et de vénérable, si ce n'est des ruines, à commencer par les autels qui sont des ruines, par les temples où l'on adore Dieu sur des ruines, par les tombeaux où l'on pleure les morts sur des ruines, par les asiles de la vertu, de l'instruction, de l'humanité, où l'on ne marche que sur des ruines? Et je me dis en gémissant : Ici une race nouvelle et étrangère parmi les hommes, la race révolutionnaire a passé; et que peut-il rester après son passage, si ce n'est le chaos renouvelé, et le génie du mal planant encore au-dessus du chaos, et s'applaudissant d'avoir tout détruit, comme autrefois le Créateur s'applaudissait d'avoir tout fait?

Hommes célèbres, et si dignement célèbres, puisque vous l'êtes surtout pour avoir été utiles, vous qui fûtes de siècle en siècle les instituteurs de la génération naissante, les maîtres et les modèles à la fois de la saine littérature, de la pure morale et de la vraie religion qui en est la sanction et le soutien ; ombres des Gersons, des Dumoulins, des Duval, des Rollin, des Hersan, des Gibert, des Coffin, des Grenan, des Lebeau, et de tant d'autres qui ont attaché leurs noms à des monumens à jamais précieux pour les amis des lettres et des mœurs, vous ne rejetterez pas l'hommage que je vous adresse au milieu d'eux. Si j'ose vous le rendre aujourd'hui, c'est que toujours je vous l'ai rendu ; c'est que mon langage a toujours été le même à votre égard; c'est qu'au moment où tous les corps littéraires, tous les établissemens d'instruction publique étaient déjà hautement menacés par la démence destructive, j'en pris hautement la défense, j'en rappelai les avantages et la gloire, et, avec autant de reconnaissance que de respect, je proposai seulement dans le plan des études quelques légers changemens, quel-' ques améliorations qu'indiquait l'expérience, que déjà même quelques maîtres adoptaient, et dont l'utilité était généralement reconnue. Mais il n'appartenait pas à l'ignorance barbare, érigée pour la première fois en législatrice, de sentir tout ce qu'il y avait d'utile et de respectable, tout ce qu'il y avait de vraiment politique dans ces grandes institutions consacrées par les siècles, qui

sont l'ornement des empires, et font partie de la dignité qu'un grand peuple doit toujours avoir chez les autres peuples; dans l'étendue, dans la stabilité, dans la réunion, dans la considération publique de ces sociétés d'enseignement, dont le nom seul imposait par avance à la légèreté naturelle d'une jeunesse nombreuse, et lui imprimait ce respect sans lequel il ne peut y avoir ni docilité, ni décence, ni progrès; dans ces décorations attachées au mérite d'une profession honorable et laborieuse, et qui, n'attestant que la gloire des lettres et des arts, ne produisaient que l’é– mulation, sans orgueil et sans danger; dans cette noble indépendance des instituteurs, toujours choisis et jugés par leurs pairs, et non pas par une multitude ignorante, ou par des administrations étrangères à la science; dans la nature même des émolumens de leur travail, toujours assurés sur des fonds publics, et dont la répartition fut toujours invariable, et n'eut jamais rien de précaire ni d'humiliant; dans la perspective encourageante d'une existence toujours la même et toujours distinguée, d'une vieillesse toujours aisée, paisible et honorée, trop juste récompense d'un long dévouement; dans la discipline des maisons d'enseignement, qui commandait la régularité des mœurs, attribut indispensable de la profession d'instituteur; dans le goût du travail, résultat naturel de cette discipline et de l'esprit général de ces maisons de doctrines, et qui dédiait sans cesse de nouvelles productions aux lettres, aux sciences, à la morale, à la religion; enfin, dans ces solennités annuelles dont la pompe innocente, enflammant l'imagination de la jeunesse, lui arrachait des efforts qui décelaient de bonne heure le secret de ses forces, et furent souvent les prémices du talent et du génie.

Ombres illustres que j'aime à évoquer ici (car où pourrais-e les évoquer ailleurs?), voilà donc ce qu'ont anéanti les barbares du dix-huitième siècle, qui se sont nommés philosophes! Autrefois vous aimiez à tourner encore vos regards sur ces écoles antiques où respirait votre génie, où vos noms étaient vénérés, où vos leçons étaient répétées. Aujourd'hui vous les détournez avec horreur, et peut-être avec pitié; et qu'y verriez-vous? des cachots, des solitudes, des dévastations. Ce n'est pas seulement la basse envie, l'envie aveugle et forcenée qui a voulu frapper tout ce qui T'humiliait: l'insatiable rapacité a cherché des dépouilles, même où il n'y avait guère de richesses qui fussent à son usage. Tout a été pillé, saccagé, enlevé, et des bandits qui ne savaient pas lire ont envahi les dépôts et les monumens de la science, ont mis à l'encan tout ce qu'ils avaient pris sans le connaître, l'ont vendu au nom de la Nation! comme si elle eût jamais avoué cette prostitution infâme; comme s'il pouvait y avoir en Europe une nation qui fit sa propriété du brigandage, qui consentît à se nourrir de sang et de dépouilles, et à laisser mourir de faim ceux qu'elle n'aurait pas égorgés en les dépouillant. Brigands, qui avez spolié,

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mis dans les fers, torturé, traîné à l'échafaud les successeurs des Rollin et des Fénélon, gardez pour vous le salaire des crimes qui ne sont qu'à vous, et cessez au moins d'outrager la nation, qui n'en a pas plus le produit que la honte, qui vous parle ici par ma voix, comme parlera l'histoire, comme parle l'Europe entière, comme parle quiconque n'est ni votre esclave ni votre complice. Mais qu'importe les plaintes? et où sont les réparations? Quelle puissance serait capable de remédier à tant de désastres et de combler tant d'abîmes? Ah! si les hommes vertueux dont j'ai appelé les mânes pouvaient aimer la vengeance, je leur dirais : Regardez ce qui a remplacé votre ouvrage; voyez ces efforts si multipliés et si impuissans pour bâtir sans aucune base, pour or ganiser le désordre et réaliser le néant; tous ces plans également stériles, tour à tour préconisés et rejetés; ces généralités chimériques, qui, en voulant tout embrasser, n'atteignent jamais rien; ces théories si follement ambitieuses et si complètement inexécutables, où l'orgueil des mots est en raison du vide des idées; ce charlatanisme puéril qui croit changer les choses en changeant les noms, et qui se retranche obstinément dans les spéculations de l'avenir, quand il est sans cesse repoussé par l'impossibilité actuelle. Voyez cette profonde et honteuse ignorance des premiers principes et des premiers élémens de toute éducation publique ; ignorance portée au point de ne pas même distinguer et classer ce qui convient aux différens âges de l'homme, à l'enfance, à l'adolescence, à la jeunesse, à l'âge adulte; de confondre des académies avec des écoles, des rassemblemens de gens de lettres avec des maisons d'éducation; d'imaginer qu'il suffit de nommer des maîtres pour attirer des disciples; que l'on peut instruire et former des enfans. et des adolescens sans aucun point de réunion habituelle et obligée, sans aucun but marqué et distinct, sans aucun lien moral d'attachement et de respect entre les instituteurs et les élèves, sans aucun frein de discipline, sans aucun plan d'avancement; qu'on peut rétablir la morale si déplorablement avilie, l'inspirer et l'inculquer à des enfans, à des adolescens, avec des méthodes métaphysiques, sans aucune de ces notions religienses, si naturelles pour ainsi dire à l'instinct de l'homme, les seules qui, réunies à des objets sensibles, aient une véritable autorité sur ce premier âge, parce qu'elles seules parlent à son cœur, et que le cœur devance nécessairement la raison; notions si essentielles et si sacrées, même en politique humaine, qu'en supposant, ce qui n'est pas, qu'elles pussent être inutiles à l'intelligence formée, elles seraient encore d une indispensable nécessité pour ce premier âge, puisque incapable de raisonnemens abstraits, il ne peut et ne doit que croire, aimer et obéir. Voyez enfin toute la génération qui a eu le malheur de naître dans ces temps abominables, livrée au plus funeste abandon, à moins de secours particuliers qui sont toujours rares, et condamnée à croître au milieu de la plus dévorante con

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