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dit dans le Profpectus de ce Dictionnaire, qui fut diftribué en 1754.

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L'art de bâtir, proprement dit, & celui d'édifier dans les eaux, font fondés fur les mêmes principes, & unis par les rapports les plus intimes. Les travaux des bâtimens, ceux des ponts, des éclufes, &c. ne different entr'eux que par la forme; les uns & les autres exigent les mêmes connoiffances, & un Architecte & un Ingénieur des Ponts & Chauffées ne forment prefque qu'un feul homme quelques attentions particulieres aux ouvrages qui conftituent leur profeffion, peuvent feules les diftinguer. L'Ingénieur des Ponts & Chauffées eft attentif à fe garantir des fureurs d'un élément rapide, qui travaille fans ceffe à ruiner fes conftructions. Le foin d'un Architecte, pour rendre fon ouvrage folide, fe porte uniquement à proportionner la profondeur des fondemens de fon édifice à l'élévation de fes murs, & à la tenacité du terrein fur lequel il doit les affeoir. Il n'y a, dans ces deux cas, que des modifications à apporter aux mêmes régles; & fi ces différens fujets exigent de la diverfité, ce n'eft que dans le goût de l'exécution.

Tout eft facrifié, dans les Ponts & Chauffées, à la meilleure maniere d'empêcher les dommages fourds, caufés par les eaux, & de vaincre les efforts violens de leur fubtilité & de l'impétuofité de leur courfe. Dans l'Architecture civile, à la folidité on joint le commode & l'agréable. Ceci demande affurément un goût, une fineffe de fentiment que ne comporte pas la construction d'une éclufe, ou celle d'un aqueduc. Voilà le point qui diftingue l'Architecture hydraulique de l'Architecture civile; & qui réunit celle-ci avec la décoration des jardins.

Un jardin tient à un édifice, & en fait partie; il est un de fes plus beaux ornemens: c'eft même fur la façade la plus étendue, & prefque toujours la plus riche, c'eft fur le point de vue principal d'un bâtiment, qu'on diftribue les parterres, les boulingrins, les bofquets, les grandes allées, & généralement tout ce qui forme les agrémens d'un enclos. L'art de difpofer & de décorer les jardins ne doit donc pas être féparé de la diftribution & de la décoration des édifices; & nous avons été trop attentifs à completer notre Dictionnaire, pour négliger une partie fi importante de l'Architecture civile.

Telles font les branches principales de cet Ouvrage, dont nous devons expofer ici le caractère. Il s'agit de former un tableau des deux Architectures civile & hydraulique, & du Jardinage; de préfenter notre compofition en grand; en un mot, de donner une idée générale des matieres qui en font l'objet.

IL N'Y A POINT d'art fur lequel on ait tant écrit que fur celui de conftruire & de décorer les édifices, & aucun qui ait moins gagné au travail des Ecrivains. Rien n'eft plus arbitraire que les principes qu'on adopte dans prefque tous les livres d'Architecture; il femble que le caprice, plutôt que le jugement, les ait dictés. Chaque auteur prenant fon goût particulier pour un guide fûr, fe croit en droit de donner des loix fur cet art; l'imagination qui les a feule fuggérées, les foutient; & cette autorité n'étant pas fuffifante pour convaincre, ne fert qu'à fervir d'exemple dangereux à ceux que touche la gloire

b

de paffer pour inventeurs : de là naiffent la mefintelligence & la confufion, qu'accompagnent toujours la décadence & le dégoût.

Quoi! le grand nombre de Traités fur l'Architecture auroit plutôt nui que contribué à fa perfection? Nous fentons combien il eft délicat de répondre abfolument à cette queftion. Mais il est notoire à tout le monde que les Grecs & les Romains n'avoient puifé dans aucun écrit ce goût exquis qu'on a toujours admiré dans leurs ouvrages, & que Vitruve, le premier écrivain, n'exiftoit point encore lorfqu'ils ont élevé ces beaux monumens qui font leur fplendeur & leur gloire. Nous ne prétendons pas dire par là que l'Architecture ne doive rien aux Traités qu'on a publiés fur ce bel art; cette prétention feroit une injustice criante, & nous ne donnerions pas une idée bien avantageufe de notre Dictionnaire en l'adoptant. Il n'y a que ces ames lâches qui vivent dans une criminelle inaction, ou qui, plus coupables encore, n'agiffent que pour nuire, qui foient infenfibles aux travaux des hommes qui cherchent véritablement à nous inftruire: dignes de nos hommages, nous devons un tribut d'éloges, non feulement à leur fuccès, mais même à leur erreur.

Notre deffein n'eft donc point de blâmer aucun écrit : ils renferment tous affez de beautés pour nous les rendre précieux. Seulement nous demandons où les Grecs & les Romains ont-ils puifé des connoiffances auffi élevées pour conftruire de fi fomptueux édifices? Et pourquoi nous qui aurions dû renchérir fur leurs travaux, avons-nous dégénéré, malgré le grand nombre de Traités, & les réflexions des habiles gens qui ont paru depuis ?

Voilà deux questions bien extraordinaires, & pourtant bien fondées : nous avons long-tems réfléchi pour en trouver la folution, & après un examen fcrupuleux des meilleurs livres d'Architecture, nous avons reconnu que les productions de cet art étant foumises à l'organe de la vûe, c'étoit cet organe feul qu'on devoit confulter dans une compofition. Il falloit, par des expériences réitérées, juger de l'effet le plus agréable que pouvoit produire l'enfemble d'un édifice, & d'après elles établir des régles générales, & jetter les fondemens d'une théorie. Les anciens n'ont pû fuivre d'autre méthode, & ceux qui l'ont adoptée ont toujours produit de belles chofes. Nous pouvons citer un exemple, c'eft M. Perrault, à qui l'on doit des morceaux dignes de l'antiquité la plus floriffante, & qui, ennemi de toute théorie purement spéculative, blâmoit hautement ces principes abftraits auxquels on veut abfolument affujettir l'organe de la vûe, au lieu que les principes devroient être foumis à l'organe. Auffi voit-on les façades du plus grand nombre des édifices modernes, manierées & chargées de petits détails, qui, n'étant point également faifis par l'œil comme les autres parties de la façade, caufent une fenfation obscure, qui inquiéte le fpectateur; parce que ces détails, dûs à des régles idéales, ont été groffis par l'imagination lorfqu'on a cru pouvoir en faire ufage.

On peut conclurre de ce raifonnement, que l'Architecture n'a point de régles par elle-même, & que ce font celles de l'optique qu'on doit y adapter. Si les Architectes fe fuffent attachés à connoître la maniere dont fe fait la vifion, les différentes fenfations que l'organe de la vûe éprouve, felon qu'il

eft difpofé, & la façon dont les objets se préfentent à l'œil, fuivant leur fituation à fon égard, il n'est point douteux que nous n'euffions une belle théorie de l'Architecture, & que nos bâtimens, plus magnifiques encore que ceux des Romains, ne captivaffent l'admiration des hommes même qui ne connoiffent point ce fentiment délicieux. Mais telle eft la trifte condition de l'esprit humain, que de mille routes qui conduisent à la perfection, celle qui eft la plus droite eft celle qu'il évite, pour fuivre quelquefois la plus tortueufe. Nous citons ici, à regret, un exemple de cette vérité. Après les recherches les plus profondes pour découvrir les proportions de l'Architecture, on a cru enfin que c'étoient les proportions harmoniques, & qu'on devoit confulter les oreilles pour voir, pour juger de la beauté d'un édifice. MM. Blondel & Briseux, le premier Auteur, le fecond Promoteur d'une idée fi finguliere, foutiennent que les ouvrages des Grecs & des Romains font foumis à ces proportions. Celui-ci, plus hardi que fon prédéceffeur, prétend que la Mufique eft intimement liée avec l'Architecture; &, ce qui eft encore plus étonnant, que ce qui flatte les oreilles doit plaire aux yeux. (a)

Nous eftimons trop les ouvrages de M. Brifeux pour nous arrêter fur fes erreurs qu'il a bien rachetées par des réflexions très-judicieuses: nous nous rappellons même avec douleur la perte que nous venons de faire de cet Architecte ; & cette fâcheufe pensée ne nous permet plus que de répandre quelques fleurs fur fon tombeau. Nous dirons donc que M. Brifeux eft le premier qui a cru que le beau effentiel de l'Architecture confifte dans les fenfations. Il manquoit fans doute à cet habile homme une connoiffance plus étendue de nos fens, connoiffance que les Architectes n'ont pas été affez jaloux d'acquerir, ni les auteurs de mettre en œuvre.

Les élémens de l'optique font les élémens de l'Architecture: c'eft une pro. pofition que nous venons d'avancer, & que nous croyons très-vraie. Mais il ne faudroit pas conclure de là qu'on démontrera jamais les régles du beau comme celles de la vifion; un fentiment auffi délicieux & auffi délicat que celui du goût, ne comporte point de régles. Les principes généraux peuvent bien les diriger & les renfermer dans les bornes qui lui conviennent; mais c'est à l'ame même à faifir ces impreffions douces & infenfibles, qui l'affectent intimement, & qui, échappant au raifonnement le plus fubtil, ne fe manifeftent que quand on les éprouve. Il n'y a ici que les expériences qui puiffent dévoiler au dehors le fentiment du beau, & nous rendre familieres ces fenfations fines & agréables dont nous jouiffons.

Єe ne font pas là les feules modifications qu'on doit apporter aux régles. L'Architecture eft encore affujettie aux caprices de l'imagination. Voilà peutêtre une expreffion trop forte après tout ce que nous avons dit; cependant comme nous la croyons jufte, nous l'adoptons, & nous ne croyons pas nous contredire. En effet, le caractère qu'on doit donner aux édifices, eft une chofe de pure convention, & abfolument idéale. Il eft effentiel qu'un bâtiment foit conforme à l'ufage auquel il est destiné, & qu'il annonce même (a) Voyez l'article Architecture, dans ce Dictionnaire.

fa destination: c'est un article de sa beauté. Un temple doit être différemment diftribué & décoré qu'un palais, un palais qu'un hôtel, un hôtel qu'une maifon: tout cela eft relatif à la qualité des êtres auxquels ces bâtimens sont confacrés.

Or quelle eft cette qualité? un vrai enfant de l'imagination. La forme d'un temple variera felon qu'on aura une idée plus ou moins grande de la Divinité. Suivant celle que nous avons de l'Etre fuprême, dont les attributs font la majefté, la toute-puiffance & la bonté, un temple doit être grand, pour defigner la majesté divine à laquelle il eft confacré; magnifique & d'une conftruction hardie, pour exprimer fa toute-puiffance; enfin il doit être tellement difpofé que l'autel foit toujours vifible en quelqu'endroit du temple que l'on soit, pour caractériser la bonté dont un facile accès eft le principal appanage.

Telles ne feront point les vûes que nous fuivrons dans la construction d'un palais. Comme l'idée que nous avons d'un Roi eft bien inférieure à celle que nous nous formons de Dieu, un édifice destiné à fon ufage devra être trèsdifférent d'un temple. Il ne s'agit ici que de caractériser tout à la fois & la puiffance & l'éclat de la Royauté; c'eft ce que réunira un bâtiment extrêmement vaste, afin d'annoncer au dehors la demeure d'un homme poffeffeur de grandes facultés, auprès duquel habite une multitude de perfonnes de tout état, qui veillent à fa confervation, & diftribué de maniere que des richeffes de tous les genres, développées avec art & fans confufion, étonnant les fens, difpofent l'ame à un refpect profond & à une obéiffance exacte.

Il en fera à peu près de même d'un hôtel, qui doit être un diminutif d'un palais, parce que les perfonnes qui y demeurent tiennent à la Royauté, ou participent à fon pouvoir. A l'égard d'une maison pour un particulier, l'étendue & la fplendeur feront facrifiées à la fimplicité & à l'aisance, symboles de la médiocrité & de la tranquillité.

Nous ne donnons ici que des vûes générales, des moyens d'échauffer l'imagination, & non des tableaux qui puiffent l'animer; nous fentons combien il refte encore de chofes à dire pour aider même cette faculté de l'ame. Il faudroit des peintures vives, des touches fortes & variées, des nuances douces & délicates; & ce travail n'entre point dans le plan d'un Difcours préliminaire, qui ne doit présenter que la masse des objets. Mais nous fuccombons à la tentation de crayonner les avantages de cette partie d'un édifice, qu'on appelle jardin, & qui en fait le principal ornement.

Depuis qu'Epicure a introduit les jardins dans les villes, (a) & que ce Philofophe voluptueux a remarqué que ce lieu étoit plus propre qu'aucun autre à procurer des penfées délicieufes, le jardinage eft devenu une branche confidérable de l'Architecture. On veut jouir au milieu d'une ville des charmes de la campagne, & cet air champêtre répand une gaieté vive dans tous les appartemens d'une maifon fitués fur le jardin. Pline & Cafaubon (b) nous apprennent que de leur tems on étoit déja tant épris de fes avantages, que les

(a) Pline, Hift. natur. liv. xIx. ch. 4.

(b) Pline, ibid, & Cafaubon, ad Suéton. August, ch. 72.

perfonnes qui ne pouvoient en avoir dans leur maison, en faifoient aux fenêtres & fur les toits. Notre goût ne s'eft point ralenti à cet égard on fçait apprécier aujourd'hui tous les agrémens qu'il y a d'avoir une vue agréable, & un endroit riant pour faire quelque exercice fans fortir de chez foi. Auffi l'art de décorer les jardins, qui augmente ces plaifirs, a été pouffé à un haut point de perfection. La peinture, la fculpture & l'hydraulique ont été alliées à la verdure des plantes, & à l'émail des fleurs. Une eau claire qui, en s'élançant en l'air, forme différentes figures, & qui fuit dans fa chûte une pente douce, Aatte également l'oreille par fon murmure, & l'oeil par fa limpidité. L'odorat est affecté délicieusement par un parfum fuave, qui fe renouvelle à chaque inftant. Des parterres agréablement deffinés offrent le fpectacle éclatant des couleurs les plus belles & les mieux afforties. Enfin une obfcurité touchante, formée par des arbres pliés fur un treillage que décore une fculpture ingénieufe & une douce peinture, préfentent un lieu de repos, propre à favourer tranquillement toutes ces fenfations, & à jouir d'une folitude également chere à ceux qui penfent, & aux personnes délicates que des foins d'un autre genre occupent entierement.

Heureux celui qui connoît le mérite de toutes ces chofes, & qui peut les goûter! plus heureux encore celui qui fçait fe les procurer, parce qu'il les fent plus vivement! C'eft un avantage attaché à la profeffion d'Architecte, puifque fon art lui apprend à réunir à une belle diftribution une décoration riche; & cet art confifte ici, comme dans l'Architecture en général, à s'échauffer l'imagination des agrémens d'un jardin; à faire ufage des principes de l'optique, & à démêler par des expériences ces fenfations fubtiles qui échappent aux régles.

Ainfi établiffons toute l'Architecture civile fur trois points: l'optique, les images qui échauffent l'imagination, & les expériences. L'Architecture hydraulique n'eft point fondée fur tant de principes; il fuffit ici d'allier la magnificence avec la folidité: mais que de fagacité & de goût cette réunion n'exige-t-elle pas ! L'utilité que nous retirons des que nous retirons des eaux, les dommages qu'elles nous caufent, & les obftacles qu'elles font fouvent à nos desseins, voilà les parties effentielles de cette Architecture: voilà le fujet le plus propre à exercer les facultés de l'efprit humain, & à déployer toutes fes connoiffances. Ici des canaux fermés à volonté par de grandes éclufes, ouvrent un libre paffage à une eau abondante, destinée à fe répandre dans les champs, & à les fertilifer: un réservoir fpacieux reçoit cette eau, d'où les machines la portent fur un aqueduc qui la conduit aux endroits les plus élevés & les plus arides. Là des chauffées épaiffes, des quais folides, des batardeaux inébranlables, arrêtent l'impétuofité du cours de ce fougueux élément, & lui prefcrivent des bornes. Des paffages fûrs font pratiqués fur les eaux, des ponts fpacieux, fondés dans leur lit le plus profond, & réfiftant toujours aux efforts redoublés d'un ennemi d'autant plus dangereux que fes attaques font plus cachées. Quels objets plus dignes de notre attention? ils ont fixé celle des Romains; & on fçait de quel poids eft cette autorité dans l'Architecture. Nous ne voulons

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