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Ainfi donc les amans trop riches, trop beaux, trop curieux de leur parure, d'un rang trop élevé, ou d'un état vil, font, fuivant moi, également peu faits pour l'amour. Je reconnoîtrai bien celui qu'il vous faudra, quand je le verrai prudent, modefte, conftant & vertueux.

Naturellement, & par goût, j'ai toujours été, comme je vous ai dit, jaloufe d'avoir un amant lettré, & qui poffédât des talens. Tel étoit le premier que j'ai eu. Je l'aimois plus que ma vie. Sa taille étoit fvelte, fon air tout-à-fait noble, fes manières gracieufes, fon cœur très-fenfible; & quant à fon efprit, on ne pouvoit en avoir un plus délicat & plus brillant. On le voyoit toujours adroit, courageux, hardi, affable, dif cret, modeste, gai, plaisant même quand il le falloit. Il étoit énergique dans fes proinftruit, libéral, aimant, refpe&ueux, fin, réfléchi, fidèle à fes affections, & propre à toutes les chofes d'agrément. L'efcrime, le manège, l'exercice de l'arc

pos,

& de la lance, rien de tout cela n'étoit étranger à fa force & à fa dextérité. Il étoit fingulièrement paffionné pour les arts: mufique, peinture, fculpture; il fe connoiffoit bien à tout, & fe montroit fenfible au beau par-tout où il le trouvoit. Jamais, mes enfans, non jamais il n'aura de fecond.

Ces avantages le rendoient le plus aimable des hommes. Auffi, je l'avoue, je fuis bien éloignée de rougir qu'un tel amant ait poffédé mon cœur tout entier, J'étois fi heureuse de lui plaire, fi orgueilleufe de lui obéir! Il n'y avoit rien de difficile, rien d'impoffible pour moi, dès qu'il falloit lui prouver mon amour. Ses defirs faifoient ma loi; leur accompliffement, mon bonheur. Eh! par qui auroit-il pu fe flater d'être mieux fervi? Je l'aimois tant... que dis-je ? je l'idolatrois. O mon ami! ô mon bienaimé qu'il m'étoit doux d'être auprès de toi! Hélas! pourquoi ton éloignement cruel, mais néceffaire, eft-il venu

rompre un lien fi tendre ? Nos plaifirs délicats, nos jours tranquilles, notre félicité, tout s'eft évanoui; comme toi tout a difparu. Heureusement le fouvenir me refte. Ah! c'est un bien celui-là qu'on ne me ravira jamais.

Si,

par

bonne fortune, vous en trouvez un femblable, (mais je vous l'ai dit, je crains bien pour vous qu'il n'ait pas fon fecond) je vous confeille en amie, mes toutes belles, de ne le pas laiffer échapper.

LIVRE SECON D.

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que

un amant; voilà la fuite des préceptes que j'ai promis de vous donner fur mon art. Or, vous favez auffi bien que moi, meldames les friponnes, que l'appât auquel l'homme fe prend avec le plus de viteffe & d'avidité, fans contredit, c'eft un doux regard. A peine élancé de vos yeux, il a déja bleffé leurs cœurs. Je fuppose un être auffi froid l'on voudra, il n'y tiendra pas. Eh! qui donc feroit affez malheureux pour y réfifter? Néanmoins il n'en faut pas conclure que tous les hommes font & doivent être amoureux de vous. J'en ai connu de ces coquettes qui, bien entêtées de cette efpérance orgueilleufe, s'en alloient diftribuant çà & là force œillades affaffines, & n'avoient pas de jouiffance plus vive que celle de voir les galans amours fe ranger par nombreux

bataillons autour d'elles, & les affiéger de douceurs & de louanges. Non, mes enfans, ce n'eft point la multiplicité des conquêtes qui nous fait valoir & chérir le plus. L'amour doit être unique, fi l'on veut que le mystère en naiffe; & juftement c'est à l'ombre du myftère que l'amour doit toute la chaleur de fon exiftence. Pour lui un tiers eft de trop. Il eft déja fi difficile que l'efprit & le cœur puiffent toujours fatisfaire au tribut payable à un feul! Comment feriezvous, dites-moi, pour vous acquitter envers tous? L'imaginer, feroit une er reur; le vouloir, une fottife.

En effet, voulez-vous voir combien il en résulteroit pour vous & d'embarras & de chagrins? Effayez de vous préfenter à tous l'indulgence au front & le rire à la bouche; dès-lors les voilà ennemis jurés les uns des autres. Tout ce que l'envie, l'orgueil, la haine peuvent enfanter, eft épuisé en moins de rien. Vous entendrez dans peu, & ce

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