noit pour moi tous fes divertiffemens ordinaires. La folitude qu'il aimoit avant que de me connoître, lui devint odieufe; il cherchoit le monde, parce qu'il efperoit de m'y voir. Enfin fa paffion devint son unique affaire & la regle de toute fa vie. Je lui avois permis de m'écrire, & il le faifoit quelquefois d'une maniere fi tendre, & quel

quefois fi galamment, foit en vers foit en profe, que fes lettres m'étoient infiniment agréables, & ne me perfuadoient pas moins de fon affection que

fa con

duite. Je répondois même fouvent à fes billets, & quelquefois je les prévenois par les miens. Un jour

il m'écrivit en ces termes. Vous dites, Madame, que ma paffion vous est agréable, & vous m'assurés de votre amitié; cependant ma paffion me fait fouffrir, vous le fçavés, vous n'en êtes point touchée : quelle afsurance puisje prendre fur vos paroles, & que dois-je penfer de votre amitié, fi elle ne vous rend fenfible aux maux que j'endure, ne m'attire du moins votre pitié.

Je lui répondis ainsi:

Je te refuse ma pitié,

Damis a tes defirs, je fuis inexorable, Tu feras toujours miférable,

S'il faut pour te guerir plus que mon amitié ;

Bien que je fois fort fecourable,
Je te refufe ma pitié.

Peu de jours après, dans une conversation que nous eûmes chés fa foeur, on parla des divers effets de l'amour. Il dit plufieurs choses fort spirituelles à la louange de cette paffion, aufquelles fa foeur répondit très - agréablement en la condamnant. Tout le monde prit parti, je fus la feule qui ne voulus point

me déclarer, il m'en fit la guerre en nous séparant & me pria de m'expliquer: je lui promis de le faire le lendemain, & en effet, je lui envoyai ces vers :

Damis, l'amour n'eft qu'un trompeur, Sous un nom fpecieux, il fe gliffe en une

ame,

Et cet agréable impofteur,

Sous de fauffes lueurs, fçait déguiser fa flâme,

Si je m'en rapporte à mon cœur
Damis, l'amour n'eft qu'un trompeur

Voici ce qu'il me ré

pondit :

Iris, l'amour n'eft point trompeur, Ne lui refufez plus l'empire de votre cœur Pourquoi l'appeller impofteur ;

S'il fait par fois fentir fa flâme,

De mille autres douceurs, il confole le

cœur,

Iris, l'autour n'eft point trompeur.

Ces deux billets qu'il reçut de moi coup fur Coup, dont l'un fembloit

Condamner fon amour, &

l'autre lui ôtoit l'efpérance que je puffe jamais avoir pitié de la peine que fa paffion lui faifoit fouffrir, le mirent dans un grand trouble. Et comme les grandes paffions font pleines. d'inquiétudes & de foupçons, il appréhenda d'avoir fait quelque chofe qui m'eût déplû ; toutes fes paroles lui repafferent par l'efprit, il examina jufqu'à fes moindres actions; mais ne fe trouvant point