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Lorfque, par le caprice du fort, je fus obligé 'de fortir de Rome, je me conduifis de même j'allai faire la guerre à Mithridate, & je crus détruire Marius, à force de vaincre l'ennemi de Marius, Pendant que je laiffai ce Romain jouïr de fon pouvoir fur la populace, je multipliois fes mortifications, & je le forçois tous les jours d'aller au Capitole rendre grâces aux Dieux des fuccès dont je le défefperois. Je lui fefois une guerre de réputation, plus cruelle cent fois que cellè que mes légions fefoient au Roi barbare, Il ne fortoit pas un feul mot de ma bouche, qui ne marquât mon audace; & mes moindres actions toujours fuperbes, étoient pour Marius de funeftes préfages, Enfin, Mithridate demanda la paix: les conditions étoient raisonnables; & fi Romę avoit été tranquille, ou fi ma fortune n'avoit pas été chancelante, je les aurois acceptées. Mais le mauvais état de mes affaires m'obligea de les rendre plus dures. J'exigeai qu'il détruișît sa flotte, & qu'il rendît aux Rois fes voifins tous les États dont il les avoit dépouillés. Je te laiffe, lui disje, le Royaume de tes Peres, à toi qui devrois me remercier de ce que je te laiffe la main avec laquelle tu as figné l'ordre de faire mourir en un jour cent-mille Romains. Mithridate refta im

mobile; & Marius, au milieu de Rome en trembla.

Cette même audace, qui m'a fi bien servi contre Mithridate, contre Marius, contre fon fils, contre Théléfinus, contre le Peuple; qui a foutenu ma Dictature, a auffi défendu ma vie, le jour que je l'ai quittée; & ce jour affûre ma liberté pour jamais.

Seigneur, lui dis-je, Marius raisonnoit comme vous, lorfque, couvert du fang de fes ennemis & de celui des Romains, il montroit cette audace que vous avez punie. Vous avez bien pour vous quelques victoires de plus, & de plus grands excès: mais, en prenant la Dictature, vous avez donné l'exemple du crime que vous avez puni. Voilà l'exemple qui fera fuivi, & non pas celui d'une modération qu'on ne fera qu'admirer.

Quand les Dieux ont fouffert que Sylla se soit impunément fait Dictateur dans Rome, ils y ont proscrit la liberté pour jamais. Il faudroit qu'ils fiffent trop de miracles, pour arracher à présent du cœur de tous les Capitaines Romains l'am bition de regner. Vous leur avez appris qu'il y avoit une voie bien plus sûre pour aller à la tyran

nie, & la garder fans péril. Vous avez divulgué ce fatal fecret, & ôté ce qui fait feul les bons citoyens d'une République trop riche & trop grande, le désespoir de pouvoir l'opprimer.

Il changea de vifage, & fe tut un moment. Je ne crains, me dit-il avec émotion, qu'un homme dans lequel je crois voir plufieurs Marius. Le hafard, ou bien un deftin plus fort, me l'a fait épargner, Je le regarde fans ceffe ; j'étudie fon âme; il y cache des deffeins profonds. Mais, s'il ôfe jamais former celui de commander à des hommes que j'ai fait mes égaux, je jure par Dieux que je punirai fon infolence.

les

HISTOIRE

De Mademoiselle Goton & de M. Legris, racontée à Mademoiselle Thèrefe, fon amie, par Mademoiselle Goton elle-même. Vous fçavez, ma chere Mademoiselle Thèrese; quelle étoit ma fituation quand nous logions auprès de Monfieur votre pere. Je n'ai ni pere mere depuis long-temps, & je demeurois avec ma grand'mere, ma chere tante, & mon frere aîné le Maître de Mathématique, & fa femme.

ni

Vous fçavez que ma grand'maman eft une bonne femme de loixante ans,fort aisée à conduire, parce qu'elle eft toujours de l'avis de celui qui lui parle le dernier on ne fait rien faire à ma tante qu'en la contredifant & en marquant que l'on fouhaite tout le contraire de ce que l'on veut en effet qui arrive. Mon frere est un homme qui croit toujours tout fçavoir & qui devine toujours mal, & ma belle-four peut s'appeller une jeune femme d'un parfait mérite, excepté qu'elle cherche trop à se

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moquer de fon mari. Pour moi, fans me vanter, j'ai toujours eu du génie & des fentiments que j'ai tâché de former par la lecture & par l'ufage du monde ; je ne m'en repens pas, puifque cela m'a conduite à la fortune où vous me voyez.

Je connoiffois, lorfque je quittai votre rue, M. de David qui se destinoit aux emplois, & qui, en effet, en paroiffoit très-capable; il avoit une fort belle main, fçavoit bien les comptes; comptes ; il étoit toujours proprement mis, & fembloit même avoir quelqu'argent devant lui; mais fon caractere n'étoit pas digne de moi, comme vous l'allez connoître, & cependant c'est lui qui, fans le fçavoir, a achevé de faire mon bonheur.

Etant un jour allé avec M. de David & ma chere tante à une affemblée de danfe chez un Procureur, (car j'ai toujours vu fort bonne compagnie ) j'y vis pour la premiere fois M. Legris, & il fembla qu'une fympathie naturelle nous joignit l'un à l'autre. Je dansai plufieurs fois avec lui. M. de David en fut jaloux, & il n'avoit pas tout-àfait tort; c'eft cette après-dînée qui me fit appercevoir que je ne l'aimois pas véritablement.

A neuf heures du foir la danse finit; M. de David s'empara de mon bras, que je ne voulus

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