페이지 이미지
PDF
ePub

ne ferez pas mal de vous occuper de votre ame, qui ne me paraît pas dans un état de grace parfaite. Je vous conseille donc, si vous avez quelque secret à révéler, de ne pas perdre de temps; si c'est un secret que je puisse entendre, me voilà; si c'est un secret qui ne puisse être confié qu'à un prêtre, dites un mot, et j'irai vous en chercher un.

- Oui, dit le mourant, j'ai un secret, et un secret qui vous regarde même, en supposant que, comme vous l'avez dit, vous soyez le fils du marquis de San-Floridio.

- Je vous le dis et je vous le répète, je suis don Ferdinand, comte de San-Floridio, le seul héritier de la famille.

- Approchez-vous de l'autel, et faites-m'en le serment sur le crucifix.

Le comte se révolta d'abord à l'idée qu'un manant refusât de le croire sur sa parole; mais, songeant qu'il devait avoir quelque indulgence pour un homme qui allait mourir de son fait, il s'approcha de l'autel, monta sur les marches, et prêta le serment demandé.

- C'est bien, dit le blessé; maintenant approchez-vous de moi, monsieur le comte, et prenez cette clé.

Le jeune homme s'avança vivement, tendit la main, et le mourant y déposa une clé. Le comte sentit au toucher que ce n'était pas la clé de la porte secrète.

[ocr errors]

- Qu'est-ce que cette clé? demanda-t-il.

-Vous vous en irez à Carlentini, reprit le mourant, évitant de répondre à la question; vous demanderez la maison de Gaëtano Cantarello: vous entrerez seul dans cette maison, seul, entendez-vous? Dans la chambre à coucher, vous trouverez au pied du lit un carreau sur lequel est gravée une croix; sous ce carreau est une cassette, dans cette cassette sont soixante mille ducats; vous les prendrez, ils sont à vous.

Qu'est-ce que toute cette histoire? demanda le comte; est-ce que je vous connais? est-ce que je veux hériter de vous?

- Ces soixante mille ducats vous appartiennent, monsieur le comte; car ils ont été volés à votre oncle, le marquis San-Floridio de Messine. Ils ont été volés par moi, Gaëtano Cantarello, son domestique; et ce n'est point un héritage, c'est une restitution.

- Héritage ou restitution, peu m'importe, s'écria le jeune homme, ce ne sont point ces soixante mille ducats que je cherche ici, et ce n'est pas là le secret que je veux savoir. Tenez, ajouta le comte en rejetant la clé à Cantarello, voici la clé de votre maison, donnez-moi en échange celle de cette porte.

Et il montra du bout du doigt la porte du corridor.

- Venez donc la prendre, dit Cantarello d'une voix mourante, car je n'ai plus la force de vous la donner; là, là, dans cette poche.

Don Ferdinand s'avança sans défiance, et se pencha sur le moribond; mais celui-ci le saisit tout à coup de la main gauche avec la force désespérée de l'agonie, et, reprenant son épée de la main droite, il lui en porta un coup qui, heureusement, glissa sur une côte et ne fit qu'une légère blessure.

[ocr errors]

Ah! misérable traître! s'écria le comte en saisissant un pistolet à sa ceinture et en le déchargeant à bout portant sur Cantarello, meurs donc comme un réprouvé et comme un chien, puisque tu ne veux pas te repentir comme un chrétien et comme un homme.

Cantarello tomba à la renverse. Cette fois il était bien mort.

Don Ferdinand s'approcha de lui, son second pistolet à la main, de peur d'une nouvelle surprise; puis, bien certain qu'il n'avait plus rien à craindre, il le fouilla de tous côtés; mais dans aucune poche il ne retrouva la clé de la porte secrète. Sans doute, dans la lutte, Cantarello l'avait jetée derrière lui, espérant de cette façon la dérober à son adversaire.

Alors don Ferdinand ramassa sa lanterne qu'il avait laissée tomber, et se mit à chercher cette clé, qui lui échappait toujours d'une façon si étrange. Au bout de quelques instans, affaibli par le sang qu'il perdait, il sentit sa tête bourdonner comme si toutes les cloches de la chapelle sonnaient à la fois; les piliers qui soutenaient la voûte lui parurent se détacher de la terre et tourner autour de lui; il lui sembla que les murs se rapprochaient de lui et l'étouffaient comme ceux d'une tombe. Il s'élança vers la porte de la chapelle pour respirer l'air pur et frais du matin; mais à peine avait-il fait dix pas dans cette direction, qu'il tomba lui-même évanoui.

ALEXANDRE Dumas.

(La suite au prochain n°.)

LES

MÉMOIRES DE M LAFARGE.

La critique n'a point toujours le choix des livres qu'elle soumet à ses appréciations, et bien des fois il arrive que les sujets lui sont violemment imposés du dehors. La plus noble de ses prérogatives sans doute consiste en ce ministère d'initiation qu'elle exerce près des œuvres dont la valeur échappe au commun des esprits, et autour desquelles ses jugemens motivés rallient la foule. Mais, qu'on ne s'y trompe pas, à ce rôle de bienveillante sollicitude, à cette enquête d'œuvres peu bruyantes et dignes pourtant de popularité, ne se borne pas sa mission. En ces rapprochemens que l'autorité de sa parole établit entre le lecteur et l'écrivain, ne doit pas s'absorber uniquement son zèle, dans une époque littéraire comme la nôtre. Souvent alors, au lieu de convoquer autour de certaines publications la foule qui s'y porte, comme certains animaux à l'odeur du cadavre, elle doit au contraire en éloigner les esprits curieux ou malades qui s'en repaissent, et, fendant la cohue que le scandale ameute près de telles œuvres, signaler à l'intelligence et au cœur les miasmes doublement pestilentiels qui s'en exhalent.

Certes, la curiosité publique a, de nos jours, par des amorces littéraires, été bien des fois mise ridiculement en éveil. Tandis que cer

tains livres faits avec labeur, inspiration et conscience (livres si rares à cette heure et toujours), tandis que ces précieuses productions, dignes d'examen et d'estime, passaient peu remarquées des lecteurs frivoles, le moindre pamphlet gros d'injures ou de diffamations était avidement accueilli, à la plus grande honte du goût et de la morale. Oui, l'on aurait à noter bien des déplorables écarts de raison en ce genre, mais je n'imagine pas cependant qu'on eût encore fait éclater une aussi impudente frénésie de scandale, déployé jamais d'aussi grotesques sympathies pour le crime paré de perfides atours, comme on l'a vu à l'occasion de Mme Lafarge. Quoi donc! les préoccupations politiques elles-mêmes avaient fait silence devant la romanesque accusée. La tribune écoutée et retentissante n'était plus celle du Palais-Bourbon, mais bien celle de Brives ou de Tulle. La publicité propageait par toutes ses voies les débats à l'ordre du jour, et certain journal, qui ose d'ailleurs beaucoup en toutes choses, habile à caresser en ses lecteurs cette inqualifiable curiosité qu'inspirait en tout lieu le dramatique procès de la Corrèze, ne craignit pas d'établir des courriers en service extraordinaire afin d'offrir en primeur tous ces piquans détails, source productive d'abonnemens. L'héroïne de ce drame lugubre serait ingrate si elle n'était que médiocrement satisfaite des dispositions scéniques qu'on a su donner à l'audience. Le théâtre où elle posait, et d'où tombait sa parole, était merveilleusement en vue, et les échos étaient ménagés de façon si habile, que la France, l'Europe entière pouvaient l'entendre; aussi l'a-t-on bien entendue et très avidement.

Parmi nous toutefois, et Mme Lafarge ne l'ignore pas, toute attention, même celle qu'on donne au crime, se lasse promptement, et, impatiente d'alimens nouveaux, dérive ailleurs. D'une autre part, toutes chaleureuses, toutes passionnées qu'elles sont (et vit-on jamais un tel abus de la parole!), les plaidoiries des avocats ont le privilége, et c'est justice, de ne guère survivre au moment qui les inspire; si bien que Marie Cappelle serait déjà en dehors des préoccupations courantes, si, repoussant d'une main désespérée ce linceul de l'oubli qui menace de la couvrir, elle n'essayait de prolonger aujourd'hui par le livre l'impression expirante du plaidoyer et de la cour d'assises. Ceux qui ont encore à cœur la dignité des lettres se révoltent à la pensée qn'une telle femme, atteinte de deux condamnations infamantes, puisse s'enrôler, le front haut, parmi les hommes dévoués au culte de l'art, et ravaler impunément au service de ses calomnies l'instrument sacré de la parole écrite; mais, en somme, une telle

audace n'a-t-elle pas été provoquée et comme d'avance applaudie? Qui donc a chatouillé sur ce point la vanité de Mme Lafarge? qui donc lui a révélé ce moyen extrême de conserver quelque temps encore son complaisant auditoire? qui donc, je le demande, sinon l'imprudente facilité du public à saluer de sourires approbateurs ces lettres où la moquerie parisienne s'attaquait (le beau mérite!) aux mœurs peu élégantes et aux bourgeoises peu dégrossies du Limousin? qui donc encore, sinon les journaux si complaisans à enregistrer dans leurs colonnes, comme des factums d'une merveilleuse éloquence, ces virulens manifestes d'une criminelle réduite aux abois, et qui cherchait ainsi, à l'issue de chaque audience, à faire prendre le change sur les charges accablantes de l'accusation, et à se raffermir autour du front ce vain prestige dont elle se sentait découronnée?

Après de si singulières adulations, il faut cesser vraiment de dire étrange et audacieuse la fantaisie toute logique qui prend Mme Lafarge de joindre à ses divers mérites l'art de tisser proprement des phrases et d'accoupler heureusement au mot une épithète colorée ou pittoresque. Cet art ingénieux de pipper le lecteur, comme au miroir une alouette, croyant sans nul doute le posséder éminemment, il est tout simple qu'elle ait mis en jeu près du public ce dernier moyen de cassation; mais ses espérances de ce côté seront encore déçues; car, loin de protéger sa mémoire, cette dernière planche de salut, à laquelle s'attache désespérément sa fortune, va l'entraîner pour jamais dans la réprobation universelle.

Le bruit avait d'abord couru que le ministère public s'opposerait à la publication de ces Mémoires et que ce dernier scandale resterait inédit; mais, puisqu'il n'a point jugé bon de le faire, et que sa parole ne peut plus répondre aux assertions d'ailleurs souvent démenties de la défense, la critique alors, sans revenir sur l'examen des faits et sans combattre de nouveau des récits déjà victorieusement réfutés, doit signaler les points où l'on voit l'adresse percer davantage et se trahir la mauvaise foi; puis encore oser dire enfin au public ce que vaut en somme cette élucubration littéraire.

En quelques lignes de dédicace à ses amis, Marie Cappelle assure qu'elle n'a point voulu faire un livre, mais que, dans le recueillement solitaire de sa captivité, sous l'impression de ses souvenirs et de ses larmes, elle laissait aller sa plume, sans recourir aux prestiges de l'art, et sans invoquer les séductions de l'éloquence. Je ne sais, mais pourtant il semblerait qu'elle ait pris en plus grand souci l'arrange

« 이전계속 »