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LE SPERONARE.

XI.'

LA CHAPELLE GOTHIQUE.

On se rappelle cette petite chapelle gothique que me montra mon guide du haut de l'Épipoli, et que je ne voulus pas aller voir, retenu par la chaleur sénégalienne qu'il faisait en ce moment. Cette chapelle appartenait à la famille San-Floridio. Bâtie par un ancêtre du marquis actuel, elle servait surtout de lieu de sépulture à la famille. Il y avait une vieille tradition sur cette chapelle, qui ne contenait pas seulement, disait-on, des caveaux mortuaires : on parlait de souterrains inconnus, dans lesquels un comte de San-Floridio se serait réfugié à l'époque des guerres avec les Aragonais d'Espagne, guerres pendant lesquelles son patriotisme l'aurait fait condamner à mort. La tradition ajoutait qu'il était resté dans cette retraite pendant dix ans, et y avait été régulièrement nourri par de vieux serviteurs, qui, au risque de leur propre vie, lui portaient toutes les deux nuits, dans ce souterrain, de quoi boire et de quoi manger. Vingt fois le comte de San-Floridio aurait pu se sauver et gagner Malte ou la France; mais il ne voulut jamais consentir à quitter la Sicile, espérant toujours que l'heure de la liberté sonnerait pour elle, et pensant qu'il devait être là au premier signal.

(1) Voyez les livraisons des 8, 15, 29 août, 5, 12, 19 septembre, 3, 10, 17 et 24 octobre.

En 1783, il y avait encore deux rejetons mâles de cette famille, le marquis et le comte de San-Floridio. Le marquis habitait Messine, et le comte Syracuse. Le marquis était veuf et sans enfans, et n'avait près de lui que deux serviteurs : une jeune fille de Catane, nommée Teresina, qui avait appartenu à sa femme, et pouvait avoir dix-huit ou vingt ans à peu près; puis un homme de trente ans au plus, qu'on appelait Gaetano Cantarello, le dernier descendant de cette race de serviteurs fidèles qui avaient donné à l'ancien marquis une si grande preuve de dévouement, et qui, de père en fils, étaient demeurés dans la maison de l'aîné de la famille. Cet aîné connaissait seul le secret du souterrain, secret qu'il transmettait à son fils, et qui était d'autant mieux gardé, que d'un jour à l'autre les marquis de San-Floridio, qui étaient restés constamment dans le parti patriote, pouvaient avoir besoin de recourir de nouveau à cet introuvable asile.

Nous avons raconté, à propos de Messine, le tremblement de terre de 1783 et ses déplorables suites. Le marquis de San-Floridio fut une des victimes de ce triste évènement. La toiture de son palais s'enfonça, et il fut tué par la chute d'une poutre; ses deux serviteurs, Teresina et Gaetano, échappèrent sans blessures au désastre, quoique Gaetano, pour essayer de sauver son maître, disait-on, fût resté plus d'une heure sous les décombres de la maison. Le comte de San-Floridio, qui représentait la branche cadette, se trouva ainsi le chef de la famille, et hérita du titre et de la fortune de son aîné. Le marquis, étant mort au moment où il s'y attendait le moins, avait emporté avec lui le secret de la chapelle; mais, il faut le dire, ce ne fut pas ce secret que le comte de San-Floridio regretta le plus; ce fut une somme de 50 ou 60,000 ducats d'argent comptant que l'on savait exister dans les coffres du défunt, et que, malgré des fouilles multipliées, on ne parvint pas à retrouver. Le pauvre Cantarello était au désespoir de cette disparition, qu'on pouvait, disait-il en s'arrachant les cheveux, lui imputer, à lui. Le comte le consola de son mieux, en lui disant que la fidélité des serviteurs de la famille était trop connue pour qu'un pareil soupçon le pût atteindre; et, comme preuve de ce qu'il avançait, il lui offrit près de lui la place qu'il occupait près de son frère; mais Cantarello répondit qu'après avoir perdu un si bon maître, il ne voulait plus appartenir à personne. Le comte lui demanda alors s'il connaissait le secret de la chapelle; Cantarello assura que non. Une somme assez ronde, offerte à la suite de cette conversation par le comte, fut refusée par ce digne serviteur, qui se retira dans les environs de Catane, et dont on n'entendit plus parler. Le

comte de San-Floridio se mit en possession de la fortune de son frère, qui était immense, et prit le titre de marquis.

Dix ans s'étaient écoulés depuis cet évènement, et le marquis de San-Floridio, qui avait fait rebâtir le palais de son frère, habitait l'été Messine et l'hiver Syracuse; mais, qu'il fût à Syracuse ou à Messine, il ne manquait jamais de faire dire, à la chapelle de la famille, une messe pour le repos de l'ame du défunt. Cette messe était célébrée à l'heure même où l'évènement avait eu lieu, c'est-à-dire à neuf heures du soir.

On en était arrivé au dixième anniversaire, qui devait se célébrer avec la pompe habituelle, mais auquel devait assister un nouveau personnage, qui joue le principal rôle dans cette histoire. C'était le jeune comte don Ferdinand de San-Floridio, qui, ayant atteint sa dix-huitième année, venait de finir ses classes, et arrivait du collége de Palerme depuis quelques jours seulement.

Don Ferdinand savait parfaitement qu'il portait un des plus beaux noms et qu'il devait hériter d'une des plus grandes fortunes de la Sicile. Aussi avait-il tourné au vrai gentilhomme. C'était un beau garçon aux cheveux d'un noir d'ébène, qui disparaissait malheureusement sous la poudre qu'on portait à cette époque, aux yeux noirs, au nez grec et aux dents d'émail, portant le poing sur la hanche, le chapeau un peu de côté, et plaisantant fort, comme c'était la mode à cette époque, aux dépens des choses saintes; au reste, excellent cavalier, fort sur l'escrime, et nageant comme un poisson; toutes choses qui s'apprenaient au collège des nobles. Seulement on disait qu'à ces leçons classiques les belles dames de Palerme en avaient ajouté d'autres, auxquelles le comte Ferdinand n'avait pas pris moins de goût qu'à celles dont il avait si bien profité, quoique ces leçons féminines ne fussent pas portées sur le programme universitaire. Tant il y a enfin que le comte revenait à Syracuse jeune, beau, brave, et dans cet âge aventureux où chaque homme se croit destiné à devenir le héros de quelque roman.

Ce fut sur ces entrefaites qu'arriva le jour anniversaire de la mort du marquis. Le père et la mère du comte prévinrent trois jours d'avance leur fils de se tenir prêt pour cette funèbre cérémonie. Don Ferdinand, qui hantait peu les églises et qui, ainsi que nous l'avons dit, était on ne peut plus voltairien, aurait fort désiré pouvoir se dispenser de cette corvée; mais il comprit qu'il n'y avait pas moyen de se soustraire à ce devoir de famille, et que toute escapade de ce genre, à l'endroit d'un oncle dont on avait hérité cent mille livres

de rentes, serait on ne peut plus inconvenante. D'ailleurs il espérait que la cérémonie attirerait à la petite chapelle, si isolée qu'elle fût, quelque belle dame de Syracuse ou quelque jolie paysanne de Belvédère, et qu'ainsi la toilette qu'il était obligé de faire, à cette triste occasion, ne serait pas tout-à-fait perdue. Don Ferdinand se prêta donc d'assez bonne grace à la circonstance, et, après avoir mis son père et sa mère dans leur litière, sauta aussi résolument dans la sienne que s'il se fût agi pour lui d'aller figurer dans un quadrille.

Disons un mot en passant de cette charmante manière de voyager. Il n'y a en Sicile que trois modes de locomotion: la voiture, le mulet ou la litière.

La voiture est dans la vieille Trinacrie ce qu'elle est partout, si ce n'est qu'elle a conservé une forme de carrosse qui réjouirait on ne peut plus les yeux de ce bon duc de Saint-Simon, si, pour punir les péchés de notre époque, Dieu permettait qu'il revînt en ce monde. Les carrosses sont faits pour les rues où l'on peut passer en carrosse et pour les routes où l'on peut voyager en voiture; il y a plus ou moins de rues praticables dans chaque ville, et je n'en pourrais dire le nombre. Quant aux routes, elles sont plus faciles à compter: il y en a une qui se rend de Messine à Palerme, et vice versa. Il en résulte que, quand on voyage partout ailleurs que sur cette ligne, il faut aller à mulet ou en litière.

Tout le monde sait ce que c'est que d'aller à mulet, je n'ai donc pas besoin de m'étendre sur ce mode de voyage; mais on ignore assez généralement ce que c'est que d'aller en litière, du moins comme on l'entend en Sicile.

La litière est une grande chaise à porteur, construite généralement pour deux personnes, qui, au lieu d'être assises côte à côte, comme dans nos coupés modernes, sont placées face à face, comme dans nos anciens vis-à-vis. Cette litière est posée sur un double brancard, qui s'adapte au dos de deux mulets: un serviteur conduit le premier, et le second n'a qu'à suivre. Il en résulte que le mouvement de la litière, surtout dans un pays aussi accidenté que l'est la Sicile, correspond assez exactement au mouvement de tangage d'un vaisseau, et donne de même le mal de mer. Aussi prend-on généralement en exécration les personnes avec lesquelles on voyage de cette manière. Au bout d'une heure de cette locomotion, on se dispute avec son meilleur ami, et, à la fin de la première journée, on est brouillé à mort. Damon et Pythias, ces antiques modèles d'amitié, partis de Catane en litière, se seraient battus en duel en arrivant à Syracuse, et se

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