페이지 이미지
PDF
ePub

son intérêt avec celui de la révolution napolitaine. Les choses ainsi entendues de part et d'autre, si le peuple de Naples avait grand espoir de l'arrivée des vaisseaux français, le duc en devait concevoir quelque défiance. Aussi ne prétendait-il qu'en être assisté, leur demander des munitions, les voir combattre, et profiter de leur victoire. Dès la première parole qu'il eut avec quelqu'un de la flotte, il sut à quoi s'en tenir. L'abbé Baschi, Romain, embarqué pendant le passage, lui déclara nettement que les ordres étaient de s'entendre avec le chef du peuple; le duc prétendit l'être : on lui répondit que toutes les communications officielles avaient eu lieu avec le capitaine-général Annese, et qu'à lui seul on pouvait s'adresser. Sur quoi le duc résolut aussitôt de rendre sa prééminence authentique, partit pour Naples, assembla le peuple, fit déclarer l'armurier déchu du premier rang, se laissa proclamer, non pas roi, comme quelquesuns voulaient, mais duc de la république, et prit, le jour suivant, possession solennelle de cette dignité. Le coup était malin et hardi; mais, pour y réussir, il avait fallu répandre des soupçons sur l'intelligence des Français avec l'ancien capitaine-général, et faire peur aux Napolitains de quelque dessein contre leur liberté ; ce qui ne devait pas rendre plus active une protection déjà fort incertaine. L'armée navale refusa donc de servir le duc de Naples à sa façon, et se contenta de livrer quelques combats à la flotte espagnole. Il paraît que, dès le premier jour, elle aurait pu l'attaquer avec grand succès : cette occasion passée ne revint plus. Parmi les contrariétés du vent et l'incertitude que donnaient à ses mouvemens les nouvelles venues de la ville, où il semblait que l'armurier Annese relevait son parti, elle n'avait pu, en dix-sept jours, que prendre ou faire périr quelques vaisseaux de l'ennemi, et, au bout de ce temps, elle retourna vers les côtes de Provence, laissant le duc de Guise se tirer comme il pourrait de la position qu'il s'était faite. En ce moment, il avait quelque raison de la trouver belle: il régnait dans la ville, il étendait son pouvoir dans les provinces, la fortune lui souriait partout ; mais, de ce moment aussi, il ne nous reste plus qu'à voir, en son temps, la fin d'une aventure toute personnelle, d'où l'intérêt de la France s'était manifestement retiré.

Trois mois suffirent pour en amener le dénouement, qui termina d'un seul coup le règne du duc de Guise et la durée de la république napolitaine. Privé des secours de la France, sans argent et sans crédit, mal servi par ses amis, ou, ce qui revient au même, se défiant de leurs services, écoutant les conseils de ceux qui le flattaient le plus,

vivant presque isolé, dans sa splendeur ducale, au milieu d'un peuple que travaillaient sans cesse les instigations des Espagnols et ses propres soupçons, ayant en face de lui un rival humilié qu'il méprisait trop pour l'abattre tout-à-fait et que le désir de la vengeance avait rendu habile, entouré de partis divers qui se formaient à l'ombre de son pouvoir factice pour le renverser, le duc de Guise n'avait réellement à lui que sa bonne mine, la grace de ses paroles et son indomptable courage. Il y joignit, trop facilement peut-être, un moyen de gouvernement qu'on apprend bien vite dans les révolutions, celui qui consiste à répandre du sang. Au moins pouvait-il encore tout excuser par d'heureux faits d'armes, et il fut battu. Un assaut général tenté contre les postes occupés par les Espagnols, et où fut blessé mortellement le sieur de Cérisante, manqua sur tous les points. Les Espagnols, de leur côté, avaient repris cette conduite sage et patiente qui partout avait si bien secondé leurs desseins, et dont ils s'étaient écartés une fois, lorsqu'ils voulurent engager le combat contre une révolte dans toute l'ardeur de son premier triomphe. Renfermés dans leurs châteaux et dans quelques postes bien fortifiés de la ville, ils avaient vu la flotte de France se retirer, les divisions naître et se développer, le temps agir, l'enthousiasme s'éteindre, les mécontentemens se répandre. Ils avaient encore en quelque sorte échelonné les satisfactions qu'ils croyaient pouvoir accorder aux Napolitains. Le vice-roi, sur lequel on avait eu soin de rassembler toutes les haines, s'était retiré. Don Juan d'Autriche exerçait provisoirement les fonctions de cette charge jusqu'à l'arrivée du comte d'Ognate, qu'on était allé chercher à Rome et qui vint bientôt prendre possession de la vice-royauté. Ainsi d'un côté apparaissait, pour l'ancien gouvernement que regrettaient beaucoup de gens, un personnage tout neuf, pendant que le nouvel établissement, dont on était déjà fort las, se personnifiait dans un héros usé. De ce moment les choses allèrent vite si bien qu'un jour, le duc de Guise étant sorti de Naples pour essayer de recouvrer l'île de Nisida, les Espagnols s'avancèrent en armes hors de leurs châteaux et de leurs quartiers vers les portes de la ville, qui leur furent ouvertes, et s'y installèrent presque aussi tranquillement qu'une garnison occupe ses corps-de-garde à l'heure accoutumée. Aussitôt les troupes qui accompagnaient le duc se débandèrent; il s'enfuit avec une poignée d'hommes à travers la campagne et fut pris par un parti de cavalerie ennemie, non toutefois sans avoir vaillamment combattu. Pour comble de disgrace, quand ce malheur l'atteignait à Naples, il était

déjà frappé de ridicnle à Paris. Cette cruelle opinion du monde, qui tourne en moquerie contre un amant le déshonneur de la personne aimée, s'égayait sans pitié à ses dépens. La reine s'était vuc obligée de faire enfermer dans un couvent plus sévère la jeune fille pour laquelle ce prince cherchait une couronne, et qui se montrait avide (madame de Motteville dit «gloutonne») de moins nobles plaisirs. Le duc l'avait appris, et ses sentimens en cette occasion avaient été ceux du plus faible des hommes. Il s'était désolé du mauvais traitement fait à sa maîtresse. Il s'en était plaint à la reine, au cardinal Mazarin, comme « du plus sensible témoignage de haine qu'on pût lui donner. » Il avait dit que, sans elle, sans l'assurance au moins de la savoir libre et contente, «ni la fortune, ni la grandeur, ni même la vie, » ne pouvaient lui être précieuses, et l'on s'était beaucoup amusé à la cour de cette dolente fidélité pour une infidèle par trop enjouée.

A. BAZIN.

TOME XXXVI. DÉCEMBRE.

8

CRITIQUE.

DE LA MISÉRE DES CLASSES LABORIEUSES
EN ANGLETERRE ET EN FRANCE,

PAR M. EUGENE BURET (1).

L'économie politique, que l'on a installée de prime-abord et dès le commencement de ce siècle sur le piédestal des sciences, est fort rudement attaquée aujourd'hui. Les faits se lèvent en masse et lui tombent de toute part sur les bras. Cette science, telle du moins que l'école anglaise nous l'a donnée, a déjà passé l'âge des oracles et des initiés, la période sacerdotale, comme on dit. Des dissidens nombreux en sont venus à traiter ses pontifes comme les praticiens d'aujourd'hui traitent les alchimistes du moyen-âge. Adam Smith et ses disciples ont eu affaire à la fois aux novateurs socialistes, saint-simoniens, phalanstériens, aux partisans de l'ancien régime industriel; et ce n'est pas tout, des esprits moins absolus, sans rompre avec tous les principes appliqués sous nos yeux, sans demander table rase de l'état de choses présent, ont vu leur foi au moins ébranlée. La mésintelligence qui éclate entre les faits économiques et certains principes de la science semblent aux uns parler assez haut pour condamner la théorie; d'autres veulent pousser à bout l'épreuve et attendre que le temps, ce grand critique des conceptions humaines, ait achevé son enseignement. Ici, par malheur, les trésors de l'expérience pourraient ressembler aux trésors de colère du Dieu d'Israël.

(1) 2 vol. in-8°, chez Paulin.

Les études économiques ont procédé à l'inverse de Dante, qui, dans son pélerinage, commence par la région des ténèbres, pour s'élever vers le monde de la béatitude et de la lumière; l'économie politique, au rebours, s'est installée tout d'abord dans le paradis industriel; elle a rêvé platoniquement sur la richesse des nations, sauf à redescendre tristement pour en visiter les limbes. La misère des nations, c'est la contre-partie du poème, c'est le purgatoire, dont il faut maintenant descendre les cercles jusqu'au fond.

Des esprits dont il y aurait déjà à louer le courage se sont engagés, depuis ces derniers temps, dans ces routes; des travaux d'un grave intérêt, ceux du docteur Villermé, de M. de Villeneuve, de M. de Gerando, ont tenté de réconcilier les idées économiques avec le sentiment moral. Ces travaux spéciaux, qui concernent la France, ont sondé plus d'une plaie profonde de notre état social. M. Eugène Buret, dans le livre que nous voulons examiner, se donne une carrière plus vaste; prenant pour tâche d'étudier à fond et dans tous ses replis le redoutable fléau de la misère, qui fait cortège à l'industrie moderne, il a cru rationnel de faire entrer dans le cadre de ses études le pays où le mal est le plus caractérisé. L'Angleterre tient ici le premier rang; elle a toute l'importance et tout le fardeau d'un premier rôle. C'est là que l'on trouve aux faits économiques une physionomie décidée, et qu'ils n'ont pas ailleurs à ce degré. L'Angleterre tient école; elle expérimente pour le monde, elle a marché à pas de géant dans ce champ de l'industrie où les désastres ont été mesurés sur les succès; et le pays qui a créé la science de la richesse des nations se trouve être celui où s'est creusé le plus profondément l'abîme de la misère.

Devant un tel sujet d'études on peut ajourner les abstractions de la science, les subtilités de casuiste à propos de salaire, pour songer au sort des salariés, la métaphysique du fermage et de la rente, la formule du marché, spéculations qui font oublier que les produits sont faits pour les hommes et non les hommes pour les produits, comme on l'a dit fort heureusement.

Et d'abord quel sens et quelle valeur attacher à ce mot misère dont M. Buret a fait choix? Que représente-t-il sur l'échelle du mal? Qu'est-ce que la misère? Est-ce un fait qui se confond avec l'indigence ou la pauvreté? Est-ce un mot générique ou spécial? M. Buret a grand soin de marquer le degré de valeur qu'il attribue à chacun de ses termes; il voit dans la misère le mal commun et le plus étendu dont les classes laborieuses sont atteintes au sein de la civilisation. A la différence de la pauvreté, qui n'intéresse que le corps, mais laisse l'ame en repos, et s'accepte sans douleur morale et sans lutte, la misère s'attaque à l'ame, l'enveloppe et la dégrade à la longue comme le corps. La double nature de l'homme est donc engagée dans la question de la misère. La conscience de ce qui lui manque et du droit qu'il y pense avoir s'éveille et s'irrite au contact de la richesse; il connaît la profondeur du mal où il est tombé, et consume ses forces pour en sortir. La misère est donc un fait particulier de la civilisation, et qui n'existe qu'en opposition à la richesse. Ces deux phénomènes contraires se développent en proportion l'un de l'autre ; la mi

« 이전계속 »