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sa fortune est compromise. A l'autre, elle insinue que Mile Dervières n'est venue aux bains de mer que pour tenter de se guérir d'une petite déviation de la taille. Enfin elle révèle au troisième que l'éducation de la pauvre enfant a été singulièrement négligée. Que vous dirai-je? Mme de Lacy fait si bien qu'elle met nos prétendans en déroute, et que le champ reste libre à M. Ernest de Beaumont, qui finit par épouser une belle jeune fille, charmante, droite comme la tige d'un bouleau, riche, et forte sur l'orthographe. En écoutant · cette agréable fiction, il nous semblait, à voir toute cette fine gaieté et toute cette bonne grace, que M. Bayard avait dû passer par là. Et, en effet, c'était encore lui! Ainsi donc, trois victoires en une semaine! trois batailles gagnées en huit jours! On n'a pas plus de bonheur et d'esprit.

Le nouveau roman de M. Jules Sandeau, le Docteur Herbeau, dont les lecteurs de la Revue des Deux Mondes ont déjà pu apprécier le charme et la vérité, vient de paraître réuni en volumes chez Gosselin. Nous ne doutons pas que cette nouvelle forme de publicité ne vienne confirmer le succès déjà obtenu par M. Sandeau. L'auteur de Marianna et de Madame de Sommerville se distingue entre les écrivains actuels par le soin extrême qu'il apporte dans l'accomplissement de la tâche si difficile et si complexe du romancier. Le dessin des caractères, la mise en scène, le choix des détails, le style enfin, tout témoigne, dans le Docteur Herbeau, d'une exécution sévère et patiente. Le mélange d'ironie et de sensibilité qui se remarque à toutes les pages du livre indique aussi chez M. Sandeau un renouvellement de manière dont il faut l'applaudir. Nous ne voulons ici que signaler très rapidement les qualités qui recommandent le Docteur Herbeau à l'attention des lecteurs; plus tard nous reviendrons avec détail sur cette œuvre, qui est de celles qu'on peut relire, éloge rarement mérité aujourd'hui,

Le dessinateur qui a si heureusement rajeuni et popularisé parmi nous les chefs-d'œuvre de l'apologue, Grandville, va publier un recueil d'illustrations inspirées par les réalités contemporaines. Un de nos collaborateurs concourt à l'œuvre de Grandville, sous le pseudonyme d'Old Nick, dont il a signé plus d'une page piquante. Les Petites Misères (1) uniront ainsi l'intérêt du texte à celui que leur assurent les fantaisies du spirituel dessinateur. On ne saurait désirer de plus sûres garanties de succès.

(1) Chez H. Fournier, rue Saint-Benoît, 7.

F. BONNAIRE.

UN

MOINE MÉCONNU.

Scènes du seizième siècle en Allemagne.

I.

Deux cents mules noires, superbement harnachées, parées de selles en velours de la même couleur; deux cents autres mules en caparaçon de satin, traînantes dalmatiques semées de croix et de chiffres de famille couvrant le poitrail et descendant jusqu'au sabot, précèdent avec dignité la marche et passent. Des abbés à longues moustaches les montent; leurs bottines noires, garnies de dentelles à l'évasement, sont armées d'éperons. Aux cavalcades d'abbés succèdent les cavalcades de moines, fermes sur leurs étriers, allant deux par deux et causant, quatre par quatre et discutant, huit par huit et psalmodiant.

A l'angle des routes, moines et abbés qui surviennent se confondent, prennent rang et s'alignent; ils accourent par centaines; la voie disparaît sous les, chevaux, les chevaux sous les cavaliers; s'ils s'arTOME XXXVI. DÉCEMBRE.

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rêtent, c'est une tache d'encre; s'ils marchent, un crêpe noir qui ondule.

Viennent derrière ces quatre cents mules neuf blanches haquenées enveloppées dans leurs fourreaux de brocard; elles portent, au lieu de profanes cavaliers, un petit tabernacle que surmonte un baldaquin. Le meuble sacré renferme les osties de voyage. Ces haquenées sont mitrées comme des évêques; elles en ont le saint orgueil. Chaque carrefour a été désigné d'avance comme point de rencontre; on s'y rend, et à chaque rendez-vous le fastueux pèlerinage se grossit d'un groupe d'abbés, d'un noyau de moines, sortis de leur monastère au son d'une trompe. Parfois leurs confréries les accompagnent jusqu'au carrefour processionnellement, croix et bannière en tête. Moines et abbés, s'ils sont riches, sont escortés de leurs domestiques, serviteurs moitié estafiers, moitié sacristains, ayant à l'arçon une épée perpendiculairement fixée, et du côté droit de la bride des livres pieux et un mousqueton. Ils marchent au flanc des étuvistes, des valets de pied, des médecins, des poètes, de tout le personnel de la maison à laquelle ils sont les uns et les autres attachés, ce que justifie leur livrée uniforme. La figure brodée sur leur poitrine indique leur emploi : il y a une coupe sur l'habit du médecin, une plume sur le pourpoint du poète.

D'heure en heure le ruban noir s'allonge et s'unit comme une étoffe humide sous le fer de la repasseuse. L'abbé s'emboîte avec l'abbé, le moine s'engraine avec le moine, et l'occasion pieuse du voyage efface les différences vaines de la hiérarchie.

Suivent d'autres mules, vives comme des chèvres, bruyantes de leurs sonnettes d'argent, portant des coussins et des ombrelles, et entre les ombrelles et les coussins, au double reflet rouge, des femmes paresseusement assises comme des Chinoises sous leur palanquin. On les dirait couchées sur leur sofa; à peine laissent-elles paraître la pointe brodée de leur chaussure orientale entre les plis de leur tunique.

Immédiatement après les femmes, place de courtoisie, se montrent de lourdes voitures, et dans chacune d'elles huit dignitaires de l'église, traînés par seize bœufs, deux boeufs par dignitaire. Soixante voitures ainsi attelées se placent à la file.

Dans des intervalles ménagés sur la ligne du cortége roulent des chariots chargés de musiciens, orchestre mouvant qui déploie un drapeau sur lequel on lit en gros caractères : « Musique de monseigneur le cardinal, » ou «< musique de monseigneur le légat. >>

Grotesques, mais précieux auxiliaires du voyage, les vivres marchent derrière. Ce sont les comestibles nationaux que les contrées ingrates où l'on se rend n'offrent pas beaucoup de vins, de confitures et de salaisons. Sur les vivres sont les cuisiniers. Ils voiturent les traditions de la bonne chère en pays de chrétienté, de même que leurs maîtres y propagent les saintes doctrines.

Mêlée inqualifiable, se ruent à la queue les cuisiniers et les marmitons du sacré collége, des milliers d'abbés de fortune, de ceux qui possèdent une mule à deux; des bandes d'écoliers ayant une soutane pour quatre, des moines déguenillés, mais gras et fleuris, ce qui compense, heureux de mettre sur le compte de la pénitence leurs courses nu-pieds; des théologiens cosmopolites dont la profession est d'exposer la Somme de saint Thomas au risque d'exposer, faute d'un haut-de-chausse, le dos à leurs élèves; des grammairiens affamés enseignant toutes les langues et n'ayant rien à poser sur la leur; des philosophes sans chemises, et puis des femmes dans des tombereaux pour tous ces gens-là, pour coudre la soutane à l'un, la semelle de ses souliers à l'autre; pour les aimer tous, pour jeûner avec eux, rire avec eux et manger quand l'occasion s'en présente.

Mais déjà Rome s'efface à l'horizon, la campagne se déploie. Le soleil se lève. A travers les vignes pesantes de leurs raisins mûrs blanchissent des tombes. Des cailles chantent sur les cippes. Ce filet d'eau, c'est le Tibre; ce point blanc, la maison de Salluste; là-bas une villa. Cette fumée bleuâtre voile une forêt, le soleil la découvre, un temple!

Où va la caravane à travers ces vignes, ces forêts, ces tombes et ces temples? Elle sort de Rome, et elle va par l'univers prêcher le mérite des indulgences. Ils sont dix mille. C'est beaucoup. Mais la terre a tant de pécheurs!

Au premier port de mer, beaucoup s'embarqueront pour l'Espagne, pour le Portugal ou pour la France; d'autres longeront les Apennins et iront en Grèce; le plus grand nombre décrira un coude vers le Nord, contrées oubliées de Dieu, où le catholicisme s'est levé tard; avant même ces grandes séparations, la caravane se démembrera insensiblement, et se déversera sur son passage dans les villes, les bourgs, les villages, partout enfin où il y a une croix.

Comme ce moment n'est pas encore venu, nous pouvons nous mêler au pélerinage, choisir notre place auprès des dames ou du cardinal dominicain, près des mules de celles-ci, ou à la portière de celui-là.

Le plus beau carrosse étant sans contredit celui du seigneur Pandolfi, chargé de prêcher les indulgences et de les faire prêcher à Wittenberg en Saxe, nous suivrons quelque temps son carrosse, et nous nous amuserons comme des enfans à estimer combien il y a d'or en feuilles et d'or en bosse dans ces anges qui en flanquent les quatre coins, dans ces roues qu'on devrait serrer dans le carrosse au lieu de les laisser dehors exposées à la poussière.

Signor Pandolfi ne serait pas de notre avis. Rien n'est trop beau, semble-t-il dire, pour un homme qui va représenter Dieu en Allemagne une fois par an, de peur que les bons Allemands ne l'oublient. Si, pour représenter Dieu, il faut être replet, avoir trois mentons, pas de cou, se balancer dans un carrosse de velours, signor Pandolfi représente admirablement Dieu.

Le dieu dort déjà. De sa bouche relevée par un coin s'échappe ce bruit sonore que sur la terre on appelle ronflement. Dieu ronfle, et cela tandis qu'un dominicain lui fait la lecture, et qu'un franciscain chasse les mouches de son front. L'adresse du dominicain est de lire si bien que le bruit ne soit ni trop fort pour éveiller monseigneur, ni trop faible pour qu'il ne l'entende pas absolument le mérite de la sainte lecture serait perdu. L'adresse du franciscain est d'expulser les mouches sans faire trop de vent au front du cardinal. Ils paraissent exceller dans l'art de vaincre ces difficultés.

Les matines sonnèrent, et sur toute la ligne un chant s'éleva et se prolongea d'abord en rayon harmonieux d'un bout du pèlerinage à l'autre bout. Ce premier élan d'enthousiasme qu'ont toujours les masses, soit qu'elles prient ou qu'elles blasphèment, étant passé, la prière dégénéra en conversation, la conversation en plaisanteries, en sorte que la tête de la procession priait, tandis que le milieu et la fin riaient.

Le soir, on ne vit plus Rome, et le lendemain on entra dans les Apennins, tout ondoyans de châtaigniers à leur base, de mélèzes sur leurs versans, et de lauriers sur leur sommet, comme un casque. C'eût été un beau spectacle de suivre du regard, et du haut d'une crête, dans le fond de la vallée, cette ondulation d'hommes, de femmes, de chariots, cette couleuvre aux mille anneaux paresseux, qui glisse sur un sol verdoyant, disparaît au détour d'une montagne pour luire plus loin, pour s'arrondir en boule au bord de chaque fleuve qui l'arrête.

Les fleuves ne les arrêtent pas long-temps. Des bateaux sont lancés au-devant des pèlerins dès qu'on les aperçoit de l'autre bord.

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