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tion très forte, c'est grace au caractère de lord Alderson, qui domine dans tout le roman. Pour être d'un genre différent, et pour s'accomplir dans une position dont Grimm sans doute se rendait plus difficilement compte, les autres évènemens qui se succèdent dans le cours de l'ouvrage ne sont ni moins vraisemblables, ni moins intéressans. Si nous plaçons Jenny Glanville dans un ordre qui n'est pas celui de la publication, c'est qu'il est remarquable que, tant que Mme Riccoboni peignit les affections de son ame, elle n'accorda guère au bel esprit que quelques exclamations superflues, et que Jenny Glanville est le premier ouvrage de cette série auquel on peut reprocher quelquefois d'offrir, dans l'expression des émotions vives, l'éloquence travaillée à la place de l'éloquence naturelle. Mais quelle fraîcheur dans les détails de ce roman! elle est encore frappante aujourd'hui.

Les Lettres de Sophie de Vallière furent sans doute écrites dans un instant de fatigue et de découragement; on ne retrouve le soin, dont Mme Riccoboni s'était fait un devoir, ni dans la composition, ni dans la conduite de ce roman, où il y a des longueurs et tant de récits, qu'on en trouve encore après le dénouement. Le sujet de Sophie de Vallière est le même que celui de Jenny Glanville; mais dans Sophie l'intérêt est languissant; les personnages, absolument passifs, sont des copies très pâles de ceux du précédent ouvrage. Mme Riccoboni a fait elle-même la critique de ce livre, quand elle a dit, par la bouche d'un de ses personnages : « Que miss Nesby se laisse aimer impru demment; que, par une dissimulation que rien ne motive, et qu'on peut dire révoltante, toute sa conduite donne des espérances qu'elle ne veut et ne peut pas réaliser, quand un aveu de ses engagemens secrets pourrait prévenir de grands malheurs. » A notre grand regret, nous ne saurions appeler de ce jugement.

Les Lettres de lord Rivers sont une gracieuse critique des travers et des ridicules de l'époque où Mme Riccoboni écrivit, et qui se trouvent être, à peu de chose près, les travers et les ridicules d'aujourd'hui. Elle ose, dit-on, aborder dans cet ouvrage différentes questions de morale et de philosophie. Pourquoi n'aurait-elle pas osé placer le développement de sa philosophie douce, insouciante, spirituelle, charmante, dans la bouche de lord Rivers? Le raisonnement inoffensif, piquant, plein d'agrément, ne messied pas à une femme, et les aperçus critiques et philosophiques de Mme Riccoboni n'ont pas moins de légèreté, de finesse, de bonne humeur, de délicatesse, que ses aperçus psychologiques.

Dans la partie romanesque, Mme Riccoboni s'est rencontrée avec mistriss Inchbald. Comme dans Simple histoire, la belle, la spirituelle, la grave, l'étourdie miss Ruthland, l'héroïne des Leltres de lord Rivers, aime son tuteur. Le nœud de ce roman, quoique formé plus légèrement que celui de Simple histoire, se dénoue tout aussi heureusement.

Loin d'avoir gâté l'Amélie, imitation très libre, nous en convenons, qui fut publiée après Juliette Catesby, Mme Riccoboni a fait disparaître du roman

de Fielding les inutilités, elle en a changé et anobli les caractères, elle a fait passer dans le style la finesse et toutes les qualités qui font l'agrément de ses ouvrages, parmi lesquels l'Amélie sera lue et comptée toujours.

La Marianne, autre sorte d'imitation, est une critique exquise de celle de Marivaux. Mme Riccoboni prend cette Marianne au point où il l'a laissée, la fait longuement parler, causer avec esprit, babiller, quereller avec une finesse naïve et coquette, puis elle la quitte justement au point où elle l'avait prise, satisfaite d'avoir rendu Marivaux, à cela près d'un peu de vivacité, de grace, de légèreté, de sentiment, que Mme. Riccoboni ne pouvait omettre nulle part.

Dans Ernestine, Mme Riccoboni a voulu peindre deux êtres si vertueux, si nobles et si généreux, qu'en fait de sacrifices aucun d'eux n'est vaincu. Après tant de récits qui nous montraient la femme sacrifiée à l'égoïsme, la fausseté, la perversité de l'homme, c'était là sans doute un sujet neuf, une idée fraîche et d'une simplicité charmante. Malheureusement les développemens, qui prouvent, contre la volonté de l'auteur peut-être, que l'amour n'est jamais réellement généreux, n'ont pas pour nous le même charme que pour La Harpe et pour Palissot. Ernestine, parlant avec recherche de ses principes, de sa propre estime, avec rudesse de son amour, de ses sacrifices, ne nous paraît pas avoir beaucoup d'affinité avec Fanny, avec Juliette. On doit, dit-on, accuser l'importunité des libraires de ce manque de ressemblance. Pourquoi donc La Harpe appelle-t-il Ernestine le diamant de Mme Riccoboni? Pourquoi appelle-t-il ce conte un morceau fini, qui seul suffirait à la réputation d'un écrivain? Nous pensons qu'aux yeux de La Harpe, comme à ceux des autres, la haute estime dont jouissaient Fanny et Juliette dut recommander puis

samment Ernestine.

Le titre les Deux Amies explique brièvement et très éloquemment le sujet de ce conte. Quant à l'Abeille, le début littéraire de Mme Riccoboni, c'est, comme nous l'avons dit, un recueil de fragmens dont elle avait pris l'idée dans Addison. Se jugeant elle-même au-dessous de son modèle, elle interrompit bientôt ce travail. L'Aveugle, conte merveilleux, dont elle prit l'idée dans le Tatler anglais, est une chaste peinture de l'amour généreux, plus généreux dans ce conte que dans celui d'Ernestine. Les Lettres de la princesse Zelmaïde sont écrites dans le goût oriental et furent d'abord présentées comme une traduction arabe. Dans ce morceau, très peu étendu, on retrouve encore Mme Riccoboni avec ses qualités d'épouse et d'écrivain. Dans Christine de Souabe, nous voyons une princesse, du temps des croisades, préférer les douceurs de l'amour à l'éclat du trône. Dans Aloïse de Livarot, Mme Riccoboni a peint un amour prédestiné et accompli, un mariage écrit dans le ciel. C'est une fraîche églogue que les Amours de Gertrude et de Roger. Sous le règne de Charles VII, l'héritière de Chateaubrillant a le bon goût de préférer à un tuteur vieux, laid, goutteux, avare, fantasque et tyrannique; à sa cour, formée d'écuyers mutilés, d'hommes d'armes barbus, de servantes niaises, de valets patauds, le jupon court et le blanc corset que la chanson de Boufflers avait rendus, au temps de Mme Riccoboni, les délices de la cour et de la ville. Plus

d'une grande dame de ce temps eût échangé, nous le croyons, son galant plumet pour le jupon court et pour les amours de Gertrude, alors que, nouvelle Sylvie, assise sur l'herbe courte et fleurie, au bord de ruisseaux ombragés et murmurans, elle écoutait le doux parler du beau sire de Montfort. Plus d'un seigneur du même temps eût-il, comme le beau Roger, épousé la bergère en jupon court et blanc corset, avant de la connaître pour la plus noble dame de la Bretagne? Nous ne le croyons pas.

Si les grandes dames et les grands seigneurs se plurent à cette bergerie, nous apprenons de la ballade que l'histoire d'Enguerrand, la plus charmante de celles que Mme Riccoboni a datées du moyen-âge, eut un succès populaire prodigieux. Un récit où figuraient un noble et beau chevalier, une belle et puissante héritière déguisée en page, un ermite et un ermitage, appartenait de droit à la chanson, et la chanson appartenait à tout le monde. Pendant qu'on lisait à la ville les amours d'Enguerrand de Rosemont et de Blanche de Réthel, on les chantait au village; et, dans les campagnes les plus reculées, 'il était bruit de l'orgueil tyrannique de la maîtresse, de la noble fierté de l'amant. Il arriva plus d'une fois à une vendangeuse à l'œil agaçant de faire une allusion piquante aux mépris dont l'orgueilleuse héritière accablait le beau sire de Rosemont. Il arriva aussi qu'un ténor rustique répondit à la coquette: -Non, vous n'êtes plus celle que j'aimais sans dessein, sans espérance; je brise des liens que je rougis d'avoir chéris. Quelquefois on voit encore la villageoise de la plaine, tillant le chanvre à la clarté incandescente des chenevottes, chanter d'une voix attendrie comment l'orgueilleuse Blanche abandonne sa demeure princière, déguise son sexe, cache sa beauté sous une cape, pour aller baigner de larmes la tombe d'Enguerrand. D'autres fois encore, on entend la montagnarde, qui fait paître ses génisses dans les bruyères, sur la lisière du bois, dire comment Blanche et Enguerrand se sont revus, se sont pardonné dans l'ermitage, comment le grillon, caché dans l'âtre, chantait seul à ces fiançailles d'un fier chevalier et d'une puissante dame; comment la 'table couverte de laitage pur, de fruits savoureux, éclairée par le bouleau à senteur de rose, qui flambait dans la cheminée, leur offrit un repas délicieux, car leur amour, qui jamais n'avait été si vif, n'avait pas été jusqu'ici aussi heureux. Mais quel fut le sort du charmant écrivain qui fournit, depuis près d'un siècle, aux délassemens, aux plaisirs de tant de lecteurs? Nous l'avons dit: placée de son vivant à côté de Mme de Lafayette et de Mme de Tencin, comme - s'il existait un point exact de comparaison entre le conteur agréable qui récite les faits et le poète qui les vivifie, Mme Riccoboni, dont il est difficile d'égaler l'esprit et le goût, vécut dans la pauvreté et mourut dans l'indigence.

Mme M.

UNE VISITE

A LA TOUR DE LONDRES

EN 1818.

Par une belle matinée de juin, en 1818, deux personnages assez peu importans se trouvaient ensemble dans un petit bateau qui suivait le cours de la Tamise, évitant les embarcations accumulées sur ce, point, filant, entre les vaisseaux de haut bord et les canots de toute espèce, cherchant le rivage, comme le conseille notre maître Horace, et redoutant la pleine mer, moins par modestie que par prudence, car le voisinage des gros bâtimens est aussi périlleux pour une petite chaloupe que l'amitié des puissans pour les humbles. Ces 'deux personnages étaient un grand homme sec et pâle, d'une cinquantaine d'années, et moi-même.

Nous étions partis des environs de Vauxhall-Bridge, à l'autre extrémité de Londres, et, entraînés par le courant, nous étions descendus, avec la rapidité de la flèche, jusqu'au pied de la Tour de Londres. 'Le grand homme sec était mon cicerone, l'antiquaire Bungay, qui 'm'avait promis de me montrer toutes les curiosités de la Tour, et qui mérite bien quelques paroles de commentaire, faute d'un portrait détaillé. Bungay n'avait ni femme ni enfans: il était marié aux antiquités de Londres. Une petite place chez un banquier, une petite bibliothèque composée de bouquins antiques, un petit logement 'composé de deux chambres, un habit noir râpé, trois culottes courtes et deux chapeaux, faisaient son bonheur et le font encore.

!

Mon ami l'antiquaire John Chilly Bungay F. S. A. (fellow of the

Society of Antiquaries) ne lira point ces lignes, assurément; il ne lit rien de ce qui est actuel, il méprise tout ce qui est d'hier, encore plus tout ce qui est d'aujourd'hui. Je peux donc, sans blesser sa modestie et sans trahir l'amitié, dire tout ce que je pense de lui, et transcrire, en la traduisant, la spirituelle et brillante lettre qu'il m'a récemment adressée au sujet de l'incendie de la Tour de Londres. Bungay offre dans sa perfection le type de l'antiquaire anglais. Il n'a pas seulement la vénération, mais la religion du passé. Il vit dans les décombres; il est heureux de ce qui ne fait le bonheur de personne; il jouit de mille voluptés dont vous êtes incapable et qui vous feraient sourire. Il est heureux d'une statue au nez cassé et d'une médaille sur le revers de laquelle on n'aperçoit que trois points et une étoile .*; il se soucie peu de la gloire; que lui importe la gloire? Le bonheur vaut mieux.

...

N'est-il pas maître d'un trésor inestimable? N'a-t-il pas mille plaisirs certains? Ces bornes, ces pierres, ces mousses, ces briques, ces cadres, ces bahuts, ces rides de la pierre, ces rugosités du bois sculpté, ces brisures, ces lichens, tout ce qui est vieux, corrodé, illisible, tortu, déjeté, n'est-ce pas là son domaine? Mon ami Bungay n'écrit guère, il publie fort peu. A peine a-t-il fait imprimer les quelques pages nécessaires à son admission parmi les membres de la Société des antiquaires anglais. Il professe une médiocre estime pour ceux dont le métier consiste à semer, comme dit ce poète singulier, Jean Dousa, des lettres bavardes dans des sillons de papier blanc.

Arva per papyrina

Statu loquace seminare literas.

Mon ami Bungay tire son chapeau quand il passe devant cette vilaine borne de pierre brune qui fait le désespoir des archéologues et qui, représentant un enfant au ventre énorme, apparaît dans Cheapside. Consacré par son antiquité ténébreuse, le fat boy est pour Bungay plus précieux qu'un roi vivant. Il renverse le proverbe vulgaire Mieux vaut goujat debout qu'empereur enterré. Pour lui, le plus grand empereur sur son trône n'est rien; la plus mince relique des temps passés est inestimable.

Tel existe encore, dans un état de conservation et de dessiccation très satisfaisantes, mon brave et charmant ami Bungay, le plus long, le plus pâle, le plus sec, le plus doux, le plus savant, le plus frêle, le plus patient de tous les érudits, celui qui se recommandait ou plutôt se recommande par le goût archéologique le plus vaste et le plus catholique. Toute chose lui est belle et excellente pourvu qu'elle

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