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Dans son état de délaissement, la poésie populaire a cependant conservé des partisans fidèles. Quiconque a connu le charme de ses naïves mélodies ne cessera jamais de les aimer; ceux dont le cœur a été séduit par sa beauté touchante et sans art aiment à lui rendre hommage, et chaque jour la muse candide de nos aïeux, la pauvre muse si douce et si long-temps abandonnée, fait quelque nouvelle conquête, même parmi les disciples de la littérature académique. Les philologues étudient ses formes primitives de langage et de versification; les poètes trouvent dans ses élégies d'amour, dans ses récits aventureux, une nouvelle source d'inspirations; les gens du monde eux-mêmes s'émeuvent à ses refrains mélancoliques. On cherche dans le passé, on prête l'oreille à ces sons harmonieux, à ces chants traditionnels qui résonnent encore dans le châlet de la montagne et sur les sentiers du vallon, et la poésie du peuple, évoquée par un sentiment d'amour, sort comme Juliette de son tombeau, et se montre aux regards étonnés avec sa figure virginale, sa robe blanche, sa couronne de fleurs.

L'Espagne est la première contrée qui ait commencé à recueillir ses chants populaires. Son Romancero était imprimé dès le xvre siècle (1).

L'Angleterre, l'Écosse, sont, comme on le sait, le pays des vieilles ballades et des fictions populaires. Nulle part, peut-être, si ce n'est en Allemagne, les traditions poétiques anciennes ne se sont conservées aussi long-temps. Il n'y a pas plus de trente ans que Walter Scott se les faisait encore redire par la mère de Hoog le poète, et c'est d'elle qu'il a appris sa belle ballade de lord Thomas et d'Anne la jolie. Aussi les poésies populaires ont-elles donné lieu à d'importans travaux en Angleterre. Le premier de tous est celui de Percy (2). C'est, de tous les ouvrages de ce genre, celui qui a peut-être le plus contribué à propager au dehors le goût des poésies traditionnelles en montrant combien de riches documens on pourrait y puiser pour l'histoire de l'art et pour l'histoire d'une nation. Ensuite sont venus les travaux de Warton (3), Ellis (4), Ritson (5), Ewan (6), Jamie

(1) Le premier recueil de romances espagnols est celui de Ferdinand de Castille. Il fut publié en 1510. Le Cancionero de romances parut à Anvers en 1555; le Romancero historiado de L. Rodriguez en 1579.

(2) Reliques of ancient english poetry, 3 vol. in-8°.

(3) The history of ancient english poetry, 4 vol. Voyez surtout l'introduction. (4) Specimens of early english metrical romances.

́(5) Ancient english metrical romances.

(6) Old ballads.

son (1), et Walter Scott clot dignement cette liste d'œuvres érudites par ses chants du Border (2).

En Hollande, les anciennes poésies populaires, les chants nationaux et les cantiques mystiques du moyen-âge, étaient épars dans divers recueils connus sous le nom de Blaauwbockijes. M. W. Lejeune en a composé un recueil intéressant (3), et M. Hoffmann de Fallersleben en a publié récemment un autre avec des notes excellentes (4).

Aucune nation n'a surpassé les Allemands, soit dans l'étude de leur propre poésie populaire, soit dans celle des poésies étrangères. Outre leurs recueils nationaux, faits par Gorres (5), Brentano (6), Erlach (7), outre leurs recueils en divers dialectes germaniques (8), ils ont encore une collection précieuse de chants populaires des contrées du Nord et du Sud, traduits par Herder; puis les chants populaires de la Russie, par Goetze; du Danemark, par Grimm; de la Bohême, par Hauker; de la Suède, par Monike; de l'Espagne, par Grimm et Depping.

En France, la poésie populaire est dans le patois des provinces, dans ce dialecte fortement trempé, qui, sous sa rudesse apparente, cache souvent des tours de phrase charmans et des locutions auxquelles le Dictionnaire de l'Académie, avec ses milliers de mots, ne peut suppléer (9). Tandis que notre langue littéraire se modifie, s'altère, tantôt s'égarant comme un enfant capricieux dans les sentiers du néologisme, tantôt échangeant contre des formes nouvelles, des ornemens factices, sa noble et majestueuse parure d'autrefois, pareille à une coquette qui rejette avec dédain ses vêtemens de la veille; tandis que, par leurs œuvres ou par leurs concessions, les écrivains font subir à la langue littéraire ce mouvement de réforme inces

(1) Popular songs.

(2) Border's Minstrelsy.

(3) Proeven van de nederlandsche Volkszangen sedert de XVe eeuw.

(4) Horæ belgicæ.

(5) Altdeutsche Volks und Meister lieder, 1 vol.

(6) Des Knaben Wunderhorn, 3 vol.

(7) Die Volkslieder der Deutschen, 5 vol.

(8) Voyez entre autres le recueil des chansons souabes, silésiennes, autrichiennes, etc., publié par M. J. Gunther: Gedichte und Lieder in verschiedenen Deutschen Mundarten, 1 vol.

(9) Voyez l'intéressant et savant ouvrage que M. Pierquin de Gembloux a publié à ce sujet, sous le titre de : Histoire littéraire, philosophique et biographique des patois.

sante; à l'écart du bruit de la foule et des discours académiques, le dialecte des champs se perpétue sous son humble forme, avec ses harmonies méprisées par les beaux-esprits, mais chéries de ceux qui les connaissent. C'est la langue du cœur et des doux souvenirs, la langue qui a été enseignée à l'enfant sans férule et sans pédantisme par les lèvres d'une mère, le matin au bord du vallon, le soir auprès du foyer; la langue touchante et fidèle, qui raconte les fêtes et les douleurs du châlet, les naïves légendes, les pieuses coutumes des aïeux, et qu'il faut conserver avec soin si l'on veut conserver le plus pur, le plus poétique héritage du passé. Voilà qu'à présent chaque village a son école, ses beaux parleurs, ses maîtres de grammaire : mais, graces à Dieu, leurs leçons n'ont pas encore vaincu dans le cœur du peuple l'amour qu'il porte à son vieux dialecte, et ne le vaincront pas de long-temps, j'espère. Au sortir de la classe où il a entendu discuter sur les subtilités de la syntaxe et les raffinemens du participe, l'enfant, joyeux d'échapper à cette dissection de mots, se remet tout simplement à gazouiller, comme un oiseau, l'idiome qu'il a appris sans tant d'efforts sous le toit paternel; et quand aux jours de fête et de moisson le paysan se met à chanter, ah! il ne chante ni les couplets de Désaugiers ou de Debraux, ni même les admirables vers de Béranger; il chante les strophes naïves qu'il a entendu dire à son père, et dont chacun autour de lui peut répéter le refrain, car chacun l'a recueilli comme lui dans une heure de joie et d'amour!

Un soir, assis au haut d'un de ces pics de roc escarpés qui, en certains endroits, dominent le cours impétueux du Doubs, je contemplais un des beaux paysages de Franche-Comté. D'un côté mes regards plongeaient sur une longue vallée verte et fraîche comme celles de la Suisse, mystérieuse comme celles du Nord; de l'autre j'apercevais le large toit du châlet au milieu de son rustique enclos et de quelques majestueux groupes de sapins. A mes pieds, la rivière se précipitait avec fureur contre les roches du rivage, puis se déroulait avec calme, reflétant dans ses flots limpides le rayon doré des étoiles et la blanche clarté de la lune. A quelque distance on voyait poindre, au-dessus de la forêt, la croix de la chapelle, et, plus loin, la colonne ardente d'un feu de forges qui s'élevait dans les airs comme une gcrbe d'étincelles et se dispersait comme une fusée. Les derniers sons de l'angélus expiraient dans les champs; l'oiseau dormait dans son nid, et l'on n'entendait plus que le bruissement des flots et le vague murmure des rameaux de sapins courbés et balancés par une

brise légère. Au milieu de cette harmonie de la nature, tout à coup s'éleva une voix fraîche et vibrante dont les modulations avaient je ne sais quoi de serein et de mélancolique comme le paysage déroulé sous mes yeux. C'était la voix d'une jeune fille à la taille élancée, à l'œil brun, qui s'en revenait de la prairie, le chapeau de paille sur la tête, le rateau sur l'épaule, et qui chantait, dans le patois des montagnes, cette chanson, dont ma traduction ne peut rendre le langage naïf, et dont rien ne peut exprimer la touchante mélodie:

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Dix ans après, je devais retrouver un chant presque semblable à celui-là au bord du Muonio, à quelques lieues du grand désert de Laponie. Combien il y en a, de ces poésies du peuple, qui mériteraient d'être pieusement recueillies! Combien il y en a que nous

ignorons et qui se chantent chaque jour encore autour de nous sur les landes de Bretagne, sur les côteaux du Béarn et dans les champs de l'Auvergne! Ce sont là ces perles dont parle Gray, ces perles sans tache enfouies dans l'Océan du cœur humain, ces fleurs embaumées qui répandent souvent dans l'air leurs inutiles parfums. De louables essais ont été faits pour les arracher à leur obscurité. Puissent ces essais être long-temps continués! La mine est vaste, et les filons qu'elle renferme valent bien la peine d'être explorés (1).

X. MARMIER.

(1) Il serait trop long d'énumérer toutes les dissertations publiées dans les revues de provinces sur les traditions locales et les poésies populaires de nos divers cantons. Je citerai seulement, parmi les principaux travaux de ce genre, en Bretagne, l'excellent recueil de M. de la Villemarqué, sous le titre de Breizazbrez, la partie littéraire des Derniers Bretons de M. Souvestre, les curieuses recherches de M. de Fréminville, dans son livre sur les antiquités du Finistère et des Côtes-du-Nord, les deux charmans volumes de M. Brizeux, Marie et les Ternaires, tout imprégnés de cette poésie du sol natal; en Béarn, le livre de Despourrins, livre moderne, il est vrai, mais populaire par la poésie et par la forme; l'histoire du Béarn de M. Mazure, où l'on trouve plusieurs jolies strophes bien connues des habitans de Jurançon; en Franche-Comté, les écrits de M. H. Monnier, esprit ingénieux, érudit patient; les traditions poétiques de M. Demesmay, et le recueil des anciens noëls qui se publie en ce moment à Besançon par l'impulsion de M. Ch. Weiss, ce savant infatigable, connu de l'Europe entière par ses écrits, vénéré et aimé à juste titre de toute la province à laquelle il a dévoué sa vie, et qui doit à son exemple, à ses encouragemens, à son influence, tout ce qu'elle a produit de meilleur en littérature depuis plus de trente ans.

TOME XXXVI. DÉCEMBRE.

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