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il remonta à l'autel, le baisa, et, se tournant du côté de l'assistanceabsente, dit d'une voix triste et solennelle : N'y a-t-il ici personne qui puisse me servir la messe? Il attendit quelque temps une réponse, qui ne vint pas, comme l'on peut s'imaginer. Je l'entendis pousser un profond soupir; il éteignit les cierges, referma le missel, reprit sa bougie, repassa derrière l'autel, et un moment après ce ne fut plus que ténèbres et silence.

Je ne crois certes pas aux revenans, mais je suis persuadé qu'il y a nombre de faits qui sont et resteront à jamais incompréhensibles pour la raison humaine. Quoi! cette intelligence presque divine, qui opère tant de prodiges, qui sonde infailliblement les profondeurs des cieux et calcule la marche des mondes, voilà sur la terre des voiles qui l'enveloppent et qu'elle ne pourra jamais percer! Quoi! nous vivons, et nous ne saurons jamais le secret de la vie! Nous mourrons, et nous ne saurons jamais le secret de la mort! C'est là ce qui humilie, confond, épouvante. J'ai peur des mystères. Ce n'est pas dans un club philosophique qu'il faut être esprit fort; dans le salon de Mme du Deffant, à la table du baron d'Holbach, rien n'est plus aisé. Mais j'aurais voulu voir le plus hardi penseur de la troupe encyclopédique à ma place, seul, à minuit, enfermé sans défense dans cette église à demi ruinée, au milieu d'un cimetière, bien loin de sa patrie, dans un pays inconnu; j'aurais voulu voir si, après le spectacle que je venais d'avoir sous les yeux, son incrédulité n'eût pas été ébranlée. Je dis son incrédulité, non pas son courage; ce sont deux choses tout-à-fait différentes. S'il avait persisté, tant pis pour lui: il n'eût fait preuve que d'obstination et d'étroitesse d'idées, car, s'il est une circonstance où la philosophie se réduise à savoir suspendre son jugement et douter, c'est assurément celle où je me trouvais.

Mais je me faisais un reproche: que cette figure fût celle d'un être réel ou d'un être fantastique, j'aurais dû tâcher de savoir par où elle était sortie, afin de profiter de la même issue, s'il était possible.

Je ne pensais guère à dormir. J'attendis avec impatience et anxiété. Mon espoir ne fut point déçu le retentissement de la cloche d'une heure roulait encore sous les voûtes, quand la lumière reparut. Le vieux prêtre revint et accomplit exactement les mêmes cérémonies que la première fois : il ralluma les cierges, rouvrit le missel, refit le tour de l'église, et passa encore près de mon confessionnal sans me soupçonner là. J'étais plus maître de moi, je le considérai mieux. Je fus frappé de la majesté de sa physionomie et de l'air de bonté et de souffrance répandu sur ce visage aussi pâle que s'il eût été de cire

blanche. Remonté à l'autel, il me parut prononcer d'une voix plus haute et plus assurée sa question : N'y a-t-il ici personne qui puisse me servir la messe? Pendant qu'il éteignait les cierges, je traversai la nef sur la pointe du pied, et m'allai poster contre le mur en face. De cette nouvelle position, je vis très distinctement le vieillard se baisser et descendre par une ouverture pratiquée derrière l'autel. Je m'élançai, au risque de me casser le cou; mais le passage souterrain s'était déjà refermé. Je promenai long-temps mes mains sur la surface du bois, sans pouvoir découvrir le moindre vestige de serrure ou de ferremens. Je n'osai pas frapper ni appeler, retenu par la crainte de faire du bruit à la porte d'un sépulcre.

Encore une occasion manquée! me dis-je avec dépit. Aussi n'était-ce pas de cette manière qu'il fallait s'y prendre. Je me souvenais d'avoir servi la messe dans le temps que j'étais écolier. Le fantôme reviendra sans doute; lorsqu'il appellera, je me présenterai, et nous ver

rons.

En attendant, je me mis à réfléchir. Je repassai les opinions des anciens et celles des modernes sur l'immortalité de l'ame et les fantômes; j'y joignis les conjectures que pouvait me suggérer ma philosophie particulière; je fis si bien, que peu à peu mes idées s'embrouillèrent, je n'y distinguai plus rien, mon être moral s'enveloppa -de brouillards, et je tombai dans un profond engourdissement.

Je retrouvai la conscience de moi-même par l'effet d'une musique lente et suave. C'était une manière de vieux cantique joué sur l'orgue; mais le musicien (s'il y avait un musicien) touchait si délicatement, que les sons paraissaient venir de l'autre monde. La clarté de la lune remplissait l'édifice, et je ne sais comment je me trouvais debout au milieu de la nef. Tandis que j'écoutais l'orgue céleste avec ravissement, je vis venir à moi quelqu'un : c'était une femme voilée. Quand elle fut tout près, elle releva son voile, et je reconnus ma mère. Je lui exprimais ma joie de la revoir; mais elle me fit signe de la main : – Paix, mon fils, me dit-elle; parle bas, de peur de troubler le recueillement de cette foule attentive à l'office divin. - Cependant je ne voyais personne. Ensuite elle me prit la main, et, indiquant une fenêtre par où les rayons de la lune entraient dans l'église : - Quel beau soleil! que sa chaleur est douce et vivifiante! Mon cher Albert, te fait-il autant de plaisir qu'à moi? Je lui répondis: - Ma bonne mère, je ne vous comprends pas. Il est plus de minuit, il n'y a ici personne; ce que vous prenez pour le soleil, c'est la lune, et la lune n'a point de chaleur. Mais, sans faire attention à mes paroles, elle

continua d'un ton plus grave: - Je suis heureuse, mon fils, de vous trouver en ce lieu : c'est la preuve d'un retour aux sentimens de piété que je vous inculquai dans votre enfance. Pour achever et consolider votre conversion, je veux vous mettre entre les mains d'un saint prêtre de mes amis. Suivez-moi; par ici, faisons le tour, afin de ne déranger personne. Elle me conduisit comme à travers les rangs d'une assemblée, et de temps en temps elle se détournait légèrement à droite ou à gauche, avec une inclination de tête modeste, comme si elle eût salué des gens de connaissance. Nous descendîmes jusqu'au portail, après quoi nous remontàmes le bas-côté assez haut. L'orgue avait cessé de jouer. Ma mère entra dans une chapelle et s'arrêta. Il y avait là une grande pierre sépulcrale incrustée dans le mur. Ma mère frappa du revers de la main trois petits coups discrets contre le marbre. Je n'entendis point de réponse, mais je vis la pierre tourner comme une porte sur ses gonds, et le tombeau s'ouvrit avec lenteur. Une lampe brûlait au dedans, aux pieds d'un majestueux personnage que je reconnus pour un évêque, car il portait la mitre. Sa main droite tenait une crosse enrichie de pierreries, la gauche pendait le long de son corps; il avait des gants violets, et était revêtu d'un superbe rochet de dentelle. J'eus le loisir de le considérer, car il restait immobile sur ses pieds, les paupières abaissées. Mais, lorsque la tombe fut entièrement ouverte et le passage libre, l'évêque ouvrit les yeux et fit un pas vers nous. Alors seulement les traits de son visage me frappèrent: c'était le vieillard que j'avais déjà vu deux fois cette nuit; c'était le même. Je tressaillis de surprise,........ et je me réveillai en sursaut, car j'avais dormi. Toute cette vision n'était qu'un rêve; mais il avait agi sur moi si fortement, que mon cœur battait et que j'étais baigné de sueur. Je me retrouvai au milieu des ténèbres, assis dans mon confessional.

L'horloge sonna; je regardai par la grille : le prêtre était déjà à l'œuvre. Je le laissai faire; mon plan était bien arrêté. Il refit sa ronde, comme je m'y attendais; mais, lorsqu'il fut devant ma cachette, au lieu de continuer son chemin, il se tourna brusquement en face de moi, et, me lançant un regard de feu dont je me sentis toucher matériellement, il dit d'une voix terrible et menaçante : N'y a-t-il donc ici personne qui puisse me servir la messe? J'ouvris la porte, et sans répondre un mot je le suivis.

Il reprit sa marche sans se retourner, sans paraître surpris, sans hâter le pas. Arrivés au pied de l'autel, je m'agenouillai et je sonnai l'introït avec une mauvaise sonnette qui se trouva là, et dont le

timbre fêlé n'eût pas été entendu à dix pieds de distance. Cet étrange office fut célébré jusqu'au bout; ma mémoire me servit mieux que je ne l'aurais cru. Plus d'une fois je me retournai, pour voir s'il ne nous serait pas survenu quelque auditoire fantastique; mais les cierges donnaient si peu de clarté, et au fond de l'église l'ombre était si noire, qu'il me fut impossible d'en juger avec certitude. En tout cas, je ne remarquai rien de particulier dans la voix ni dans l'action du célébrant, hormis que, après le dernier évangile, il se mit à réciter une prière pour les ames du purgatoire, qui commençait par languentibus in purgatorio. Pendant ce temps-là je méditais ce que je devais lui dire, en quels termes il convenait de lui adresser la parole,

Il s'apprêta enfin à descendre, tenant le calice de la main gauche et l'autre main posée sur la patène. Lorsqu'il fut en bas, j'allais ouvrir la bouche; mais il me prévint, et, soulevant sa main droite, il m'appliqua une si rude paire de soufflets, que je retombai évanoui sur les marches de l'autel.

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J'ignore combien de temps je demeurai en cet état. Quand je revins à moi, je me trouvai assis au soleil, sur une tombe, dans le cimetière. Un homme qui paraissait un domestique me faisait respirer un flacon de sels et m'encourageait. Je me ranimai peu à peu, je retrouvai le souvenir de ce qui s'était passé, et j'en fis part à ce brave homme. Ah! monsieur, me répondit-il, je connais bien tout cela, et je vais vous l'expliquer. C'est le père Eusèbe, un ancien moine, le seul qui reste encore de ce couvent de dominicains dont voilà les restes. Le père Eusèbe n'a jamais voulu s'en éloigner; depuis plus de vingt ans, il demeure dans ces ruines, tout seul, ne souffrant la vue d'aucune créature humaine, si ce n'est ma femme et moi, qui le servons. Nous demeurons dans cette maisonnette que vous voyez là-bas, à gauche d'un vieux saule, à l'entrée de la prairie. Il faut vous dire que le père Eusèbe est un homme d'un grand savoir. Il passe toutes ses journées à lire et à prier, mais sans jamais écrire, ou presque jamais; et encore, quand cela lui arrive, ce ne sont que des chiffres. Le pis de son affaire, c'est qu'il a le cerveau un peu.... vous comprenez, là.... un peu, oui, un peu dérangé. On dit que c'est à force d'avoir étudié, et aussi à la suite de malheurs que personne ne connaît. Sa folie est bien innocente, et même, le jour, on ne s'en apercevrait guère : elle consiste à s'imaginer qu'il est en purgatoire, et n'en sera délivré que lorsque quelqu'un lui aura servi la messe entre minuit et deux heures, dans l'église de son couvent. Je vous demande un peu à quoi ces grands génies vont penser! Enfin, depuis que je le connais, et il

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y a long-temps, monsieur, je le vois toutes les nuits se rendre à l'église par un chemin voûté qui aboutit dans le choeur, et il y retourne trois ou quatre fois chaque nuit. Dans les premiers temps je le suivais, afin de le préserver d'accidens; mais j'ai vu qu'il n'y avait absolument rien à craindre, et nous avons fini par nous y habituer et n'y plus prendre garde. Ordinairement la porte de l'église est fermée, personne au monde ne vient ici; vous êtes peut-être le premier depuis dix ans. Mais comment se fait-il que j'aie trouvé cette porte ouverte? Cela, je n'y conçois rien! Il faut que ce soit lui, qui vous aura vu rôder dans le cimetière et qui aura voulu vous attirer. - Et, dites-moi, n'avez-vous jamais eu l'idée de lui servir cette messe? Vraiment, si fait, que je l'ai eue, et je me suis présenté pour cela plus d'une fois, mais toujours il m'a reconnu et repoussé en me disant que je n'étais pas bon pour cet office. Dans le fait, j'aurais été aussi bon qu'un autre, aussi bon que vous, sans vous faire injure, monsieur, car j'ai été six mois sacristain avant mon mariage. C'est même ce qui a été cause que je me suis marié, car la nièce du curé, qui est à présent ma femme.... Oui, oui. Mais par quelle préférence m'a-t-il choisi, moi, étranger, qui lui suis totalement inconnu? Je n'en sais rien. Le père Eusèbe est aussi étranger, lui; il est de Paris, je crois. Et puis après, que voulez-vous que je vous dise? On ne peut pas rendre compte des idées d'un fou. Ah! mon Dieu! qu'est-ce donc que je dis? Fou! ce pauvre bon père Eusèbe! il ne l'a jamais été; il était seulement un peu.... et il ne l'est plus, plus du tout! vous l'avez guéri.-Que dites-vous? comment! - Eh! mais, en lui servant la messe, donc! Au petit point du jour, il m'est venu secouer dans mon lit. Wilhelm, me dit-il, lève-toi vite. La grace du ciel vient d'opérer en moi. Mes pensées sont encore confuses, mais il doit y avoir quelqu'un dans l'église, quelqu'un qui a besoin de secours. Va vite, et prodigue-lui tes soins. J'ai couru, et je vous ai trouvé étendu comme un mort; mais, grace à Dieu, vous voilà ressuscité. Wilhelm, ne pourrais-je pas voir le père Eusèbe? Tiens! je l'oubliais: il m'a tant recommandé de vous amener à lui! Comme cela se trouve, que vous me l'ayez demandé! Ah! ah! je vieillis aussi, et je commence à perdre la mémoire. Venez, venez; il a besoin de vous parler. De me parler! il vous l'a dit en ces termes? Oui, oui, il me semble qu'il me l'a dit. Allons; c'est à deux pas.

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Mon guide me fit traverser des décombres au milieu desquelles on n'aurait jamais pensé qu'un être humain eût placé son séjour. Nous

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