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Mais il serait vrai que la commodité publique avait quelque chose à gagner au changement du système métrique; mais il serait prouvé que cette variété d'appréciations et de valeurs qui lui était inhérente, ne renfermait pas en soi quelque mystère inconnu dans lequel le bien-être social est secrètement intéressé; mais un vœu unanime, enfin, aurait rendu cette réforme nécessaire, que rien ne rendrait nécessaire la réforme de la nomenclature usuelle, qui est, pour le dire en passant, la plus ingénieuse, la plus philosophique, la plus sensée, la plus belle de toutes les nomenclatures de l'homme, comme celle qu'on lui substitue est le plus détestable jargon dont se soit jamais avisée la présomption ignorante d'un néologue illétré. On ne saurait trop le dire et le répéter; une fatalité merveilleuse, dont l'explication peut être cachée dans la pensée de Dieu, dénie irrévocablement aux académies le privilége de faire des mots. Toutes les fois qu'elles veulent forger un vocabulaire et donner aux choses leur nom véritable, comme Adam, elles tombent à cent mille lieues, ou à je ne sais combien de mille myriamètres au-dessous de l'absurde. La nomenclature des mois de l'année républicaine, improvisée dans un des bureaux de la convention par quelques méchans démagogues sans études et sans lettres, avait tout le mérite qu'on peut chercher dans une extravagance de cette espèce; elle était nette, intelligible, euphonique. Les langues occultes des sociétés secrètes, qui ont été faites par des ouvriers, sont vives, énergiques, habilement figurées. L'argot de la populace, qui a été fait par des voleurs, étincelle d'imagination et d'esprit. La nomenclature des poids et mesures, qui a été faite par des académiciens, est la plus déplorable des turpitudes, et il n'en faudrait pas davantage pour déshonorer le nom français aux yeux du monde et de la postérité, si les gens sensés du pays étaient responsables, aux yeux du monde et de la postérité, de tout ce qui se fait en France depuis cinquante

ans.

Ces propositions abruptes et absolues peuvent paraître un peu hasardées, et faire crier au paradoxe. Je les rendrais sensibles à tous les esprits par une comparaison rapide de la nomenclature ancienne et de la nomenclature nouvelle; c'est même un travail aussi piquant que facile, et, pour parler sincèrement, c'est celui que je me proposais de mettre à fin, quand les premières lignes de cet écrit éphémère sont tombées de ma plume. J'y ai renoncé par d'excellentes raisons qui me dégageront envers le lecteur.

La première de mes raisons, c'est que la tâche aisée dont je parle

est réellement par trop aisée pour valoir les frais d'une élaboration sérieuse, et que j'attache trop de prix au peu d'heures qui me restent à vivre, pour les user stérilement à démontrer l'évidence même. A qui ai-je besoin de prouver que l'arc du méridien que personne n'a vu ni tenu, et que les savans eux-mêmes ne savent pas mesurer exactement quand ils le mesurent, est de sa propre nature le plus incommode de tous les étalons métriques? A qui pourrais-je apprendre qu'il convient que le vocabulaire des idées les plus familières, des agens les plus continuellement usuels de la vie sociale, soit composé de mots usuels et familiers? A qui entreprendrais-je de démontrer que le français est plus clair en français que le grec, et que la substitution d'un mauvais patois grec grossièrement fabriqué à un excellent français vieux comme la langue, pour désigner une chose que tout le monde a intérêt de connaître, ne saurait être que le fait d'un fou, quand elle n'est pas celui d'un charlatan ou d'un escroc? Est-il un seul écolier sur les derniers bancs du collége qui ait attendu mes inutiles élucubrations pour savoir que le mot kilo, par exemple, ne signifie mille en aucune langue; qu'il faut l'écrire par deux // pour en faire un mot grec, et qu'avec ce mot grec ainsi orthographié, on ne parvient à exprimer dans le ridicule killomètre de la nomenclature, que la mesure d'un ANE? Est-il un seul père de famille (hélas! et mon cœur saigne en y pensant!) qui eût empoisonné son fils unique de sa propre main, en lui administrant comme un remède salutaire trois ou quatre décigrammes de deutochlorure de mercure, s'il avait pressenti ou deviné que cinq ou six grains de sublimé CORROSIF se masquaient aujourd'hui de cette abominable formule? Voilà ce qu'il me faudrait dire, et pourquoi dire ce que n'ignore personne? Je m'étais trompé sur la nécessité de cette discussion, ou bien le sens intelligent de notre pauvre espèce est atteint d'une infirmité incurable. Il faut le laisser mourir au régime du deutochlorure et des décigrammes.

J'ai déclaré que j'avais une seconde raison pour m'abstenir, et je m'en suis peut-être avisé un peu tard. La malheureuse aberration contre laquelle je proteste a été rédigée en LOI, et toute Loi est inviolable et sacrée pour les hommes d'ordre et de paix, même quand elle est mauvaise. Il est seulement permis, je le suppose du moins, d'en attendre, d'en espérer, d'en implorer la réformation, et c'est ce que j'ose faire pour celle-ci, au nom de la raison publique et de la langue nationale outragées, si cette démarche n'excède pas, dans nos mœurs constitutionnelles, les priviléges d'un citoyen soumis

et respectueux. Je suis d'ailleurs fort préparé à ces réponses incisives qui tranchent brutalement les questions, et qui font subir au droit imprescriptible de la plainte les mêmes traitemens qu'à la révolte; je ne m'en soucierais pas davantage sous un gouvernement moins équitable et moins doux. Dans la république de Charondas ou de quelque autre législateur dont le nom m'échappe, l'orateur qui venait proposer une réforme importante paraissait à la tribune la corde au cou; je dirais aussi : Donnez-moi cette corde, et montons. Après cette déclaration de principes, qu'on trouvera peut-être un peu superbe, je finirai par exprimer d'un ton plus modeste un vœu d'un accomplissement plus facile, et qui réunira, je le sais d'avance, de vives et puissantes sympathies; le voici :

Au nom des vieilles muses que l'école classique adore toujours, au nom des vieilles et magnifiques inspirations de la langue naissante qu'une jeune école aime à renouveler, au nom de la grammaire et du dictionnaire, de la prose et de la poésie, de la pensée et du style, de l'art et de la logique, au nom de tout ce qu'il y a de plus sacré pour ces brillans esprits qu'un noble instinct a jetés dans la carrière des lettres; je viens adjurer les élégans écrivains en qui repose le dernier espoir de la littérature parvenue à son dernier âge, et cruellement menacée par des innovations barbares; je viens adjurer les vétérans illustres qui leur ont légué tant d'admirables exemples et ouvert la voie de tant de succès; j'adjure surtout, et j'adjure à genoux l'Académie française, dont j'ai osé blâmer avec quelque amertume la complaisante insouciance, mais dont personne n'est plus disposé que moi à reconnaître la souveraine autorité en matière de langage, de repousser obstinément les ruineuses richesses qu'on prodigue insolemment à la langue pour l'appauvrir et pour la perdre: je les supplie de ne jamais salir des pages destinées à l'immortalité par ces expressions vandales et topinamboues, qui seront dans quelques années un objet de dérision et de dégoût pour quiconque saura lire. En dernière analyse, ce sont les gens de lettres qui ratifient les usages de la parole et qui donnent aux mots le droit de vivre. Les mots dont les gens de lettres ne voudront point, quelle que soit d'ailleurs l'autorité qui les appuie, ces mots scandaleux, désavoués par leurs juges naturels, mourront de mort; et s'il en reste un seul, ce sera cet odieux kilomètre qui est fort propre à donner du moins la mesure de son inventeur.

Dr NEOPHOBUS.

FRAGMENS D'HISTOIRE.'

I.

DUEL DU DUC DE GUISE ET DU COMTE DE COLIGNY.

(1643.)

La duchesse de Longueville tenait le premier rang parmi les beautés de la cour. Fille du prince de Condé, elle appartenait par son père, par son frère, par son mari, à ceux qui ne voulaient que continuer avec plus de douceur le règne précédent. Sa mère était en intelligence étroite avec la régente, et c'était elle surtout qui servait à tenir éloigné le marquis de Châteauneuf, pour la part qu'il avait eue dans la condamnation du duc de Montmorency son frère. Cet intérêt aurait suffi sans doute pour rendre la jeune duchesse odieuse aux deux dames qui gouvernaient le duc de Beaufort. Mais elle comptait à peine vingt-quatre ans; la duchesse de Montbazon en avait plus de trente; l'une était proclamée aujourd'hui ce que l'autre avait été long-temps: il y avait donc entre elles toutes les conditions d'une haine mortelle. Or il arriva que, dans la chambre de la duchesse de Montbazon, se trouvèrent tombées par terre deux lettres «< passionnées, bien écrites,

(1) Ces fragmens sont extraits d'une Histoire de France sous le ministère du cardinal Mazarin, que M. A. Bazin va publier prochainement, chez l'éditeur Chamerot, 33, quai des Augustins, et qui fait suite à l'Histoire de France sous Louis XIII, dont le succès est déjà consacré.

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et d'un beau caractère de femme. » De cette chambre était sorti tout à l'heure le comte de Coligny, Maurice de Châtillon, fils aîné du maréchal. On supposa que les deux lettres s'étaient échappées de sa poche, et on voulut y reconnaître la main de la duchesse de Longueville, en ce moment enceinte, et qui avait alors, après un an de mariage, << une grande réputation de sagesse et de vertu. » Nous devons nous hâter de dire que ni l'un ni l'autre n'était vrai, que ces lettres avaient été perdues par un autre amoureux, et qu'elles compromettaient une autre dame, dont les Mémoires de Mlle de Montpensier nous ont charitablement conservé les noms. Le prince de Marsillac, en qui la personne intéressée se confia et qui ne la nomme pas, fit toutes les démarches convenables pour justifier la duchesse de Longueville, sans perdre celle dont il avait le secret: les lettres furent montrées avec la discrétion qu'il fallait, et brûlées ensuite devant la reine. Cependant des copies en avaient circulé avec la première attribution que la malignité leur conservait toujours; les propos moqueurs de la duchesse de Montbazon demeuraient sans rétractation et sans excuse. Il y avait des épées au côté des amis de la duchesse de Longueville; il y en avait une surtout, celle de son frère, que l'ennemi de la France voyait maintenant briller, et qui bientôt peut-être demanderait réparation de l'affront fait à sa sœur. La duchesse de Montbazon avait aussi ses champions, et il se fit à l'hôtel de Chevreuse une assemblée de quatorze princes, que les maisons de Vendôme, de Savoie, de Lorraine, de Rohan et de La Rochefoucauld pouvaient armer pour sa cause. Les deux moitiés de la cour étaient ainsi en présence. On essaya d'abord une réconciliation entre les dames. A un jour fixé, devant des personnes choisies, des paroles concertées furent adressées par la duchesse de Montbazon à la princesse de Condé, qui lui fit une réponse convenue. Cela pouvait passer pour une espèce d'accommodement. Mais, quelques jours après, la princesse et la duchesse se rencontrèrent par hasard en même lieu, le soir, dans un jardin public situé à l'extrémité des Tuileries, où la reine avait accepté de la duchesse de Chevreuse « une collation. » Comme cette fois rien n'était réglé pour leur approche, elles ne purent s'aborder même froidement. La princesse exigeait que la duchesse de Montbazon se retirât, celle-ci n'en voulait rien faire; il y eut un long débat entre les amis de l'une et de l'autre, après lequel la 'partie de plaisir fut rompue, et l'on se sépara «< sans avoir rien mangé. » La duchesse de Montbazon reçut aussitôt l'injonction de se rendre dans une de ses maisons.

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