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Bourgogne, qui auraient chargé de leur vengeance commune un camarade, lui-même directement intéressé dans la question. La vérité est que ce fut le jeune auteur et non le vieux comédien qui s'en chargea, ou peut-être celuici trouva-t-il à propos d'employer en cette occurrence le nom de son fils, pour mieux cacher ses représailles et châtier plus à l'aise l'impertinence de Molière. Mais il n'y a nul besoin de recourir à cette hypothèse, et il est peu probable que Montfleury fils n'ait servi que de prête-nom en cette circonstance, quoiqu'il ait été vraisemblablement échauffé par bien des colères et aidé par bien des sarcasmes mis en commun. Le fils devait ressentir vivement l'injure faite au père, et le jeune homme ne devait pas reculer devant le combat. D'ailleurs Antoine Jacob, gendre de Floridor, fils d'un illustre de la troupe et l'un des auteurs assidus de l'hôtel de Bourgogne, se regardait et était regardé par les comédiens comme de la maison.

On trouvera peut-être que nous avons appuyé bien longuement sur une chose si simple et si évidente; mais, voyant cette erreur, favorisée par quelques apparences et par une confusion qui s'établit d'elle-même, se répéter chaque jour, et parfois jusque dans les travaux les plus compétents, nous avons cru qu'il n'était pas inutile de la discuter et de la réfuter.

Le théâtre d'Antoine-Jacob Montfleury est très-connu. Plusieurs de ses pièces, entre autres la Femme juge et partie, qui contre-balança le succès de Tartufe, et qu'on a reprise encore dernièrement avec les corrections de M. Onésime Leroy, sont restées au répertoire. Presque toutes, du moins les plus importantes, sont vives, spirituelles, amusantes, ingénieuses, lestement conduites, suffisamment versifiées. Quand il est en verve, Montfleury attrape à merveille le vers de comédie, brisé, court, rapide, se modelant sur la conversation par des rejets et des enjambements semblables à ceux que l'école moderne se vante d'avoir introduits au théâtre. Elles offrent le plus souvent d'excellents caractères comiques, bien tracés et bien soutenus. Par là, comme aussi par son esprit, sa gaieté et sa verve, Montfleury est, parmi les comiques du deuxième ou troisième ordre, un de ceux qui se rapprochent parfois le plus de Molière; mais il serait plus juste de le comparer à Regnard, dont il a, dans ses bonnes pièces, l'entrain, la désinvolture et la morale assez cavalière, sans en avoir le style étincelant et l'irrésistible comique.

Il n'a guère manqué à Montfleury, pour monter à un rang supérieur, que plus de variété dans l'invention et surtout un effort plus vigoureux et plus franc vers la comédie de mœurs et de caractères. La plupart de ses œuvres, même celles qui semblent d'abord rentrer dans cette dernière catégorie, sont des imbroglios, où il dessine et met en scène des types fort plaisants sans doute, mais sans souci de la vraisemblance, en se proposant avant tout d'exciter la curiosité du lecteur et de l'amuser. Certes, on ne demande pas au poëte comique d'écrire des sermons, mais encore faut-il que son œuvre signifie quelque chose, et qu'elle ait un but. On n'attend pas de Montfleury la sévère dignité d'un moraliste; mais on est en droit de lui reprocher des licences et des crudités de langage, un malheureux penchant aux plaisanteries inconvenantes et d'un goût équivoque, une prédilection marquée pour des personnages qui, au fond, sont de francs coquins, une

raillerie systématique des sentiments et des devoirs les plus respec tables, enfin une rage de bouffonnerie qui ne s'arrête point à la limite où elle devient du cynisme, et qui n'a même pas l'air de soupçonner que cette limite existe. Quand, dans Trigaudin ou Martin Braillart, il prend pour héros de sa comédie un homme qui veut faire épouser sa propre femme à un autre, afin de se débarrasser ensuite de celui-ci par une certaine poudre, et de mettre la main sur son coffre-fort, il dépasse de beaucoup les bornes du comique; et en pareil cas, l'art et le goût sont solidaires des offenses portées à la morale. Le spectateur doit s'attendre à voir ce drôlé pendu au dénoùment, tandis qu'il est simplement puni par un bon tour qu'on lui joue, et par quelques plaisanteries sur le compte de sa poudre. Le sens moral parait s'éteindre chez Montfleury dès qu'il met la plume à la main. Son École des filles est aussi une bien singulière école, et j'aime mieux celle de Fénelon.

Voici la liste de ses pièces :

Le Mariage de Rien, un acte, vers, jouée en mars 1660, à l'Hôtel de Bourgogne (Paris, Guill. de Luynes, 1660, in-12). Ce n'est qu'une farce sans grande importance, mais amusante et déjà prestement rimée. Cette petite pièce à tiroirs, badinage échafaudé sur la pointe d'une aiguille, se dénoue par une subtilité bouffonne. L'auteur a abusé de sa facilité pour développer trop longuement ce frèle canevas, en un style dont la désinvolture n'empêche ni la prolixité, ni les incorrections. La dédicace est signée Antoine Jacob, advocat au parlement : nous avons déjà dit que tels étaient le vrai nom et le titre de l'auteur. On a de cette pièce une autre édition de 1660, suivant la copie imprimée à Paris, très-petit in-12 de 36 p. où manque la dédicace. Elle reparut en 1680 (Paris, Jean Ribou, in-12), sous le nom de Montfleury. De plus, elle fait partie des OEuvres de Montfleury, (Amsterdam, Adrian Braakman, 1698, 2 tom. en un vol. in-12; Paris, Christ. David, 1705, 2 vol. in-12), du Théatre de MM. de Montfleury père et fils (Paris, Cie des libraires, 1739, 3 vol. in-12; Paris, Vve Duchesne, 1775, 4 vol. in-12).

Les Bestes raisonnables, un acte, vers, jouée à l'Hôtel de Bourgogne en 1661 (Paris, Guill. de Luynes, 1661, in-12, sous le nom d'Antoine Jacob, comme la précédente; achevé d'imprimer le 15 mai, privil. du 28 février), dédiée à Fr. de Rostaing, chevalier, comte de Bury, conseiller du roi, maréchal de camp.

Le Mari sans femme, cinq actes, vers, Hôtel de Bourgogne, 1663, l'une de ses pièces les plus rares en édition originale. Beauchamps ne l'indique pas dans la liste qu'il a donnée des productions de l'auteur, et ni La Vallière, ni le catalogue Soleinnes ne décrivent la première édition. Elle a été recueillie dans les OEuvres de M. Montfleury, 1705, 2 vol. in-12, etc.

L'Impromptu de l'hostel de Condé, un acte, vers, Hôtel de Bourgogne, nov. 1663 (Paris, Pépingué, 1664, in-12, privil. du 15 janvier achevé d'imprimer le 19). Elle est suivie, dans l'édition originale, de pièces de vers relatives aux hostilités des deux théâtres.

Trasibule, tragic., cinq actes, vers, Hôtel de Bourgogne, 1664 (Paris, Nicol. Pépingué, 1664, in-12), rare aussi.

L'École des Jaloux, ou le Cocu volontaire, trois actes, vers, Hôtel de Bourgogne, 1664 (Paris, Pépingué, 1664, in-12, privilége du 15 janvier, achev. d'impr. le 19).

-L'École des filles, cinq actes, vers, Hôtel de Bourgogne, 1666 (Paris, Nicol. Pépingué, 1666, in-12), à peu près aussi rare que le Mari sans femme. La Femme juge et partie, cinq actes, vers, Hôtel de Bourgogne, mars 1669 (Paris, Jean Ribou, 1670, in-12). C'est sa pièce la plus célèbre et la plus souvent reprise, celle qui donne le mieux sa mesure. Elle est fondée, dit-on, sur l'histoire d'un certain marquis de Fresne, qu'on accusait d'avoir vendu sa femme à un corsaire.

- Le Procez de la Femme juge et partie, un acte, vers, Hôtel de Bourg., 1669. (Ibid., Gabriel Quinet, 1670.).

La Fille capitaine, cinq actes, vers, Hôtel de Bourg., 1669 (Ibid., Pierre Le Monnier, 1672), pièce amusante et spirituelle, pleine de verve comique, restée longtemps au répertoire.

Le Gentilhomme de Beauce, cinq actes, vers, Hôtel de Bourg., août 1670 (Ibid., J. Ribou, 1670, in-12), très-rare.

L'Ambigu-comique, ou les Amours de Didon et d'OEnée, tragéd. en trois actes, en vers, mêlée de trois intermèdes comiques, Th. du Marais, 1673 (Ibid., Henry Loyson, 1673, in-12).

Le Comédien poete, cinq actes, vers, avec un prologue et deux intermèdes en prose, théât. de la rue Mazarine, 10 nov. 1673. (Ibid., Pierre Promé, 1674, in-12.) Cet ouvrage comprend une première pièce en un acte, et une autre en quatre actes. On a réimprimé séparément le premier acte sous le titre du Garçon sans conduite, avec un nouveau prologue en prose (1698, in-12),et les quatre suivants sous le titre des Amants infortunés. (Caen,Godes, 1700, in-12).

- Trigaudin ou Martin Braillart, cinq actes, vers, Hôtel de Bourg., 26 janvier 1674. (Paris, P. Promé, 1674, in-12.) Montfleury a pris le sujet de cette pièce dans une historiette du Mercure galant de 1672 (t. IV) : la Femme aux deux maris, qui est présentée comme une aventure réelle. Crispin gentilhomme, cinq actes, vers, Hôtel de Bourg., 1677; la Dame médecin, id., th. de la rue Mazarine, 14 janvier 1678, et la Dupe de soy-mesme,' id., qui semble n'avoir pas été jouée, quoique le catalogue de H. Duval marque le lieu et la date de sa représentation (Hôtel de Bourg., 1680), n'ont été imprimés pour la première fois que dans le recueil des œuvres de Montfleury, donné en 1739, in-12. Beauchamps, dont les Recherches sur les théatres avaient paru quatre ans auparavant, ne les a pas mentionnés.

Parmi les pièces de Montfleury qui ont été jouées à l'Hôtel de Bourgogne, j'ai choisi les Bestes raisonnables, l'Impromptu de l'hostel de Condé et

Il ne faut pas la confondre avec une autre comédie du même nom, due à Mme La Grange de Richebourg, et qui est bien postérieure.

l'École des jaloux; je ne donne qu'un extrait de la première, mais je reproduis en entier la seconde, qui est une des pièces les plus importantes de la grande bataille contre Molière, et la troisième, une des plus gaies de notre vieux répertoire. Nous retrouverons encore Montfleury dans les volumes suivants.

Il y a dans les Bestes raisonnables une véritable idée comique. Une raison qui, jointe à celle-là, nous a décidé à la choisir, c'est qu'elle est la plus rare et la moins connue de toutes les pièces de Montfleury. Elle est même tellement rare que Léris croyait qu'elle n'avait pas été imprimée. Quant à Beauchamps, il la range, avec le Mariage de rien, sous le nom de Jacob, et quoiqu'il ait reconnu que cette dernière appartenait à Montfleury, parce qu'elle reparut en 1680 avec cette signature, il ne s'est pas aperçu que l'autre en était aussi, et que Jacob, qu'il prend pour un nom supposé, est le vrai nom de famille de cet auteur, qui ne s'appela Montfleury que plus tard, et lorsqu'il eut décidément quitté le barreau pour s'adonner à la muse comique. Elle n'a pas été recueillie dans les OEuvres de Montfleury, pas même dans les éditions de 1739 et de 1775. Si les garanties de certitude n'étaient aussi irrécusables, il serait permis d'hésiter à cause de l'extrême faiblesse de la versification. On a peine à comprendre comment celui qui allait écrire le Mary sans femme, et même qui venait d'écrire le Mariage de rien, a pu, dans l'intervalle, composer un ouvrage d'un style souvent si lourd et si lâche. Même lorsqu'il est négligé ou incorrect, Montfleury a des qualités de verve, de rapidité, de facilité qui lui font ici complétement défaut. Quant aux grossières équivoques dont cette petite pièce est parsemée, ce n'est malheureusement pas une raison pour autoriser le doute, -au contraire.

Montfleury a donc très-médiocrement rendu l'idée qui fait le fond de sa comédie. Ajoutons que cette idée n'est pas de lui. Les frères Parfaict disent, sans s'expliquer autrement, qu'il la doit à un dialogue italien : c'est la Circé de J.-B. Gilli, Florentin (1550), traduite par du Parc (deuxième édition, Paris, 1672). Telle que l'a développée Montfleury, elle forme le cadre ou le canevas d'une très-jolie pièce, plutôt que la pièce même. D'autres en ont tiré parti après lui et mieux que lui. Fuselier et Legrand ont fait représenter en 1718, à la foire Saint-Germain, les Animaux raisonnables, petit opéra-comique ou vaudeville en prose, mêlé de nombreux couplets : c'est tout à fait la même idée que celle des Bestes raisonnables, et les auteurs l'ont traitée avec beaucoup d'esprit et d'entrain, mais d'une manière superficielle '.

Encore une fois, c'est moins pour son mérite que pour sa rareté, pour l'idée piquante sur laquelle repose l'intrigue, et aussi pour quelques curieux détails, que nous donnons des fragments de cette pièce.

Quoique d'une marche moins lente et d'une versification moins faible, l'Impromptu de l'hostel de Condé est également très-éloigné d'être une bonne pièce. Montfleury, encore jeune d'ailleurs, la composa avec une précipitation

Boyer avait donné en 1648, au Marais, Ulysse dans l'isle de Circé, tragi-comédie. Le 20 octobre 1691, le théâtre italien joua Ulysse et Circé, com. en trois actes, en prose par L. S. A. D. S. M. (La Selle).

et une colère qui ne lui permirent même pas d'y mettre le style aisé et mordant qu'on trouve déjà dans ses comédies de la même époque. Elle n'a guère qu'un mérite: celui d'avoir surtout attaqué Molière par le point vraiment vulnérable et à l'endroit sensible, c'est-à-dire dans l'idée qu'il s'était faite de son talent d'acteur tragique, et dans la prédilection mal fondée qu'il avait pour le genre noble. Les vers piquants où Montfleury raille cette faiblesse sont demeurés célèbres; mais c'est à peu près tout ce qu'il y a de bon dans cette pièce très-courte et encore plus insignifiante, d'un style incroyablement négligé, d'une intrigue nulle, et où tout le comique, comme on le voit à la lecture, devait être en jeux de scène et en parodies de Molière. Montfleury, qui reproche à celui-ci que ses vers perdent tout leur prix quand on les imprime, et qui ajoute qu'il faudrait vendre ses grimaces en même temps que ses ouvrages, pour les rendre supportables, ne s'est pas aperçu que cette critique retombait en plein snr sa propre pièce. L'Impromptu de l'hostel de Condé n'a que la valeur d'un document historique et littéraire, mais à ce point de vue il est fort intéressant. C'est une chose incroyable que la platitude de toutes ces diatribes dirigées contre Molière, qui ne portait pas bonheur à ses ennemis. L'émulation eût dû redoubler leur verve pour les rapprocher d'un tel adversaire; on dirait, au contraire, qu'ils en étaient paralysés et alourdis dans leurs facultés réelles.

L'Impromptu de l'hostel de Condé ne semble même pas avoir eu le succès du Portrait du peintre et de la Vengeance des marquis; du moins n'a-t-il pas laissé tant de traces dans les écrits des contemporains, et particulièrement dans ceux qui sont relatifs à la querelle soulevée par l'École des femmes : il y est souvent question de la première de ces pièces, quelquefois de la seconde, presque jamais de celle de Montfleury.

L'École des jaloux est une farce plutôt qu'une comédie, mais une farce tout à fait « joyeuse et récréative », et qui serait excellente si les mœurs y étaient respectées davantage. Montfleury a poussé l'insolence de la bouffonnerie jusqu'à dédier sa pièce aux c...., par une longue épître où il dit, entre autres choses : « Messieurs, en vous dédiant ce livre, je suis asseuré, quant aux exemplaires, que si chacun de vous en achète un, le libraire sera riche à jamais, et que si le quart de ce que vous estes me fait des remerciemens, j'ay des complimens à recevoir pour plus de six mois... Je ne sçais si un volume si petit flattera assez vostre ambition pour vous obliger à l'avouer. Mais, Messieurs, afin de le grossir, si quelqu'un de vous me veut donner une liste des autres, je crois qu'en l'ajoustant à cecy, j'en feray faire un volume fort agréable et fort ample. L'épitre dédicatoire est écrite d'un bout à l'autre sur ce ton de persiflage froidement ironique, et rien ne peut mieux donner l'idée de l'étrange liberté de langage que s'arrogeaient nos vieux auteurs comiques, et en particulier Montfleury. Toute cette dédicace rappelle le mot cynique de Jodelet au parterre, rapporté par Tallemant des Réaux. Molière lui-même ne s'est pas toujours fait faute de semblables allusions dans ses pièces, quoiqu'il s'y montre beaucoup plus discret, et l'on sait, en tout cas, combien il hésite peu à se servir de ce mot dont Montfleury abuse avec tant de prédilection, et qui assurément n'avait pas au dix-septième siècle la gros

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