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PERSONNAGES.

M. DE HAUTEROCHE, comédien.
Mlle POISSON, comédienne.

LE BARON DE CALAZIOUS.
LE POETE BASQUE.
GODENESCHE, poëte apprentif.
BIDACHE, valet du poëte.

M. DE FLORIDOR, comédien.
Mile DE BEAUCHASTEAU, comédienne.
Mlle DE BRECOURT, comédienne.

M. SAINT-GEORGES, comédien 1.

Pour tous ces comédiens, voir la liste des acteurs de l'Hôtel de Bourgogne, a la suite de notre Notice sur le théâtre, placée en tête de ce volume. - Mlle Poisson est la femme de l'auteur.

A MONSIEUR DE FRANCHAIN,

CONSEILLER DU ROY EN SA COUR DE PARLEMENT DE THOLOSE, ET DANS SA CHAMBRE DE L'ÉDIT A CASTRES.

MONSIEUR,

elle

Vostre nom mis à la teste de cette lettre vous fait croire aisément que je vous dédie cet ouvrage, et que, dans cette longue épistre, je rends publiquement à vostre mérite les respects que je luy rends tous les jours en secret; mais j'ose vous dire que je n'en ay pas la pensée : cette pièce est trop peu considérable pour vous l'offrir. Je vous dirois bien que sa grande réussite et l'empressement des libraires, qui, pour la mettre sous la presse, m'ont accablé de prières et d'argent, méritoient bien un nom aussi fameux que le vostre; mais je ne sçaurois mentir a eu un destin tout contraire. La vérité est que je croyois faire une pièce admirable, que je vous l'avois destinée avant qu'en avoir fait un vers, et que je ne puis encore m'empescher de l'enrichir de vostre nom. Excusez, je vous prie, et mon audace et mon obstination, et ne vous en chagrinez pas davantage. Ouy, j'espérois qu'elle iroit de pair avec le Menteur, que sa réussite passeroit celle du Cid; mais je me suis trompé. Cependant jamais pièce ne m'a plus cousté, non pas pour l'impression, car le libraire est fort généreux, et est asseurément le meilleur de mes amis il a voulu l'imprimer à ses dépens de la meilleure grace du monde 1. Quoy que je ne sois qu'une cinquième partie d'autheur, j'ay plus d'amis libraires qu'un autheur tout entier. Ils sont tous infatués de ce que je fais; ils me disent sans cesse que mes pièces ne se peuvent payer, et je vois bien qu'ils ont raison, car personne n'en achette: si eux et moy n'en faisions des présens, nul n'en auroit que nous 3, et si ce n'est pas faute qu'ils ne crient de toute leur

Ce libraire est Gabriel-Quinet, qui publia le Poëte basque, in-12, en 1669. 2 Parce que sauf les Femmes coquettes et les Foux divertissans, toutes deux d'ailleurs postérieures à cette épitre, il ne publia que des pièces en un acte. La petite comédie de la Mégère amoureuse, qui sert d'appendice au Poëte basque, a un commencement de 2e acte, mais qui est interrompu dès les premiers vers, et le Ier acte n'a qu'une scène.

* Pendant très-longtemps on ne fit imprimer que la moindre partie des pièces de théâtre, non-seulement parce que, une fois imprimées, elles tombaient dans le domaine public, mais parce qu'on les achetait très-peu. On allait les voir, mais on ne les lisait pas. Molière lui-même, comme on sait, laissa plusieurs de ses comédies sans les faire imprimer, et il fallut lui forcer la main pour d'autres. (Voir p. 257, note 3.) En tête de Philine ou l'Amour contraire, pastorale de La Morelle, jouée avec un grand succès en 1630, on lit un avis du libraire, qui s'excuse en quelque sorte

teste quand je suis à la boutique, J'ay les comédies de monsieur Poisson, Messieurs, voyez icy 1. Et c'est là que la joye secrète d'un petit autheur de rien ne se peut exprimer. J'avoue aussi qu'entendre son nom éclater dans le Palais par la bouche d'un libraire, est quelque chose de bien glorieux. J'ay, grace à mon génie, receu cet honneur, et gousté la joye de me voir imprimé; mais je crois que celle de se voir vendre est toute autre, et c'est celle-là que je n'ay point encore sentie, quoy que j'aye exprès été quatre ans de suite fort souvent au Palais. Je me souviens pourtant qu'un matin je pensay bien avoir entière satisfaction là-dessus; il ne s'en fallut presque rien. Un honneste homme voulut donner trois sous du Baron de la Crasse, et le libraire en me montrant, luy dit : « Tenez, voilà l'autheur qui sçait bien que je ne le puis donner à moins de cinq; la relieure m'en couste deux ». Dès aussitost cet homme, quoy que mal vestu, ne manqua ny de civilité ny d'esprit. Il m'aborda, me traita d'illustre et d'admirable, me dit qu'il avoit mille fois remarqué dans mes ouvrages le plus beau génie du monde; enfin il m'accabla de tant de louanges, que je ne pus m'empescher de luy faire présent de la pièce qu'il vouloit acheter. Il me parla de la comédie et des poëtes avec tant d'esprit, qu'il me fut aisé de le prendre pour un homme de lettres aussi se trouva-t-il un des plus fameux secrétaires de Saint-Innocent 3. Il me fit offre de son service, et me montrant sa tombe ou sa place sous les charniers, car nous revinsmes du Palais ensemble, nous nous séparasmes là, et je m'applaudis en secret d'en avoir si bien jugé. Voilà, Monsieur, l'un des plus grands avantages que cinq ou six bagatelles, que j'ay mises au théâtre sous le nom de comédies, m'ont procurés avec justice. Cependant j'en ay dédié une partie aux gens de la plus haute qualité, et l'autre aux plus délicates plumes de nostre siècle, avec autant de fierté que si j'avois été monsieur de Corneille, et si elles eussent été plus belles que Rodogune, Cinna, et Pompée. Je m'imaginois mesme qu'ils m'avoient de grandes obligations, quand ils rougissoient, comme peut-estre vous faites maintenant, de voir leur nom à la teste d'un ouvrage si

de publier cette pièce, sur les avis pressants qu'il en a reçus, lorsqu'il y a si peu de personnes qui aient la curiosité d'acheter les œuvres de théâtre. Ainsi le fait dont Poisson se plaint avec tant de belle humeur n'était nullement rare.

Ce passage, confirmé par plusieurs autres de la Galerie du Palais, de Corneille, de la ville de Paris en vers burlesques, de Berthold (chap. des Galanteries du Palais), etc., montre que les libraires criaient eux-mêmes leur marchandise, et appelaient les chalands. Dans l'Impromptu de l'Hostel de Condé, la marchande offre de la même manière les œuvres de Poisson.

2 La galerie du Palais de Justice, pleine de marchands et de libraires.

3 On appelait ainsi les écrivains publics qui remplissaient les charniers du cimetière des Innocents. Cl. de l'Estoile, un des cinq auteurs, avait fait une comédie intitulée le Secrétaire de Saint-Innocent, que la mort l'empêcha d'achever.

peu digne d'eux. Enfin je voulois à toute force faire le grand autheur, moy qui ne sçais presque pas lire, et qui n'ay étudié que Lazarille de Torme, Buscon et Fortunatus. Mais, Monsieur, comme cette longue lettre est pour vous aussi inutile qu'elle sera ennuyante à tous ceux qui la liront, n'en lisez plus que la fin. Le libraire m'a secrètement prié de grossir le livre de quelque chose; mais je ne sçais plus de quoy, si je ne dis encore que la louange qu'un nombre d'adulateurs donnent également à une bagatelle, comme au poëme le plus parfait, achève bien de gaster les gens. Après la représentation de quelques-unes des miennes, je m'en suis veu accablé dans nostre Hostel, par ceux qui n'y payent point. L'on ne peut rien voir de plus plaisant, me disoientils, personne n'écrit si naturellement que vous; il est impossible de mieux faire dans ce genre, et vous devriez écrire sans cesse. J'avallois tout cela comme du nectar, et, le cœur enflé comme un ballon, j'allois le lendemain au Palais exprès pour m'y faire voir, car je m'imaginois que chacun m'y devoit regarder avec admiration. Il en est quelquesuns beaucoup plus habiles que moy, mais qui ne sont guère moins foibles sur la bonne opinion d'eux-mesmes, qui avallent cette fumée d'aussi bon cœur que je faisois, et qui, si je ne me trompe, en avalleront autant et plus que moy avant qu'en estre suffoqués, si dans l'adveu que je fais de mes sottises ils ne reconnoissent le portrait des leurs. Puisque je vois toutesfois qu'elles donnent à rire aux habiles gens comme aux autres, je n'en veux pas demeurer là; ils se divertissent à les voir, je me veux divertir à les faire. Mais je ne les dédieray plus aux gens de qualité : les illustres, comme les Ranchains et les

Lazarille de Torme et l'Aventurier Buscon sont deux romans espagnols, de Hurtado de Mendoza et de Quevedo, qui appartiennent au genre populaire et picaresque. Traduits en français dès le seizième siècle, et très-recherchés, comme l'étaient alors toutes les productions de la littérature espagnole, ils ont donné naissance chez nous, durant le dix-septième siècle, au genre du roman comique bourgeois et positif, opposé aux romans chevaleresques et pastoraux. Les Aventures merveilleuses de Fortunatus, avec sa bourse inépuisable et ce merveilleux chapeau qu'il lui suffisait de mettre sur sa tète pour se transporter immédiatement où il voulait, sont encore populaires aujourd'hui, mais on ignore quel en est l'auteur. La première édition connue de cette histoire est allemande (Augsbourg, 1509); la première version française parut en 1615, à Lyon (Histoire comique, ou les Aventures de Fortunatus, trad. de l'espagnol par Ch. Vion Dalibray). On la retrouve dans presque toutes les langues de l'Europe.

> Toutes les éditions que nous avons pu voir, et qui reproduisent cette épître, portent bien en tête: 4 M. de Franchain, et ici : les Ranchains. Cependant on serait tenté de croire qu'il y a une faute d'impression dans le premier cas, et qu'il s'agit ici et là du mème personnage, c'est-à-dire de Jacques de Ranchin (c'est ainsi qu'il faut écrire le nom), qu'on appelait Ranchin de Castres, et auquel semblent se rapporter parfaitement les qualités attribuées par le titre de cette Epitre à M. de Franchain. Jacq. de Ranchin, né à Montpellier vers 1604, mort en 1692, appartenait à une famille célèbre dans la magistrature et les lettres. A la fois magistrat et bel CONTEMP. DE MOLIÈRE. - 1. 28

Pélissons, n'y verront plus leurs noms profanés. Ma foy, je ne sçais plus que dire je vais finir, après avoir prié, Monsieur, que dans vostre grande bibliothèque, où vous vous promenez tous les jours au milieu de tant d'autheurs, le Poëte basque y prenne place, puisque tous les autheurs s'y rangent; et si vous luy faites cet honnenr, je pourray dire avec vérité que vous avez jusqu'au dernier des poëtes et jusqu'au dernier des autheurs, puisque vous y avez celui qui est ravy de faire connoistre à tout le monde que vous voulez bien qu'il se dise icy,

Monsieur,

Vostre très-humble et très-obéissant serviteur,

POISSON.

esprit lui-même, il fut conseiller au parlement et président de la troisième chambre des enquêtes à Toulouse, et il publia des poésies légères d'un tour heureux et d'une grande élégance. C'est de lui le fameux triolet :

Le premier jour du mois de mai

Fut le plus heureux de ma vie, etc.

Il remporta d'un seul coup, par acclamation, les quatre fleurs de l'Académie de Clémence Isaure, et fut reçu maitre ès Jeux floraux. Ses pièces ont été imprimées sous son nom à Toulouse, chez Jean Pech, 1675. Ses deux fils se distinguèrent également dans les lettres. (Voir Biographie toulousaine, par Dumége et LamotheLangon; d'Aigrefeuille, Histoire de Montpellier; Laya, Mosaïque du Midi, etc.

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