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GERARD DE

1190.

Sire de Sabloïl ou Sablé en Anjou, qui fe fit Templier en RIDERFORT. arrivant au camp des Chrétiens, & qui, peu après, fut choifi Grand-Maître (2). Tandis que, fous fa conduite, la flotte Angloife rangeoit les côtes de Portugal, le Miremolin d'Afrique fe préfenta devant Tomar, & l'inveftit avec une armée de plus de cinquante mille hommes. Le célebre Dom Galdim Paez, qui avoit fondé cette place dix ans auparavant, y commandoit, & la défendit, fecondé des Templiers fes confreres, avec tant de bravoure, qu'il obligea les Sarrafins à fe retirer devant Santaren. Heureufement pour le Roi Dom fanche, qui s'y étoit renfermé, la flotte Angloife, étant fur le point de paffer le détroit, fut repouffée par une bourrafque jufqu'aux embouchures du Tage; Robert, débarqué avec cinq cents Anglois, se jetta dans cette place, & en fit lever honteusement le fiége aux Infideles (3).

Les deux Rois, arrivés enfin à Meffine, & obligés d'y paffer l'hiver, , n'y furent pas long-tems en paix ils étoient de caractere & d'humeur trop contraires, pour ne pas donner bientôt lieu à quelque méfintelligence. Richard fe brouilla d'abord avec les François, puis avec les Meffinois, jufqu'au point d'affiéger ceux-ci, & d'abandonner leur ville au pillage.

Ces incidens alloient faire échouer le projet de la croifade, fi les Chevaliers & Seigneurs des deux Nations n'euffent engagé les parties intéreffées à terminer leurs différends à l'amiable. Richard confentit que Meffine demeurât fous la garde des Templiers & des Hofpitaliers, jufqu'à ce qu'il se fût accommodé avec le Roi de Sicile, à qui il avoit des répétitions à faire. Tancrede fe prêta volontiers aux avis des médiateurs, & Philippe, qui avoit un fond de bonté naturelle qui le portoit à modérer fes reffentimens, voulut bien auffi fe réconcilier avec Richard. Ils renouvellerent l'alliance qu'ils avoient jurée en fe croifant, & convinrent en outre que l'argent

(2) Hiftoire de la Maifon de Sablé, liv. 6, Hiftoire d'Angleterre, par de Larrey, tom, I, chap. 5, pag. 174, 175.

(3) Hift. de Portugal, par Laclede, p. 202.

pag. 413.

&

& les meubles de tous ceux qui viendroient à mourir en chemin, feroient partagés en deux parts; que de l'une, chacun disposeroit à fa volonté, à condition cependant de n'en rien renvoyer à sa famille, & que l'autre moitié feroit mise entre les mains des chefs de l'efcadre, fur-tout de Robert de Sablé, de l'Archevêque de Rouen, des Templiers & des Hofpitaliers. Il fallut que chacun, fans en excepter les Chevaliers, fe founît à ce réglement & à quelques autres rapportés par l'Annaliste Anglois (4).

La rigueur de l'hiver paffée, Philippe mit à la voile vers le milieu de mars, & arriva en vingt-deux jours devant Acre: les Anglois ne fuivirent que trois semaines après. A peine Richard étoitil en mer, qu'une furieufe tempête difperfa une partie de fa flotte, & lui valut la conquête de l'Ile de Chypre, de la maniere qui eft racontée dans la Chronique de Trevet (5).

Richard confia d'abord à quelques-uns de fes favoris le gouvernement de cette nouvelle acquifition; puis il l'abandonna aux Tenpliers, pour une fomme de vingt-cinq mille marcs d'argent, qui font trois cent mille livres de notre monnoie (6). C'est moins dans l'inconduite des Chevaliers, que dans la mutinerie des Grecs, & dans leur antipathie pour les Latins, qu'il faut chercher la raifon pourquoi l'Ordre ne fut que très peu de tems en poffeffion de cette Ifle. Les Chypriots, qui n'ont jamais paffé pour guerriers, ne laifferent pas de fe révolter contre leurs nouveaux maîtres, & les réduifirent à fe renfermer dans un fort, en vue de les y affamer. Les Chevaliers, aimant mieux périr les armes à la main, que de fe rendre à difcrétion, fortirent en bon ordre, & en vinrent à une action où les Grecs furent battus. D'autres racontent la chose de cette maniere : les Templiers voulant, malgré les Infulaires, prendre poffeffion du château de Nicofie, ceux-ci s'en emparerent, dans la réfolution de s'y défendre; mais voyant qu'on fe difpofoit à les

GERARD DE RIDERFORT.

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(4) Rogeri de Hoveden Annal. pag. 674, 675.

Tome I.

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(5) Trivetti Chronicon, ad annum 1191.
(6) Scriptores Italici, tom. 7, pag. 809.
A a

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forcer, & qu'ils n'étoient pas en état de foutenir un fiége, ils fortirent de la place en fureur, & firent main-baffe fur les Chevaliers. Le P. de Lufignan ajoute qu'il y eut du fang répandu en cette occafion, & en telle quantité, qu'on le vit ruiffeler du château dans la plaine. Les Chevaliers cependant, devenus maîtres de la place, la ruinerent, & bâtirent en cet endroit une petite Eglife qu'ils appellerent Châtillonnette.

Riderfort, informé par les fiens qu'il leur feroit impoffible de fe maintenir dans cette acquifition, engagea le Roi d'Angleterre à la reprendre Richard, qui venoit de l'ériger en royaume, la revendit, pour la même fomme, à Gui de Lufignan. Les Princes de cette maifon l'ont poffédée pendant plus de deux fiecles (7).

Il y avoit deux ans & plus que le fiége d'Acre étoit formé, lorfque les Occidentaux y arriverent: les foixante-dix mille hommes qu'ils débarquerent rendoient l'Armée Chrétienne forte de trois cent mille hommes. C'eût été plus qu'il n'en falloit pour enlever cette place en peu de jours, fi la difcorde n'y eût mis obstacle. La jaloufie fut portée à un point, qu'on fe vit à la veille d'en venir aux mains, pour décider par un combat, à qui appartiendroit le Royaume de Jérufalem. La préfence des deux Rois ne fit qu'augmenter le trouble: ils prirent parti dans la querelle, Philippe contre Lufignan, dont il n'aimoit pas la famille, Richard contre Conrad, qu'il regardoit comme un Ufurpateur. D'ailleurs, l'ancienne jaloufie des Anglois contre les François s'étant ranimée, elle paffa des Chefs aux Officiers, & des Officiers aux Soldats, de forte que tout étoit perdu, fi les Chevaliers & les Prélats n'euffent enfin ramené les efprits à un accommodement. Ceux du Temple & de Saint-Jean avoient affez mérité la confiance des deux Nations, pour être choifis médiateurs entre leurs Souverains; ils furent donc chargés de percevoir & diftribuer équitablement les acquifitions qui faifoient le

(7) Itinerarium Regis Anglorum, in tom. 2. Hiftoria Anglorum, lib. 2, cap. 37.

Tyrii continuata Hiftoria. Hift. du Royaume de Chypre, pag. 122.

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principal objet de leur animofité; & comme il s'élevoit tous les jours de nouveaux débats entre les deux contendans au Royaume RIDERFORT. de Jérufalem, au fujet des droits de douane fur ce qui fe vendoit dans le camp,& fur cequi abordoit au port, les mêmes Chevaliers furent établis pour les lever, à charge d'en rendre compte à qui il appartiendroit (8). Enfin il fut arrêté que Lufignan garderoit toute fa vie le titre de Roi de Jérufalem, fans que fes enfans, s'il venoit à fe remarier, euffent aucun droit à cette fucceffion, laquelle appartiendroit à Conrad & aux enfans qu'il auroit d'Isabelle. Pour Onfroi de Thoron, qui, du chef de cette Princeffe qu'on lui avoit ravie, avoit en effet plus de droit que perfonne à cette royauté titulaire, il fut contraint de fubir la loi du plus fort. Le Ciel ne permit pas que Conrad jouît long-tems des fruits de fon ambition; il fut affaffiné quelque mois après par deux Émiffaires Bathéniens, & la Reine Isabelle fe remaria, au bout de trois jours, à Henri, Comte de Champagne.

La paix ainfi conclue entre les Princes, on ne penfa plus qu'à preffer fortement le fiége. La réfiftance qu'on effuya fut tout autre qu'on ne pensoit, parce que les tems orageux ayant obligé les affiégeans de conduire leur flotte dans le port de Tyr, comme plus sûr & plus commode que celui d'Acre, le Sultan eut tout lieu de ravitailler la place & d'en renouveller la garnifon. Depuis ce moment, les Francs donnerent en vain plufieurs affauts; ils furent autant de fois repouffés avec perte. Par furcroît d'infortune, une maladie épidémique leur enlevoit jusqu'à deux cents foldats par jour, & presque toutes leurs machines étoient écrasées ou brûlées : une feule tour ambulante avoit coûté quinze cents dinars au Comte de Champagne (9). Toutefois, rien ne ralentiffoit l'activité des nouveaux venus dans le cours du mois de mai, ils eurent fept batteries dreffées & en état d'agir continuellement.

(8) Rogeri de Hoveden Annal., pag. 693. | Les Dinars étoient de même poids que les (9) Hift. des Arabes, liv. 1, chap. 2, dans Befans des Grecs; or, un Befaut valoit près d'une le 16. tome de l'Hift. Univ. des Anglois.

piftole.

GERARD DE RIDERFORT.

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La place étoit baignée du fud au les eaux de la mer nord Par & défendue par des rochers escarpés : du côté du continent, elle avoit deux enceintes de murs, flanqués de fortes tours, dont la principale, qui étoit à la pointe d'un angle faillant, fe nommoit la Tour maudite (10). Ce fut de ce côté-là que les Templiers, joints aux François & aux Pifans, formerent leur attaque; dans peu ils ébranlerent la tour, & firent à côté une brêche affez confidérable pour pénétrer jufqu'au fecond mur, mais une grêle de traits & une pluie de naphte & de fable brûlant les en eurent bientôt éloignés (11). Il en arriva autant aux Anglois, qui ailleurs avoient renverfé un grand pan de mur.

Comme Saladin fe trouvoit pofté de façon à favorifer les forties des affiégés, & à fatiguer les Francs par de continuelles alarmes auffi il ne manquoit pas de les attaquer par derriere toutes les fois qu'ils alloient à l'affaut, ce qui leur fit préfumer qu'ils ne viendroient jamais à bout de réduire la place fans une horrible effufion de fang. On essaya donc encore d'approcher des murs un de ces châteaux de bois, au bas duquel étoit fufpendu le bélier. Cette machine fut bientôt réduite en un feu de joie : c'étoit la dixieme, pour le moins, qu'ils brûlerent par le moyen des traits enflammés qu'ils lançoient contre, & du naphte qu'ils jettoient au pied (12),

Ces tours avoient fouvent jufqu'à foixante coudées de haut, & débordoient de beaucoup les murs de la ville: elles pouvoient contenir cinq à fix cents hommes, avec les armes & machines nécesfaires. Nous avons vu ailleurs qu'on les faifoit avancer fur des platesformes avec des rouleaux on avoit foin de les couvrir de peaux de bœufs marinées dans du vinaigre, pour les rendre impénétrables au feu. Un jeune chaudronier de Damas trouva, dit-on, le fecret de préparer le naphte de maniere qu'en en jettant, avec des pots de fonte, une quantité fuffifante au bas des tours, le feu y prenoit

(10) Il faut voir la figure ancienne de cette ville dans Marin Sanut, à la fin; & dans l'Hift. générale de Jérufalem, tom. 1, pag. 296.

(11) Roger de Hoveden, pag. 694.

(12) Hift. des Arabes, liv. " ch. 2, au tom. 16 de l'Hift. Univ. des Anglois.

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