« Souffrons que la raison éclaire enfin nos âmes : « Nous sommes vos voisins, nos filles sont vos femmes, « Et l'hymen nous a joints par tant et tant de nœuds, Qu'il est peu de nos fils qui ne soient vos neveux; « Nous ne sommes qu'un sang et qu'un peuple en deux villes : Pourquoi nous déchirer par des guerres civiles, « Où la mort des vaincus affaiblit les vainqueurs, « Et le plus beau triomphe est arrosé de pleurs? « Nos ennemis communs attendent avec joie Qu'un des partis défait leur donne l'autre en proie, « Lassé, demi-rompu, vainqueur, mais, pour tout fruit, « Dénué d'un secours par lui-même détruit. << Ils ont assez longtemps joui de nos divorces << Contre eux dorénavant joignons toutes nos forces, « Et noyons dans l'oubli ces petits différends « Qui de si bons guerriers font de mauvais parents. Que si l'ambition de commander aux autres << Fait marcher aujourd'hui vos troupes et les nôtres, << Pourvu qu'à moins de sang nous voulions l'apaiser, «Elle nous unira, loin de nous diviser. « Nommons des combattants pour la cause commune; «Que chaque peuple aux siens attache sa fortune; " Et, suivant ce que d'eux ordonnera le sort, Que le faible parti prenne loi du plus fort: Mais, sans indignité pour des guerriers si braves, Qu'ils deviennent sujets sans devenir esclaves, << Sans honte, sans tribut, et sans autre rigueur « Que de suivre en tous lieux les drapeaux du vainqueur n'arrête l'éloquente rapidité de son discours, c'est là qu'on reconnaît le grand Corneille. Il n'y a que tant et tant de nœuds à reprendre. (V.) 1 Ce mot de divorces, s'il ne signifiait que des querelles, serait impropre : mais ici il dénote les querelles de deux peuples unis; et par là il est juste, nouveau, et excellent. (V.) D'horreur pour la bataille, et d'ardeur pour ce choix. Enfin l'offre s'accepte, et la paix désirée Sous ces conditions est aussitôt jurée : Trois combattront pour tous; mais, pour les mieux choisir, CAMILLE. O dieux, que ce discours rend mon âme contente! CURIACE. Dans deux heures au plus, par un commun accord, Cependant tout est libre, attendant qu'on les nomme : Chacun va renouer avec ses vieux amis. Pour moi, ma passion m'a fait suivre vos frères; CAMILLE. Le devoir d'une fille est dans l'obéissance. CURIACE. 3 Verez donc recevoir ce doux commandement 3, CAMILLE. Je vais suivre vos pas, mais pour revoir mes frères, Ademar nest trop du style de la comédie. Je fais souvent cette observation; c'était un des vices du temps. La Sophonisbe de Mairet est tout entière dans ce style; et Corneille s'y livrait quand les grandes images ne le soutenaient pas. (V.) 2 Le bonheur sans pareil n'était pas si ridicule qu'aujourd'hui. Ce fut Boileau qui proscrivit toutes ces expressions communes de sans pareil, sans seconde, à nul autre pareil, à nulle autre seconde. (V.) 3 Ce vers et le précédent sont de pure comédie: aussi les retrouve-ton mot à mot dans la comédie du Menteur: mais l'auteur aurait dû les retrancher de la tragédie des Horaces. (V.) 4 Il n'est pas inutile de dire aux étrangers que misère est, en poésie, un terme noble, qui signifie calamité, et non pas indigence. Hécube près d'Ulysse acheva sa misère. . . . . JULIE. Allez, et cependant au pied de nos autels ACTE SECOND. SCENE PREMIÈRE. HORACE, CURIACE. CURIACE. Ainsi Rome n'a point séparé son estime; Et puisque c'est chez vous que mon heur et ma flamme Que je tremble pour Albe et prévois son malheur : Et me compte déjà pour un de vos sujets. HORACE. Loin de trembler pour Albe, il vous faut plaindre Rome, Voyant ceux qu'elle oublie, et les trois qu'elle nomme. C'est un aveuglement pour elle bien fatal Rome, quoi qu'il en soit, ne sera point sujette, CURIACE. Hélas! c'est bien ici que je dois être plaint. HORACE. Quoi! vous me pleureriez mourant pour mon pays! CURIACE. A vos amis pourtant permettez de le craindre; SCÈNE II. HORACE, CURIACE, FLAVIAN. CURIACE. Albe de trois guerriers a-t-elle fait le choix? FLAVIAN. Je viens pour vous l'apprendre. CURIACE. Eh bien, qui sont les trois? FLAVIAN. Vos deux frères et vous. CURIACE. Qui? FLAVIAN. Vous et vos deux frères '. Mais pourquoi ce front triste et ces regards sévères? Ce choix vous déplaît-il? CURIACE. Non, mais il me surprend; Je m'estimais trop peu pour un honneur si grand. FLAVIAN. Dirai-je au dictateur, dont l'ordre ici m'envoie, CURIACE. Dis-lui que l'amitié, l'alliance et l'amour Ne pourront empêcher que les trois Curiaces FLAVIAN. Contre eux! Ah! c'est beaucoup me dire en peu de mots. CURIACE. Porte-lui ma réponse, et nous laisse en repos. Ce n'est pas ici une battologie; cette répétition, vous et vos deux frères, est sublime par la situation. Voilà la première scène au théâtre où un simple messager ait fait un effet tragique, en croyant apporter des nouvelles ordinaires. J'ose croire que c'est la perfection de l'art, (V.) |