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Ft, de grâce, empêchez surtout qu'elles ne sortent :
Leur amour importun viendrait avec éclat
par des cris et des pleurs troubler notre combat;
Et ce qu'elles nous sont ferait qu'avec justice
On nous imputerait ce mauvais artifice;
L'honneur d'un si beau choix serait trop acheté,
Si l'on nous soupçonnait de quelque lâcheté.

LE VIEIL HORACE.

J'en aurai soin. Allez vos frères vous attendent;
Ne pensez qu'aux devoirs que vos pays demandent '.

CURIACE.

Quel adieu vous dirai-je? et par quels compliments...

LE VIEIL HORACE.

Ah! n'attendrissez point ici mes sentiments;
Pour vous encourager ma voix manque de termes;
Mon cœur ne forme point de pensers assez fermes:
Moi-même en cet adieu j'ai les larmes aux yeux 2.
Faites votre devoir, et laissez faire aux dieux 3.

ACTE TROISIÈME.

SCÈNE PREMIÈRE 4.

SABINE.

Prenons parti, mon âme, en de telles disgrâces;
Soyons femme d'Horace, ou sœur des Curiaces;
Cessons de partager nos inutiles soins;

Des pays ne demandent point des devoirs; la patrie impose des devoirs; elle en demande l'accomplissement. (V.)

2 Cette larme paternelle qui tombe des yeux de l'inflexible vieillard touche cent fois plus que les plaintes superflues des deux femmes. On reconnaît ici la vérité de ce qu'a dit Voltaire, que l'amour n'est point fait pour la seconde place. (LA H.)

3 J'ai cherché dans tous les anciens et dans tous les théâtres étrangers une situation pareille, un pareil mélange de grandeur d'âme, de douleur, de bienséance, et je ne l'ai point trouvé je remarquerai surtout que chez les Grecs il n'y a rien dans ce goût. (V.)

4 Ce monologue de Sabine est absolument inutile, et fait languir la pièce. Les comédiens voulaient alors des monologues. La déclamation approchait du chant, surtout celle des femmes; les auteurs avaient cette

Souhaitons quelque chose, et craignons un peu moins.
Mais, las! quel parti prendre en un sort si contraire?
Quel ennemi choisir, d'un époux, ou d'un frère?
La nature ou l'amour parle pour chacun d'eux,
Et la loi du devoir m'attache à tous les deux.
Sur leurs hauts sentiments réglons plutôt les nôtres ;
Soyons femme de l'un ensemble et sœur des autres ;
Regardons leur honneur comme un souverain bien;
Imitons leur constance, et ne craignons plus rien.
La mort qui les menace est une mort si belle,
Qu'il en faut sans frayeur attendre la nouvelle.
N'appelons point alors les destins inhumains;
Songeons pour quelle cause, et non par quelles mains;
Revoyons les vainqueurs, sans penser qu'à la gloire
Que toute leur maison reçoit de leur victoire;
Et, sans considérer aux dépens de quel sang
Leur vertu les élève en cet illustre rang1,
Faisons nos intérêts de ceux de leur famille :
En l'une je suis femme, en l'autre je suis fille;
Et tiens à toutes deux par de si forts liens,
Qu'on ne peut triompher que par les bras des miens.
Fortune, quelques maux que ta rigueur m'envoie,
J'ai trouvé les moyens d'en tirer de la joie,

Et puis voir aujourd'hui le combat sans terreur,
Les morts sans désespoir, les vainqueurs sans horreur.
Flatteuse illusion, erreur douce et grossière,
Vain effort de mon âme, impuissante lumière,
De qui le faux brillant prend droit de m'éblouir,
Que tu sais peu durer, et tôt t'évanouir!

Pareille à ces éclairs qui, dans le fort des ombres,

complaisance pour elles. Sabine s'adresse sa pensée, la retourne, répète ce qu'elle a dit, oppose parole à parole.

En l'une je suis femme, en l'autre je suis fille.
En l'une je suis fille, en l'autre je suis femme.

Songeons pour quelle cause, et non par quelles mains.
Je songe par quels bras, et non pour quelle cause.

Les quatre derniers vers sont plus dans la passion. (V.)

Il ne s'agit point ici de rang: l'auteur a voulu rimer à sang. La plus grande difficulté de la poésie française et son plus grand mérite est que la rime ne doit jamais empêcher d'employer le mot propre. (V.)

Poussent un jour qui fuit, et rend les nuits plus sombres,
Tu n'as frappé mes yeux d'un moment de clarté
Que pour les abîmer dans plus d'obscurité.

Tu charmais trop ma peine; et le ciel, qui s'en fâche,
Me vend déjà bien cher ce moment de relâche.

Je sens mon triste cœur percé de tous les coups
Qui m'ôtent maintenant un frère, ou mon époux.
Quand je songe à leur mort, quoi que je me propose,
Je songe par quels bras, et non pour quelle cause,
Et ne vois les vainqueurs en leur illustre rang
Que pour considérer aux dépens de quel sang.
La maison des vaincus touche seule mon âme;
En l'une je suis fille, en l'autre je suis femme,
Et tiens à toutes deux par de si forts liens,
Qu'on ne peut triompher que par la mort des miens.
C'est là donc cette paix que j'ai tant souhaitée?
Trop favorables dieux, vous m'avez écoutée !
Quels foudres lancez-vous quand vous vous irritez,
Si même vos faveurs ont tant de cruautés?
Et de quelle façon punissez-vous l'offense,
Si vous traitez ainsi les vœux de l'innocence?

SCÈNE II.

SABINE, JULIE.

SABINE.

En est-ce fait, Julie? et que m'apportez-vous ??
Est-ce la mort d'un fière, ou celle d'un époux?
Le funeste succès de leurs armes impies

De tous les combattants a-t-il fait des hosties 3?
Et, m'enviant l'horreur que j'aurais des vainqueurs,

1 La tragédie admet les métaphores, mais non pas les comparaisons. pourquoi? parce que la métaphore, quand elle est naturelle, appartient à la passion; les comparaisons n'appartiennent qu'à l'esprit. (V.)

2 Autant la première scène a refroidi les esprits, autant cette seconde les échauffe; pourquoi? c'est qu'on y apprend quelque chose de nouveau et d'intéressant: il n'y a point de vaine déclamation, et c'est là le grand art de la tragédie, fondé sur la connaissance du cœur humain, qui veut toujours être remué. (V.)

3 Hostie ne se dit plus, et c'est dommage; il ne reste plus que le mot de victime. Plus on a de termes pour exprimer la même chose, plus la poésie est variée. (V.)

Pour tous tant qu'ils étaient demande-t-il mes pleurs?

JULIE.

Quoi! ce qui s'est passé, vous l'ignorez encore?

SABINE.

Vous faut-il étonner de ce que je l'ignore?
Et ne savez-vous point que de cette maison
Pour Camille et pour moi l'on fait une prison?
Julie, on nous renferme, on a peur de nos larmes;
Sans cela nous serions au milieu de leurs armes,
Et, par les désespoirs d'une chaste amitié,
Nous aurions des deux camps tiré quelque pitié.

1

JULIE.

Il n'était pas besoin d'un si tendre spectacle;
Leur vue à leur combat apporte assez d'obstacle.
Sitôt qu'ils ont paru prêts à se mesurer,
On a dans les deux camps entendu murmurer :
A voir de tels amis, des personnes si proches,
Venir pour leur patrie aux mortelles approches,
L'un s'émeut de pitié, l'autre est saisi d'horreur,
L'autre d'un si grand zèle admire la fureur;
Tel porte jusqu'aux cieux leur vertu sans égale,
Et tel l'ose nommer sacrilége et brutale.
Ces divers sentiments n'ont pourtant qu'une voix;
Tous accusent leurs chefs, tous détestent leur choix;
Et, ne pouvant souffrir un combat si barbare,
On s'écrie, on s'avance, enfin on les sépare.

SABINE.

Que je vous dois d'encens, grands dieux, qui m'exaucez!

JULIE.

Vous n'êtes pas, Sabine, encore où vous pensez :
Vous pouvez espérer, vous avez moins à craindre;
Mais il vous reste encore assez de quoi vous plaindre.
En vain d'un sort si triste on les veut garantir;
Ces cruels généreux n'y peuvent consentir :
La gloire de ce choix leur est si précieuse,

1 On n'emploie plus aujourd'hui désespoir au pluriel; il fait pourtant un très-bel effet. Mes déplaisirs, mes craintes, mes douleurs, mes ennuis, disent plus que mon déplaisir, ma crainte, etc. Pourquoi ne pourrait-on pas dire mes désespoirs, comme on dit mes espérances? Ne peut-on pas désespérer de plusieurs choses, comme on peut en espérer plusieurs ? (V.)

Et charme tellement leur âme ambitieuse,
Qu'alors qu'on les déplore ils s'estiment heureux,
Et prennent pour affront la pitié qu'on a d'eux.
Le trouble des deux camps souille leur renommée;
Ils combattront plutôt et l'une et l'autre armée,
Et mourront par les mains qui leur font d'autres lois,
Que pas un d'eux renonce aux honneurs d'un tel choix.

SABINE.

Quoi! dans leur dureté ces cœurs d'acier s'obstinent!

JULIE.

Oui; mais d'autre côté les deux camps se mutinent,
Et leurs cris, des deux parts poussés en même temps,
Demandent la bataille, ou d'autres combattants.
La présence des chefs à peine est respectée,
Leur pouvoir est douteux, leur voix mal écoutée;
Le roi même s'étonne; et, pour dernier effort :

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Puisque chacun, dit-il, s'échauffe en ce discord', « Consultons des grands dieux la majesté sacrée, << Et voyons si ce change à leurs bontés agrée. « Quel impie osera se prendre à leur vouloir, " Lorsqu'en un sacrifice ils nous l'auront fait voir? »> Il se tait, et ces mots semblent être des charmes; Même aux six combattants ils arrachent les armes; Et ce désir d'honneur qui leur ferme les yeux, Tout aveugle qu'il est, respecte encor les dieux. Leur plus bouillante ardeur cède à l'avis de Tulle; Et, soit par déférencé, ou par un prompt scrupule, Dans l'une et l'autre armée on s'en fait une loi, Comme si toutes deux le connaissaient pour roi 2. Le reste s'apprendra par la mort des victimes.

SABINE.

Les dieux n'avoueront point un combat plein de crimes;
J'en espère beaucoup, puisqu'il est différé,

Et je commence à voir ce que j'ai désiré.

En ce discord ne se dit plus, mais il est à regretter. (V.)

2 C'est une petite faute: le sens est, comme si toutes deux voyaient en lui leur roi. Connaître un homme pour roi ne signifie pas le reconnaître pour son souverain. On peut connaître un homme pour roi d'un autre pays ; connaître ne veut pas dire reconnaître. (V.)

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