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SCÈNE II.

LE VIEIL HORACE, VALÈRE, CAMILLE.

VALÈRE.

Envoyé par le roi pour consoler un père,

Et pour lui témoigner...

LE VIEIL HORACE.

N'en prenez aucun soin :

C'est un soulagement dont je n'ai pas besoin;

Et j'aime mieux voir morts que couverts d'infamie
Ceux que vient de m'ôter une main ennemie.

Tous deux pour leur pays sont morts en gens d'honneur;
Il me suffit.

VALÈRE.

Mais l'autre est un rare bonheur; De tous les trois chez vous il doit tenir la place.

LE VIEIL HORACE.

Que n'a-t-on vu périr en lui le nom d'Horace!
VALÈRE.

Seul vous le maltraitez après ce qu'il a fait.

LE VIEIL HORACE.

C'est à moi seul aussi de punir son forfait

VALÈRE.

Quel forfait trouvez-vous en sa bonne conduite?

LE VIEIL HORACE.

Quel éclat de vertu trouvez-vous en sa fuite?
VALÈRE.

La fuite est glorieuse en cette occasion.

LE VIEIL HORACE.

Vous redoublez ma honte et ma confusion .
Certes, l'exemple est rare et digne de mémoire,
De trouver dans la fuite un chemin à la gloire.
VALÈRE.

Quelle confusion, et quelle honte à vous
D'avoir produit un fils qui nous conserve tous,
Qui fait triompher Rome, et lui gagne un empire?
A quels plus grands honneurs faut-il qu'un père aspire?

LE VIEIL HORACE.

Quels honneurs, quel triomphe, et quel empire enfin, Lorsque Albe sous ses lois range notre destin?

VALÈRE.

Que parlez-vous ici d'Albe et de sa victoire?
Ignorez-vous encor la moitié de l'histoire?

LE VIEIL HORACE.

Je sais que par sa fuite il a trahi l'État.

VALÈRE.

Oui, s'il eût en fuyant terminé le combat;

Mais on a bientôt vu qu'il ne fuyait qu'en homme
Qui savait ménager l'avantage de Rome

LE VIEIL HORACE.

Quoi, Rome donc triomphe 1?

VALÈRE.

Apprenez, apprenez

La valeur de ce fils qu'à tort vous condamnez.

Resté seul contre trois, mais en cette aventure

Tous trois étant blessés, et lui seul sans blessure,
Trop faible pour eux tous, trop fort pour chacun d'eux,
Il sait bien se tirer d'un pas si hasardeux;

Il fuit pour mieux combattre, et cette prompte ruse
Divise adroitement trois frères qu'elle abuse.
Chacun le suit d'un pas ou plus ou moins pressé,
Selon qu'il se rencontre ou plus ou moins blessé;
Leur ardeur est égale à poursuivre sa fuite;
Mais leurs coups inégaux séparent leur poursuite.
Horace, les voyant l'un de l'autre écartés,
Se retourne, et déjà les croit demi domptés :
Il attend le premier, et c'était votre gendre.
L'autre, tout indigné qu'il ait osé l'attendre,
En vain en l'attaquant fait paraître un grand cœur,

Le sang qu'il a perdu ralentit sa vigueur.

Albe à son tour commence à craindre un sort contraire;
Elle crie au second qu'il secoure son frère :

Il se hâte et s'épuise en efforts superflus;

Il trouve en les joignant que son frère n'est plus.

CAMILLE.

Hélas!

VALÈRE.

Tout hors d'haleine il prend pourtant sa place,

Que ce mot est pathétique! comme il sort des entrailles d'un vieax Romain! (V.)

Et redouble bientôt la victoire d'Horace':
Son courage sans force est un débile appui ;
Voulant venger son frère, il tombe auprès de lui.
L'air résonne des cris qu'au ciel chacun envoie ;
Albe en jette d'angoisse, et les Romains de joie2.
Comme notre héros se voit près d'achever,

:

C'est peu pour lui de vaincre, il veut encor braver 3
« J'en viens d'immoler deux aux mânes de mes frères;
<< Rome aura le dernier de mes trois adversaires,
« C'est à ses intérêts que je vais l'immoler, »>
Dit-il; et tout d'un temps on le voit y voler.
La victoire entre eux deux n'était pas incertaine;
L'Albain percé de coups ne se traînait qu'à peine,
Et, comme une victime aux marches de l'autel,
Il semblait présenter sa gorge au coup mortel :
Aussi le reçoit-il, peu s'en faut, sans défense,
Et son trépas de Rome établit la puissance.

LE VIEIL HORACE.

O mon fils! ô ma joie! ô l'honneur de nos jours!
O d'un État penchant l'inespéré secours!
Vertu digne de Rome, et sang digne d'Horace!
Appui de ton pays, et gloire de ta race!

Quand pourrai-je étouffer dans tes embrassements
L'erreur dont j'ai formé de si faux sentiments?
Quand pourra mon amour baigner avec tendresse
Ton front victorieux de larmes d'allégresse?

VALÈRE.

Vos caresses bientôt pourront se déployer;
Le roi dans un moment vous le va renvoyer,
Et remet à demain la pompe qu'il prépare
D'un sacrifice aux dieux pour un bonheur si rare;
Aujourd'hui seulement on s'acquitte vers eux
Par des chants de victoire et par de simples vœux.

Redouble la victoire, geminata victoria, expression plus latine que française. (LA H.)

2 On ne dit plus guère angoisse, et pourquoi ? quel mot lui a-t-on substitué? Douleur, horreur, peine, affliction, ne sont pas des équivalents; angoisse exprime la douleur pressante et la crainte à la fois. (V.)

3 Braver est un verbe actif qui demande toujours un régime; de plus ce n'est pas ici une bravade, c'est un sentiment généreux d'un citoyen qui venge ses frères et sa pátrie. (V.)

CORNEILLE. T. I.

13

C'est où le roi le mène, et tandis il m'envoie
Faire office vers vous de douleur et de joie 2;
Mais cet office encor n'est pas assez pour lui;
Il y viendra lui-même, et peut-être aujourd'hui :
Il croit mal reconnaître une vertu si pure,

Si de sa propre bouche il ne vous en assure,
S'il ne vous dit chez vous combien vous doit l'État.

LE VIEIL HORACE.

De tels remerciments ont pour moi trop d'éclat,
Et je me tiens déjà trop payé par les vôtres
Du service d'un fils, et du sang des deux autres.
VALÈRE.

Il ne sait ce que c'est d'honorer à demi;

Et son sceptre arraché des mains de l'ennemi

Fait qu'il tient cet honneur qu'il lui plaît de vous faire
Au-dessous du mérite et du fils et du père.

Je vais lui témoigner quels nobles sentiments
La vertu vous inspire en tous vos mouvements,
Et combien vous montrez d'ardeur pour son service.

LE VIEIL HORACE.

Je vous devrai beaucoup pour un si bon office 3.

SCÈNE III.

LE VIEIL HORACE, CAMILLE.

LE VIEIL HORACE.

Ma fille, il n'est plus temps de répandre des pleurs',

› Mener à des chants et à des vœux, n'est ni noble ni juste; mais le récit de Valère a été si beau, qu'on pardonne aisément ces pelites fau tes. (V.)

2 Tandis, sans un que, est absolument proscrit.

Faire office de douleur n'est plus français, et je ne sais s'il l'a jamais été on dit familièrement, faire office d'ami, office de serviteur, office d'homme intéressé; mais non office de douleur et de joie. (V.) 3 Ici la pièce est finie, l'action est complétement terminée. Il s'agissait de la victoire, et elle est remportée; du destin de Rome, et il est décidé. (V.)

4 Voici donc une autre pièce qui commence; le sujet en est bien moins grand, moins intéressant, moins théâtral que celui de la première. Ces deux actions différentes ont nui au succès complet des Horaces. Il est vral qu'en Espagne, en Angleterre, on joint quelquefois plusieurs ac

Il sied mal d'en verser où l'on voit tant d'honneurs :
On pleure injustement des pertes domestiques,
Quand on en voit sortir des victoires publiques.
Rome triomphe d'Albe, et c'est assez pour nous;
Tous nos maux à ce prix doivent nous être doux.
En la mort d'un amant vous ne perdez qu'un homme
Dont la perte est aisée à réparer dans Rome;
Après cette victoire, il n'est point de Romain
Qui ne soit glorieux de vous donner la main.
Il me faut à Sabine en porter la nouvelle;
Ce coup sera sans doute assez rude pour elle,
Et ses trois frères morts par la main d'un époux
Lui donneront des pleurs bien plus justes qu'à vous';
Mais j'espère aisément en dissiper l'orage,

Et qu'un peu de prudence, aidant son grand courage,
Fera bientôt régner sur un si noble cœur

Le généreux amour qu'elle doit au vainqueur.
Cependant étouffez cette lâche tristesse;

Recevez-le, s'il vient, avec moins de faiblesse ;
Faites-vous voir sa sœur, et qu'en un même flanc
Le ciel vous a tous deux formés d'un même sang 2.

SCÈNE IV.

CAMILLE.

Oui, je lui ferai voir, par d'infaillibles marques,
Qu'un véritable amour brave la main des Parques,
Et ne prend point de lois de ces cruels tyrans
Qu'un astre injurieux nous donne pour parents.

tions sur le théâtre : on représente dans la même pièce la mort de César et la bataille de Philippes. Nos musas colimus severiores.

Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli

Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli.

› Lui donneront des pleurs justes n'est pas français. C'est Sabine qui donnera des pleurs; ce ne sont pas ses frères morts qui lui en donneront. Un accident fait couler des pleurs, et ne les donne pas. (V.)

2 Faites-vous voir.., et qu'en .. est un solécisme, parce que faitesvous voir signifie montrez-vous, soyez sa sœur, montrez-vous, soyez paraissez, ne peut régir un que.

Ajoutez qu'après lui avoir dit faites-vous voir sa sœur, il est trèssuperflu de dire qu'elle est sortie du même flanc. (V.)

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