Tu blâmes ma douleur, tu l'oses nommer läche; Je la veux rendre égale aux rigueurs de mon sort'. Il porte sur le front une allégresse ouverte, Elle dit icl qu'elle veut rendre sa douleur égale, par un juste effort, aux rigueurs de son sort. Quand on fait ainsi des efforts pour proportionner sa douleur à son état, on n'est pas même poétiquement affligé. (V.) 2 M'assure ne signifie pas me rassure: et c'est me rassure que l'auteur entend. (V.) Racine a dit : Princesse, assurez-vous; je les prends sous ma garde. Voltaire se plaint souvent du peu de liberté qu'on accorde à la poésie, et, par ses exclusions, on croirait qu'il ne cherche qu'à en augmenter la gêne. (P.) 3 Cette récapitulation de la pièce précédente n'est-elle point encore l'opposé d'une affliction véritable? Curæ leves loquuntur. (V.) Que le bonheur public fait bien moins que ma perte, Aussi bien que mon frère il triomphe de lui. Mais ce n'est rien encore au prix de ce qui reste : En un sujet de pleurs si grand, si légitime, Et prenez, s'il se peut, plaisir à lui déplaire. SCÈNE V. HORACE, CAMILLE, PROCULE. (Procule porte en sa main les trois épées des Curiaces.) HORACE. Ma sœur, voici le bras qui venge nos deux frères, 1 Ce dégénérons, mon cœur, cette résolution de se mettre en colère, ce long discours, cette nouvelle sentence mal exprimée, que c'est gloire de passer pour un cœur abattu, enfin tout refroidit, tout glace le lecteur, qui ne souhaite plus rien. C'est, encore une fois, la faute du sujet. L'aventure des Horaces, des Curiaces, et de Camille, est plus propre en effet pour l'histoire que pour le théâtre. On ne peut trop honorer Corneille, qui a senti ce défaut, et qui en parle dans son Exa. wen avec la candeur d'un grand homm. (V.) Vois ces marques d'honneur, ces témoins de ma gloire, CAMILLE. Recevez donc mes pleurs, c'est ce que je lui dois. HORACE. Rome n'en veut point voir après de tels exploits, CAMILLE. Puisqu'ils sont satisfaits par le sang épandu, Que dis-tu, malheureuse? HORACE. CAMILLE. O mon cher Curiace! O d'une indigne sœur insupportable audace 1! D'un ennemi public dont je reviens vainqueur Le nom est dans ta bouche et l'amour dans ton cœur 2! Ton ardeur criminelle à la vengeance aspire! Ta bouche la demande, et ton cœur la respire! CAMILLE. Donne-moi donc, barbare, un cœur comme le tien; 1 Observez que la colère du vieil Horace contre son fils était très-intéressante, et que celle de son fils contre sa sœur est révoltante, et sans aucun intérêt. C'est que la colère du vieil Horace supposait le malheur de Rome; au lieu que le jeune Horace ne se met en colère que contre une femme qui pleure et qui crie, et qu'il faut laisser crier et pleurer. Cela est historique, oui; mais cela n'est nullement tragique, nullement théâtral. (V.) 2 Le reproche est évidemment injuste. Horace lui-même devait plaindre Curiace c'est son beau-frère; il n'y a plus d'ennemis, les deux peuples n'en font plus qu'un. Il a dit lui-même, au second acte, qu'il aurait voulu racheter de sa vie le sang de Curiace. (V.) Et, si tu veux enfin que je t'ouvre mon âme, Ne cherche plus ta sœur où tu l'avais laissée; Qui veux que dans sa mort je trouve encor des charmes, Puissent tant de malheurs accompagner ta vie, HORAGE. O ciel! qui vit jamais une pareille rage! Crois-tu donc que je sois insensible à l'outrage, CAMILLE. Rome, l'unique objet de mon ressentiment '! 1 Ces imprécations de Camille ont toujours été un beau morceau de déclamation, et ont fait valoir toutes les actrices qui ont joué ce rôle. (V). L'imprécation de Camille a toujours passé pour la plus belle qu'il y ait au théâtre, et le génie de Corneille se fait sentir dans toute sa vigueur. Camille doit s'emporter contre Rome, parce que son frère n'oppose à ses douleurs que,l'intérêt de Rome, et que c'est à ce grand intérêt qu'il se vante d'immoler Curiace : l'excès de la passion, d'ailleurs, ne raisonne pas; et si l'emportement de Camille avait moins de violence, la férocité d'Horace serait révoltante. Il fallait amener ce trait de barbarie consacré par l'histoire, et Corneille n'avait que ce moyen de le rendre supportable. (P.) Que cent peuples unis des bouts de l'univers Voir le dernier Romain à son dernier soupir, Moi seule en être cause, et mourir de plaisir! HORACE, mettant l'épée à la main, et poursuivant sa sœur qui s'enfuit. C'est trop, ma patience à la raison fait place; Va dedans les enfers plaindre ton Curiace '! Ah, traître! HORACE, revenant sur le théâtre. Quiconque ose pleurer un ennemi romain! On ne se sert plus du mot de dedans; on ne peut l'employer que dans un sens absolu. Étes-vous hors du cabinet? Non, je suis dedans. Mais il est toujours mal de dire dedans ma chambre, dehors de ma chambre. Corneille, au cinquième acte, dit: Dans les murs, hors des murs tout parle de sa gloire. Il n'aurait pas parlé français, s'il eût dit, dedans les murs, dehors les murs. (V.) 2 Cette scène a toujours paru dure et révoltante. Aristote remarque que la plus froide des catastrophes est celle dans laquelle on commet de sang-froid une action atroce qu'on a voulu commettre. Addison, dans son Spectateur, dit que ce meurtre de Camille est d'autant plus révoltant, qu'il semble commis de sang-froid, et qu'Horace traversant tout le théâtre pour aller poignarder sa sœur, avait tout le temps de la réflexion. Le public éclairé ne peut jamais souffrir un meurtre sur le théâtre, à moins qu'il ne soit absolument nécessaire, ou que le meurtrier n'ait les plus violents remords. (V.) |