Mais quand le peuple est maître, on n'agit qu'en tumulte; Ces petits souverains qu'il fait pour une année, Comme ils ont peu de part aux biens dont ils ordonnent, Espérant à son tour un pareil traitement. Le pire des états, c'est l'état populaire 1. AUGUSTE. Et toutefois le seul qui dans Rome peut plaire. MAXIME. Oui, seigneur, dans son mal Rome est trop obstinée; 1 Quelle prodigieuse supériorité de la belle poésie sur la prose! Tous les écrivains politiques ont délayé ces pensées; aucun a-t-il approché de la force, de la profondeur, de la netteté, de la précision de ces discours de Cinna et de Maxime? tous les corps de l'État auraient dû assister à cette pièce pour apprendre à penser et à parler; Ils ne faisaient que des harangues ridicules, qui sont la honte de la nation. Corneille était un maître dont ils avaient besoin; mais un préjugé, plus barbare encore que ne l'était l'éloquence du barreau et de la chaire, a souvent empêché plusieurs magistrats très-éclairés d'imiter Cicéron et Hortensius, qui allaient entendre des tragédies fort Inférieures à celles de Corneille. Ainsi les hommes pour qui cos pièces étaient faites ne les voyaient pas. Le parterre n'était pas digne de ces tableaux de la grandeur romaine. Les femmes ne voulaient que de l'amour; bientôt on ne traita plus que l'amour, et par là on fournit, à ceux que leurs petits talents rendent jaloux de la gloire des spectacles, un malheureux prétexte de s'élever contre le premier des beaux-arts. Nous avons eu un chancelier qui a écrit sur l'art dramatique, et on a observé que de sa vie il n'alla au spectacle; mais Scipion, Caton, Cicéron, fésar, y allaient. (V.), L'a vu cent fois marcher sur la tête des rois, CINNA. Il est vrai que du ciel la prudence infinie Départ à chaque peuple un différent génie ; Sous vous, l'État n'est plus en pillage aux armées; MAXIME. Les changements d'état que fait l'ordre céleste Ne coûtent point de sang, n'ont rien qui soit funeste 1. CINNA. C'est un ordre des dieux qui jamais ne se rompt, De nous vendre un peu cher les grands biens qu'ils nous font. L'exil des Tarquins même ensanglanta nos terres, Et nos premiers consuls nous ont coûté des guerres. MAXIME. Donc votre aïeul Pompée au ciel a résisté Quand il a combattu pour notre liberté2? J'ai peur que ces raisonnements ne soient pas de la force des autres ce que dit Maxime est faux ; la plupart des révolutions ont coûté du sang, et d'ailleurs tout se fait par l'ordre céleste. * L'objection de votre aïeul Pompée est pressante; mais Cinna n'y CINNA. Si le ciel n'eût voulu que Rome l'eût perdue, Ce nom depuis longtemps ne sert qu'à l'éblouir, César, de mon aïeul; Marc-Antoine, de vous: Qu'à former les fureurs d'une guerre civile, répond que par un trait d'esprit. Voilà un singulier honneur fait aux mânes de Pompée, d'asservir Rome pour laquelle il combattait. Pourquoi le ciel devait-il cet honneur à Pompée? Au contraire, s'il lui devait quelque chose, c'était de soutenir son parti, qui était le plus juste. Dans une telle délibération, devant un homme tel qu'Auguste, on ne doit donner que des raisons solides ces subtilités ne paraissent pas convenir à la dignité de la tragédie. Cinna s'éloigne ici de ce vrai si nécessaire et si beau. Voulez-vous savoir si une penséc est naturelle et juste? examinez la proposition contraire; si ce contraire est vrai, la pensée que vous examinez est fausse. On peut répondre à ces objections que Cinna parle ici contre sa pensée. Mais pourquoi parlerait-il contre sa pensée? y est-il forcé? Junie, dans Britannicus, parle contre son propre sentiment, parce que Néron l'écoute mais ici Cinna est en toute liberté; s'il veut persuader à Auguste de ne point abdiquer, il doit dire à Maxime : Laissons là ces vaines disputes; il ne s'agil pas de savoir si Pompée a résisté au ciel, et si le ciel lui devait l'honneur de rendre Rome esclave. Il s'agit que Rome a besoin d'un maître; il s'agit de prévenir des guerres civiles, etc. Je crois enfin que cette subtilité, dans cette belle scène, est un défaut; mais c'est un défaut dont il n'y a qu'un grand homme qui soit capable. (V.) Lorsque, par un désordre à l'univers fatal, L'un ne veut point de maître, et l'autre point d'égal. Otez-lui les moyens de se plus diviser. Sylla, quittant la place enfin bien usurpée ', Qu'a fait du grand César le cruel parricide, Que l'amour du pays, que la pitié vous touche; Non pas qu'elle vous croie avoir trop acheté, Des maux qu'elle a soufferts elle est trop bien payée; Cet enfin gåte la phrase. (V.) 2 Il semble que le malheur des temps ne nous eût pas fait voir César et Pompée. La phrase est louche et obscure. Il veut dire : Le malheur des temps ne nous eût pas fait voir le champ ouvert à César et à Pompée. (V.) 3 Ici, Cinna embrasse les genoux d'Auguste, et semble déshonorer les belies choses qu'il a dites par une perfidie bien lâche qui l'avilit. Cette basse perfidie même semble contraire aux remords qu'il aura. On pourrait croire que c'est à Maxime, représenté comme un vil scélérat, à faire le personnage de Cinna, et que Cinna devait dire ce que dit Maxime. Cinna, que l'auteur veut et doit ennoblir, devait-il conjurer Auguste à genoux de garder l'empire, pour avoir un prétexte de l'assassiner? On est faché que Maxime joue ici le rôle d'un digne Romain, et Cinna celui d'un fourbe qui emploie le raffinement le plus noir pour empêcher Auguste de faire une action qui doit même désarmer Émilie. (V.) / . Si ce funeste don la met au désespoir, Je n'ose dire ici ce que j'ose prévoir. Conservez-vous, seigneur, en lui laissant un maître AUGUSTE. N'en délibérons plus, cette pitié l'emporte. Mon repos m'est bien cher, mais Rome est la plus forte; Je vois trop que vos cœurs n'ont point pour moi de fard, Votre amour en tous deux fait ce combat d'esprits, Adieu : j'en veux porter la nouvelle à Livie. 'Tout lecteur voit dans ce vers la perfection de l'art. Auguste donne à Cinna sa fille adoptive, que Cinna veut obtenir par l'assassinat d'Auguste. Le mérite de ce vers ne peut échapper à personne. (V.) › Épargne signifiait trésor royal, et la cassette du roi s'appelait chatouille. Les mots changent; mais ce qui ne doit pas changer, c'est la noblesse des idées. Il est trop bas de faire dire à Auguste qu'il a donné de l'argent à Émilie; et il est bien plus bas à Émilie de l'avoir reçu, et de conspirer contre lui. (V.) 3 En général, cette scène est d'un genre dont il n'y avait aucun exein |