SCÈNE II. CINNA, MAXIME. MAXIME. Quel est votre dessein après ces beaux discours', GINNA. Le même que j'avais, et que j'aurai toujours. MAXIME. Un chef de conjurés flatte la tyrannie! CINNA. Un chef de conjurés la veut voir impunie! MAXIME. Je veux voir Rome libre. CINNA. Et vous pouvez juger Que je veux l'affranchir ensemble et la venger. Rempli les champs d'horreur, comblé Rome de morts, Un lâche repentir garantira sa tête! C'est trop semer d'appâts, et c'est trop inviter MAXIME. Mais la mort de César, que vous trouvez si juste, ple chez les anciens ni chez les modernes : détachez-la de la pièce, c'est un chef-d'œuvre d'éloquence; incorporée à la pièce, c'est un chef-d'œuvre encore plus grand. Il est vrai que ces beautés n'excitent ni terreur, ni pitié, ni grands mouvements; mais ces mouvements, cette pitié, cette terreur, ne sont pas nécessaires dans le commencement d'un second acte. Cette scène est beaucoup plus difficile à jouer qu'aucune autre : elle exigerait trois acteurs d'une figure imposante, et qui eussent autant de noblesse dans la voix et dans les gestes qu'il y en a dans les vers; c'est ce qui ne s'est jamais rencontré. (V.) Voulant nous affranchir, Brute s'est abusé; CINNA. La faute de Cassie, et ses terreurs paniques, MAXIME. Nous sommes encor loin de mettre en évidence CINNA. C'en est encor bien moins, alors qu'on s'imagine C'est, en fermant la plaie, y verser du poison. MAXIME. Vous la voulez sanglante, et la rendez douteuse. CINNA. Vous la voulez sans peine, et la rendez honteuse. MAXIME. Pour sortir de ses fers jamais on ne rougit. CINNA. On en sort lâchement, si la vertu n'agit. MAXIME. Jamais la liberté ne cesse d'être aimable; CINNA. Ce ne peut être un bien qu'elle daigne estimer, MAXIME. Donc pour vous Æmilie est un objet de haine? CINNA. La recevoir de lui me serait une gêne : Mais quand j'aurai vengé Rome des maux soufferts', 1 L'esprit de notre langue ne permet guère ces participes; nous ne Je saurai le braver jusque dans les enfers. MAXIME. Mais l'apparence, ami, que vous puissiez lui plaire CINNA. Ami, dans ce palais on peut nous écouter, ACTE TROISIÈME. SCÈNE PREMIERE. MAXIME, EUPHORBE. MAXIME. Lui-même il m'a tout dit; leur flamme est mutuelle; Il adore Æmilie, il est adoré d'elle; pouvons dire des maux soufferts, comme on dit des maux passés. Soufferts suppose par quelqu'un; les maux qu'elle a soufferts; il serait à souhaiter que cet exemple de Corneille eût fait une règle ; la langue y gagnerait une marche plus rapide. (V.) ⚫ Cet affermissement de Cinna dans son crime, cette fureur d'épouser Émilie sur le tombeau d'Auguste, cette persévérance dans la fourberie avec laquelle il a persuadé Auguste de ne point abdiquer, ne font espérer aucun remords; il était naturel qu'il en eût quand Auguste lui a dit qu'il partagerait l'empire avec lui. Le cœur humain est ainsi fait, il se laisse toucher par le sentiment présent des bienfaits; et le spectateur n'attend pas d'un homme qui s'endurcit, lorsqu'il devrait être attendri, qu'il s'attendrira après cet endurcissement. 2 Ici l'intérêt change. On détestait Auguste on s'intéressait beaucoup à Cinna: maintenant c'est Cinna qu'on hait; c'est en faveur d'Auguste que le cœur se déclare. (V.) Mais sans venger son père il n'y peut aspirer, EUPHORBE. Je ne m'étonne plus de cette violence Dont il contraint Auguste à garder sa puissance : MAXIME. Ils servent à l'envi la passion d'un homme EUPHORBE. Vous êtes son rival? MAXIME. Oui, j'aime sa maîtresse, Et l'ai caché toujours avec assez d'adresse 1; EUPHORBE. L'issue en est aisée, agissez pour vous-même; 1 Ces vers de comédie, et cette manière froide d'exprimer qu'il est rival de Cinna, ne contribuent pas peu à l'avilissement de ce personnage. L'amour qui n'est pas une grande passion n'est pas théâtral. J'ai toujours remarqué que cette scène est froide au théâtre ; la raison en est que l'amour de Maxime est insipide: on apprend au troisième acte que ce Maxime est amoureux. Si Oreste, dans Andromaque, n'était rival de Pyrrhus qu'au troisième acte, la pièce serait froide. L'amour de Maxime ne fait aucun effet, et tout son rôle n'est que celui d'un lâche, sans aucune passion théâtrale (V.) 2 Il semble, par la construction, que ce soit Émilie qui accuse : il fallait en accusant, pour lever l'équivoque; légère inadvertance qui ne fait aucun tort. (V.) Quoi! trahir mon ami! MAXIME. EUPHORBE. L'amour rend tout permis; MAXIME. C'est un exemple à fuir que celui des forfaits. EUPHORBE. Contre un si noir dessein tout devient légitime; MAXIME. Un crime par qui Rome obtient sa liberté! EUPHORBE. Craignez tout d'un esprit si plein de lâcheté. Pensez-vous avoir lu jusqu'au fond de son âme ? MAXIME. Mais comment l'accuser sans nommer tout le reste? Et par là nous verrions indignement trahis Il perd trop d'innocents pour punir un coupable. 1 En général, ces maximes et ce terme de véritable amant sont tirés des romans de ce temps-là, et surtout de l'Astrée, où l'on examine sérieusement ce qui constitue le véritable amant. Vous ne trouverez jamais ni ces maximes, ni ces mots, véritables amants, vrais amants, dans Racine. (V.) |