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SCÈNE II.

CINNA, MAXIME.

MAXIME.

Quel est votre dessein après ces beaux discours',

GINNA.

Le même que j'avais, et que j'aurai toujours.

MAXIME.

Un chef de conjurés flatte la tyrannie!

CINNA.

Un chef de conjurés la veut voir impunie!

MAXIME.

Je veux voir Rome libre.

CINNA.

Et vous pouvez juger

Que je veux l'affranchir ensemble et la venger.
Octave aura donc vu ses fureurs assouvies,
Pillé jusqu'aux autels, sacrifié nos vies,

Rempli les champs d'horreur, comblé Rome de morts,
Et sera quitte après pour l'effet d'un remords!
Quand le ciel par nos mains à le punir s'apprête,

Un lâche repentir garantira sa tête!

C'est trop semer d'appâts, et c'est trop inviter
Par son impunité quelque autre à l'imiter.
Vengeons nos citoyens, et que sa peine étonne
Quiconque après sa mort aspire à la couronne.
Que le peuple aux tyrans ne soit plus exposé :
S'il eût puni Sylla, César eût moins osé.

MAXIME.

Mais la mort de César, que vous trouvez si juste,
A servi de prétexte aux cruautés d'Auguste

ple chez les anciens ni chez les modernes : détachez-la de la pièce, c'est un chef-d'œuvre d'éloquence; incorporée à la pièce, c'est un chef-d'œuvre encore plus grand. Il est vrai que ces beautés n'excitent ni terreur, ni pitié, ni grands mouvements; mais ces mouvements, cette pitié, cette terreur, ne sont pas nécessaires dans le commencement d'un second acte.

Cette scène est beaucoup plus difficile à jouer qu'aucune autre : elle exigerait trois acteurs d'une figure imposante, et qui eussent autant de noblesse dans la voix et dans les gestes qu'il y en a dans les vers; c'est ce qui ne s'est jamais rencontré. (V.)

Voulant nous affranchir, Brute s'est abusé;
S'il n'eût puni César, Auguste eût moins osé.

CINNA.

La faute de Cassie, et ses terreurs paniques,
On fait rentrer l'État sous des lois tyranniques;
Mais nous ne verrons point de pareils accidents,
Lorsque Rome suivra des chefs moins imprudents.

MAXIME.

Nous sommes encor loin de mettre en évidence
Si nous nous conduirons avec plus de prudence;
Cependant c'en est peu que de n'accepter pas
Le bonheur qu'on recherche au péril du trépas.

CINNA.

C'en est encor bien moins, alors qu'on s'imagine
Guérir un mal si grand sans couper la racine;
Employer la douceur à cette guérison,

C'est, en fermant la plaie, y verser du poison.

MAXIME.

Vous la voulez sanglante, et la rendez douteuse.

CINNA.

Vous la voulez sans peine, et la rendez honteuse.

MAXIME.

Pour sortir de ses fers jamais on ne rougit.

CINNA.

On en sort lâchement, si la vertu n'agit.

MAXIME.

Jamais la liberté ne cesse d'être aimable;
Et c'est toujours pour Rome un bien inestimable.

CINNA.

Ce ne peut être un bien qu'elle daigne estimer,
Quand il vient d'une main lasse de l'opprimer :
Elle a le cœur trop bon pour se voir avec joie
Le rebut du tyran dont elle fut la proie;
Et tout ce que la gloire a de vrais partisans
Le hait trop puissamment pour aimer ses présents.

MAXIME.

Donc pour vous Æmilie est un objet de haine?

CINNA.

La recevoir de lui me serait une gêne :

Mais quand j'aurai vengé Rome des maux soufferts',

1 L'esprit de notre langue ne permet guère ces participes; nous ne

Je saurai le braver jusque dans les enfers.
Oui, quand par son trépas je l'aurai méritéc,
Je veux joindre à sa main ma main ensanglantée,
L'épouser sur sa cendre, et qu'après notre effort
Les présents du tyran soient le prix de sa mort'.

MAXIME.

Mais l'apparence, ami, que vous puissiez lui plaire
Teint du sang de celui qu'elle aime comme un père?
Car vous n'êtes pas homme à la violenter.

CINNA.

Ami, dans ce palais on peut nous écouter,
Et nous parlons peut-être avec trop d'imprudence
Dans un lieu si mal propre à notre confidence :
Sortons; qu'en sûreté j'examine avec vous,
Pour en venir à bout, les moyens les plus doux 2.

ACTE TROISIÈME.

SCÈNE PREMIERE.

MAXIME, EUPHORBE.

MAXIME.

Lui-même il m'a tout dit; leur flamme est mutuelle;

Il adore Æmilie, il est adoré d'elle;

pouvons dire des maux soufferts, comme on dit des maux passés. Soufferts suppose par quelqu'un; les maux qu'elle a soufferts; il serait à souhaiter que cet exemple de Corneille eût fait une règle ; la langue y gagnerait une marche plus rapide. (V.)

⚫ Cet affermissement de Cinna dans son crime, cette fureur d'épouser Émilie sur le tombeau d'Auguste, cette persévérance dans la fourberie avec laquelle il a persuadé Auguste de ne point abdiquer, ne font espérer aucun remords; il était naturel qu'il en eût quand Auguste lui a dit qu'il partagerait l'empire avec lui. Le cœur humain est ainsi fait, il se laisse toucher par le sentiment présent des bienfaits; et le spectateur n'attend pas d'un homme qui s'endurcit, lorsqu'il devrait être attendri, qu'il s'attendrira après cet endurcissement.

2 Ici l'intérêt change. On détestait Auguste on s'intéressait beaucoup à Cinna: maintenant c'est Cinna qu'on hait; c'est en faveur d'Auguste que le cœur se déclare. (V.)

Mais sans venger son père il n'y peut aspirer,
Et c'est pour l'acquérir qu'il nous fait conspirer.

EUPHORBE.

Je ne m'étonne plus de cette violence

Dont il contraint Auguste à garder sa puissance :
La ligue se romprait s'il s'en était démis,
Et tous vos conjurés deviendraient ses amis.

MAXIME.

Ils servent à l'envi la passion d'un homme
Qui n'agit que pour soi, feignant d'agir pour Rome;
Et moi, par un malheur qui n'eut jamais d'égal,
Je pense servir Rome, et je sers mon rival !

EUPHORBE.

Vous êtes son rival?

MAXIME.

Oui, j'aime sa maîtresse,

Et l'ai caché toujours avec assez d'adresse 1;
Mon ardeur inconnue, avant que d'éclater,
Par quelque grand exploit la voulait mériter :
Cependant par mes mains je vois qu'il me l'enlève;
Son dessein fait ma perte, et c'est moi qui l'achève;
J'avance des succès dont j'attends le trépas,
Et pour m'assassiner je lui prête mon bras.
Que l'amitié me plonge en un malheur extrême!

EUPHORBE.

L'issue en est aisée, agissez pour vous-même;
D'un dessein qui vous perd rompez le coup fatal,
Gagnez une maîtresse, accusant un rival 2.
Auguste, à qui par là vous sauverez la vie,
Ne vous pourra jamais refuser Æmilie.

1 Ces vers de comédie, et cette manière froide d'exprimer qu'il est rival de Cinna, ne contribuent pas peu à l'avilissement de ce personnage. L'amour qui n'est pas une grande passion n'est pas théâtral. J'ai toujours remarqué que cette scène est froide au théâtre ; la raison en est que l'amour de Maxime est insipide: on apprend au troisième acte que ce Maxime est amoureux. Si Oreste, dans Andromaque, n'était rival de Pyrrhus qu'au troisième acte, la pièce serait froide. L'amour de Maxime ne fait aucun effet, et tout son rôle n'est que celui d'un lâche, sans aucune passion théâtrale (V.)

2 Il semble, par la construction, que ce soit Émilie qui accuse : il fallait en accusant, pour lever l'équivoque; légère inadvertance qui ne fait aucun tort. (V.)

Quoi! trahir mon ami!

MAXIME.

EUPHORBE.

L'amour rend tout permis;
Un véritable amant ne connaît point d'amis ';
Et même avec justice on peut trahir un traître
Qui pour une maîtresse ose trahir son maître.
Oubliez l'amitié, comme lui les bienfaits.

MAXIME.

C'est un exemple à fuir que celui des forfaits.

EUPHORBE.

Contre un si noir dessein tout devient légitime;
On n'est point criminel quand on punit un crime.

MAXIME.

Un crime par qui Rome obtient sa liberté!

EUPHORBE.

Craignez tout d'un esprit si plein de lâcheté.
L'intérêt du pays n'est point ce qui l'engage;
Le sien, et non la gloire, anime son courage.
Il aimerait César, s'il n'était amoureux,
Et n'est enfin qu'ingrat, et non pas généreux.

Pensez-vous avoir lu jusqu'au fond de son âme ?
Sous la cause publique il vous cachait sa flamme,
Et peut cacher encor sous cette passion
Les détestables feux de son ambition.
Peut-être qu'il prétend, après la mort d'Octave,
Au lieu d'affranchir Rome, en faire son esclave;
Qu'il vous compte déjà pour un de ses sujets,
Ou que sur votre perte il fonde ses projets.

MAXIME.

Mais comment l'accuser sans nommer tout le reste?
A tous nos conjurés l'avis serait funeste,

Et par là nous verrions indignement trahis
Ceux qu'engage avec nous le seul bien du pays.
D'un si lâche dessein mon âme est incapable :

Il perd trop d'innocents pour punir un coupable.

1 En général, ces maximes et ce terme de véritable amant sont tirés des romans de ce temps-là, et surtout de l'Astrée, où l'on examine sérieusement ce qui constitue le véritable amant. Vous ne trouverez jamais ni ces maximes, ni ces mots, véritables amants, vrais amants, dans Racine. (V.)

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