J'ose tout contre lui, mais je crains tout pour eux. EUPHORBE. Auguste s'est lassé d'être si rigoureux; MAXIME. Nous disputons en vain, et ce n'est que folie ' EUPHORBE. C'est ce qu'à dire vrai je vois fort difficile 4. MAXIME. Mais si pour s'excuser il nomme sa complice, Puis-je lui demander, pour prix de mon rapport, 1 Ce n'est que folie, vers comique, indigne de la tragédie. Plaire à ses beaux yeux, expression fade. Ce qu'elle aime le mieux, encore pire. (V.) 2 Remarquez qu'on ne s'intéresse jamais à un amant qu'on est sûr qui sera rebuté. Pourquoi Oreste intéresse-t-il dans Andromaque? c'est que Racine a eu le grand art de faire espérer qu'Oreste serait aimé. Un amant toujours rebuté par sa maîtresse l'est toujours aussi par le spectateur, à moins qu'il ne respire la fureur de la vengeance. Point de vraies tragėdies sans grandes passions. (V.) 3 Périr un sang est un barbarisme. Ces fautes sont d'autant plus seaties que la scène est froide. (V.) 4 Cette manière de répondre à une objection pressante sent un peu plus le valet de comédie que le confident tragique. (V.) Celle qui nous oblige à conspirer sa mort? EUPHORBE. Vous pourriez m'opposer tant et de tels obstacles, MAXIME. Éloigne-toi; dans peu j'irai te retrouver : SCÈNE II. CINNA, MAXIME. MAXIME. Vous me semblez pensif. CINNA. Ce n'est pas sans sujet. MAXIME. Puis-je d'un tel chagrin savoir quel est l'objet? CINNA. Æmilie et César; l'un et l'autre me gêne 2; Je sens au fond du cœur mille remords cuisants Par un mortel reproche à tous moments me tue. On ne voit pas ce qu'il veut tirer de Cinna; s'il veut être instruit que Cinna est son rival, il le sait déjà. (V.) 2 C'est là peut-être ce que Cinna devait dire immédiatement après la conférence d'Auguste. Pourquoi a-t-il à présent des remords? s'est-il passé quelque chose de nouveau qui ait pu lui en donner? Je demande toujours pourquoi il n'en a point senti quand les bienfaits et la tendresse d'Auguste devaient faire sur son cœur une si forte impression. Il a été perfide; il s'est obstiné dans sa perfidie. Les remords sont le partage naturel de ceux que l'emportement des passions entraîne au crime, mais non pas des fourbes consommés. C'est sur quoi les lecteurs qui connaissent le cœur humain doivent prononcer. Je suis bien loin de porter un jugement (V.) Il me semble surtout incessamment le voir Cinna, par vos conseils je retiendrai l'empire, Et vers l'un ou vers l'autre il faut être perfide. MAXIME. Vous n'aviez point tantôt ces agitations'; Vous paraissiez plus ferme en vos intentions; CINNA. On ne les sent aussi que quand le coup approche 3, Pourquoi les dieux ? est-ce parce qu'il a fait serment à sa maîtresse ? Il est utile d'observer ici que dans beaucoup de tragédies modernes on met ainsi les dieux à la fin du vers, à cause de la rime. Manlius dit qu'un homme tel que lui partage la vengeance avec les dieux; un autre, qu'il punit à l'exemple des dieux; un troisième, qu'il s'en prend aux dieux. Corneille tombe rarement dans cette faute puérile. (V.) 2 Vous voyez que Corneille a bien senti l'objection. Maxime demande à Cinna ce que tout le monde lui demanderait: Pourquoi avez-vous des remords si tard? qu'est-il survenu qui vous oblige à changer ainsi? (V.) 3 Il sera peut-être utile de faire voir comment Shakspeare, soixante ans auparavant, exprima le même sentiment dans la même occasion. C'est Brutus prêt à assassiner César : Between the acting of a dreadful thing etc. « Entre le dessein et l'exécution d'une chose si terrible, tout l'intervalle n'est qu'un rève affreux. Le génie de Rome et les instruments « mortels de sa ruine semblent tenir conseil dans notre âme boulever«sée cet état funeste de l'âme tient de l'horreur de nos guerres ci<< viles. » Je ne présente point ces objets de comparaison pour égaler les irrégularités sauvages et capricieuses de Shakspeare à la profondeur du jugement de Corneille, mais seulement pour faire voir comment des hommes de génie expriment différemment les mêmes idées. Qu'il me soit seulement permis d'observer encore qu'à l'approche de ces grands événements, l'agitation qu'on sent est moins un remords qu'un trouble dont Et l'on ne reconnaît de semblables forfaits Plus d'un remords en l'âme, et plus d'un repentir. MAXIME. Il eut trop de vertu pour tant d'inquiétude; << Rends-moi, rends-moi, Cinna, ce que tu m'as ôté; « Ne me préfère pas le tyran qui m'oppresse! › CINNA. Ami, n'accable plus un esprit malheureux Et laisse-moi, de grâce, attendant Æmilie, l'âme est saisie: ce n'est point un remords que Shakspeare donne à Brutus. (V.) Voilà la plus forte critique du rôle qu'a joué Cinna dans la conférence avec Auguste : aussi Cinna n'y répond-il point. (V.) Donner un libre cours à ma mélancolie: Mon chagrin t'importune, et le trouble où je suis MAXIME. Vous voulez rendre compte à l'objet qui vous blesse SCÈNE III. CINNA. 2 Donne un plus digne nom au glorieux empire L'auteur a entièrement sacrifié ce rôle de Maxime : il ne faut le rcgarder que comme un personnage qui sert à faire valoir les autres. (V.) Le respect que nous avons pour Corncille, malgré ses fautes, qui appartiennent encore plus au temps où il écrivait qu'à son génie, nous ferait désirer ici des expressions plus mesurées. Le personnage de Maxi me peut sans doute causer de l'indignation: cependant la tragédie n'exclut pas les personnages vicieux; elle doit éviter seulement ce qui est ignoble et bas, et ce qui le devient encore plus par un style trop familier. (P.) → Voici le cas où un monologue est convenable: un homme dans une situation violente peut examiner avec lui-même le danger de son entreprise, l'horreur du crime qu'il va commettre, écouter ou combattre ses remords; mais il fallait que ce monologue fût placé après qu'Auguste l'a comblé d'amitié et de bienfaits, et non pas après une scène froide avec Maxime. (V.) |