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S'il faut percer le flanc d'un prince magnanime
Qui du peu que je suis fait une telle estime,
Qui me comble d'honneurs, qui m'accable de biens,
Qui ne prend pour régner de conseils que les miens.
O coup! ô trahison trop indigne d'un homme!
Dure, dure à jamais l'esclavage de Rome!
Périsse mon amour, périsse mon espoir,
Plutôt que de ma main parte un crime si noir!
Quoi! ne m'offre-t-il pas tout ce que je souhaite,
Et qu'au prix de son sang ma passion achète !
Pour jouir de ses dons faut-il l'assassiner ?
Et faut-il lui ravir ce qu'il me veut donner?

Mais je dépends de vous, ô serment téméraire !
O haine d'Emilie! ô souvenir d'un père!

Ma foi, mon cœur, mon bras, tout vous est engagé,
Et je ne puis plus rien que par votre congé :
C'est à vous à régler ce qu'il faut que je fasse ;
C'est à vous, Æmilie, à lui donner sa grâce;
Vos seules volontés président à son sort,

Et tiennent en mes mains et sa vie et sa mort.
O dieux, qui comme vous la rendez adorable,
Rendez-la, comme vous, à mes vœux exorable';
Et, puisque de ses lois je ne puis m'affranchir,
Faites qu'à mes désirs je la puisse fléchir.
Mais voici de retour cette aimable inhumaine 2.

SCÈNE IV.

ÆMILIE, CINNA, FULVIE.

EMILIE.

Grâces aux dieux, Cinna, ma frayeur était vaine;
Aucun de tes amis ne t'a manqué de foi,

Et je n'ai point eu lieu de m'employer pour toi.
Octave en ma présence a tout dit à Livie,
Et par cette nouvelle il m'a rendu la vie.

Exorable devrait se dire; c'est un terme sonore, intelligible, nécessaire, et digne des beaux vers que débite Cinna. Il est bien étrange qu'on dise implacable, et non placable; âme inaltérable, et non pas âme alterable; héros indomptable, et non héros domptable, etc. (V.)

2 Aimable inhumaine fait quelque peine, à cause de tant de fades vers de galanterie où cette expression commune se trouve. (V.)

CINNA.

Le désavouerez-vous? et du don qu'il me fait
Voudrez-vous retarder le bienheureux effet?

ÆMILIE.

L'effet est en ta main.

CINNA.

Mais plutôt en la vôtre.

EMILIE.

Je suis toujours moi-même, et mon cœur n'est point autre ; Me donner à Cinna, c'est ne lui donner rien,

C'est seulement lui faire un présent de son bien.

CINNA.

Vous pouvez toutefois... ô ciel! l'osé-je dire?

ÆMILIE.

Que puis-je ? et que crains-tu?

CINNA.

Je tremble, je soupire,
Et vois que, si nos cœurs avaient mêmes désirs,
Je n'aurais pas besoin d'expliquer mes soupirs.
Ainsi je suis trop sûr que je vais vous déplaire;
Mais je n'ose parler, et je ne puis me taire.

C'est trop me gêner, parle.

ÆMILIE.

CINNA.

Il faut vous obéir.

Je vais donc vous déplaire, et vous m'allez haïr.
Je vous aime, Æmilie; et le ciel me foudroie
Si cette passion ne fait toute ma joie ',

Et si je ne vous aime avec toute l'ardeur

Que peut un digne objet attendre d'un grand cœur!
Mais voyez à quel prix vous me donnez votre âme :
En me rendant heureux vous me rendez infâme :
Cette bonté d'Auguste...

ÆMILIE.

Il suffit, je t'entends,

Je vois ton repentir et tes vœux inconstants :

Je vous aime, Æmilie; et le ciel me foudroie

Si cette passion ne fait toute ma joic,

fait toujours un peu rire. Avec toute l'ardeur qu'un digne objet peut attendre d'un grand cœur, est du style de Scudéri. Ce n'est que depuis Racine qu'on a proscrit ces fades lieux communs. (V.)

Les faveurs du tyran emportent tes promesses;
Tes feux et tes serments cèdent à ses caresses;
Et ton esprit crédule ose s'imaginer

Qu'Auguste, pouvant tout, peut aussi me donner;
Tu me veux de sa main plutôt que de la mienne;
Mais ne crois pas qu'ainsi jamais je t'appartienne :
Il peut faire trembler la terre sous ses pas,
Mettre un roi hors du trône, et donner ses États,
De ses proscriptions rougir la terre et l'onde,
Et changer à son gré l'ordre de tout le monde;
Mais le cœur d'Emilie est hors de son pouvoir'.

CINNA.

Aussi n'est-ce qu'à vous que je veux le devoir.
Je suis toujours moi-même, et ma foi toujours pure;
La pitié que je sens ne me rend point parjure;
J'obéis sans réserve à tous vos sentiments,
Et prends vos intérêts par delà mes serments.

J'ai pu, vous le savez, sans parjure et sans crime,
Vous laisser échapper cette illustre victime :
César se dépouillant du pouvoir souverain
Nous ôtait tout prétexte à lui percer le sein;
La conjuration s'en allait dissipée,

Vos desseins avortés, votre haine trompée;
Moi seul j'ai raffermi son esprit étonné,
Et pour vous l'immoler ma main l'a couronné.

ÆMILIE.

Pour me l'immoler, traître! et tu veux que moi-même
Je retienne ta main! qu'il vive, et que je l'aime!
Que je sois le butin de qui l'ose épargner,

Et le prix du conseil qui le force à régner!

CINNA.

Ne me condamnez point quand je vous ai servie :

Voilà une imitation admirable de ces beaux vers d'Horace :

Et cuncta terrarum subacta,

Præter atrocem animum Catonis,

Cette imitation est d'autant plus belle, qu'elle est en sentiment. Plusieurs s'étonnent qu'Émilie, affectant de penser comme Caton, ait cependant reçu pendant quinze ans les bienfaits et l'argent d'Auguste, dont l'épargne lui a été ouverte. Cette conduite ne semble pas s'accorder avec cette inflexibilité héroïque dont elle fait parade. (V.)

2 Par delà mes serments: expression dont je ne trouve que cet exem ple; et cet exemple me paraît mériter d'être suivi. (V.)

Sans moi, vous n'auriez plus de pouvoir sur sa vie;
Et, malgré ses bienfaits, je rends tout à l'amour,
Quand je veux qu'il périsse ou vous doive le jour 1.
Avec les premiers vœux de mon obéissance
Souffrez ce faible effort de ma reconnaissance,
Que je tâche de vaincre un indigne courroux,
Et vous donner pour lui l'amour qu'il a pour vous.
Une âme généreuse, et que la vertu guide,
Fuit la honte des noms d'ingrate et de perfide;
Elle en hait l'infamie attachée au bonheur,
Et n'accepte aucun bien aux dépens de l'honneur.

EMILIE.

Je fais gloire, pour moi, de cette ignominie :

La perfidie est noble envers la tyrannie ;

Et quand on rompt le cours d'un sort si malheureux,
Les cœurs les plus ingrats sont les plus généreux.

CINNA.

Vous faites des vertus au gré de votre haine.

MILIE.

Je me fais des vertus dignes d'une Romaine 2.

Un cœur vraiment romain...

CINNA.

EMILIE.

Ose tout pour ravir

Une odieuse vie à qui le fait servir;

Il fuit plus que la mort la honte d'être esclave.

La scène se refroidit par ces arguments de Cinna; il veut prouver qu'il a satisfait à l'amour, parce qu'il veut que le sort d'Auguste dépende de sa maitresse. Toute cette tirade paraît un peu obscure. (V.)

Ce vers est beau, et ces sentiments d'Émilie ne se démentent jamais. Plusieurs demandent encore pourquoi cette Émilie ne touche point; pourquoi ce personnage ne fait pas au théâtre la grande impression qu'y fait Hermione. Elle est l'âme de toute la pièce, et cependant elle inspire peu d'intérêt. N'est-ce point parce qu'elle n'est pas malheureuse? n'est-ce point parce que les sentiments d'un Brutus, d'un Cassius conviennent peu à une fille? n'est-ce point parce que sa facilité à recevoir l'argent d'Auguste dément la grandeur d'âme qu'elle affecte? n'est-ce point parce que ce rôle n'est pas tout à fait dans la nature? Cette fille, que Balzac appelle une adorable furie, est-elle si adorable? C'est Émilie que Racine avait en vue, lorsqu'il dit, dans une de ses préfaces, qu'il ne veut pas mettre sur le théâtre de ces femmes qui font des leçons d'héroïsme aux hommes. Malgré tout cela, le rôle d'Émilie est plein de choses sublimes; et quand on compare ce qu'on faisait alors à ce scul rôle d'Émilie, on est étonné, on admire. (V.)

CINNA.

C'est l'être avec honneur que de l'être d'Octave;
Et nous voyons souvent des rois à nos genoux
Demander pour appui tels esclaves que nous;
Il abaisse à nos pieds l'orgueil des diadèmes,
Il nous fait souverains sur leurs grandeurs suprêmes';
Il prend d'eux les tributs dont il nous enrichit,
Et leur impose un joug dont il nous affranchit.

MILIE.

L'indigne ambition que ton cœur se propose!

Pour être plus qu'un roi, tu te crois quelque chose !
Aux deux bouts de la terre en est-il un si vain
Qu'il prétende égaler un citoyen romain?
Antoine sur sa tête attira notre haine
En se déshonorant par l'amour d'une reine;
Attale, ce grand roi, dans la pourpre blanchi,
Qui du peuple romain se nommait l'affranchi,
Quand de toute l'Asie il se fût vu l'arbitre,
Eût encor moins prisé son trône que ce titre 2.
Souviens-toi de ton nom, soutiens sa dignité;
Et, prenant d'un Romain la générosité,

Sache qu'il n'en est point que le ciel n'ait fait naître
Pour commander aux rois, et pour vivre sans maître.

CINNA.

Le ciel a trop fait voir en de tels attentats
Qu'il hait les assassins et punit les ingrats;
Et quoi qu'on entreprenne, et quoi qu'on exécute,
Quand il élève un tròne, il en venge la chute;

Il se met du parti de ceux qu'il fait régner;
Le coup dont on les tue est longtemps à saigner;
Et quand à les punir il a pu se résoudre,

De pareils châtiments n'appartiennent qu'au foudre.

EMILIE.

Dis que de leur parti toi-même tu te rends;

De te remettre au foudre à punir les tyrans 3.

Il faut remarquer les plus légères fautes de langage. On est souve rain de, on n'est pas souverain sur, encore moins souverain sur une grandeur. (V.)

2 La beauté de ces vers et ces traits tirés de l'histoire romaine font un très-grand plaisir aux lecteurs, quoique au théâtre ils refroidissent un peu la scène. (V.)

3 Cela n'est ni français, ni clairement exprimé; et ces dissertations sur la foudre ne sont plus tolérées. (V.)

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