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en défaut, et alla en demander l'explication à Molière, chez qui il demeurait. Molière, après les avoir lus, avoua qu'il ne les entendait pas non plus : « Mais attendez, dit-il à Baron, M. Corneille doit venir souper avec nous aujourd'hui, et vous lui direz qu'il vous les explique. » Dès que Corneille arriva, le jeune Baron alla lui sauter au cou, comme il faisait ordinairement, parce qu'il l'aimait ; et ensuite il le pria de lui expliquer les vers qui l'embarrassaient : « Je ne les entends pas trop bien non plus, dit Corneille après les avoir examinés quelque temps; mais récitez-les toujours : tel qui ne les entendra pas les admirera. » (Bolæana.)

M. Corneille, encore fort jeune, se présenta un jour plus triste et plus rêveur qu'à l'ordinaire devant le cardinal de Richelieu, qui lui demanda s'il travaillait. Il répondit qu'il était bien éloigné de la tranquillité nécessaire pour la composition, et qu'il avait la tête renversée par l'amour. Il en fallut venir à un plus grand éclaircissement; et il dit au cardinal qu'il aimait passionnément une fille du lieutenant général des Andelys, en Normandie, et qu'il ne pouvait l'obtenir de son père (M. de Lampérière. Le cardinal voulut que ce père si difficile vint lui parler à Paris. Il y arriva tout tremblant d'un ordre si imprévu, et s'en retourna bien content d'en être quitte pour avoir donné sa fille à un homme qui avait tant de crédit. (FONTENELLE, Additions à la Vie de son oncle.)

La première nuit de ses noces, qui se firent à Rouen, Corneille fut si malade, que l'on répandit à Paris le bruit de sa mort. Un pareil sujet était bien digne d'exercer la plume des poëtes, et Ménage lui fit aussitôt cette épitaphe:

CORNELII TUMULUS.

Hic jacet ille sui lumen Cornelius ævi,

Marie de Lampérière.

Quem vatem agnoscit Gallica scena suum.
An major fuerit socco, majorve cothurno,

Ambiguum: certe magnus utroque fuit.

Quand on sut que Corneille était rétabli, Ménage se hâta également de célébrer sa guérion dans la pièce suivante :

CORNELIUS REDIVIVUS.

Doctus ab infernis remeat Cornelius umbris,
Et potuit rigidas flectere voce deas.

Threicium numeris vatem qui dulcibus æquat,
Debuit et numeris non potuisse minus.

Les deux Corneille ont épousé les deux demoiselles de Lampérière. Il y avait entre les frères le même intervalle d'âge qu'entre les sœurs; ils ont eu un même nombre d'enfants; ce n'était qu'une même maison, qu'un même domestique; ils ont parcouru la même carrière. Enfin, après plus de vingt-cinq ans de mariage, les deux frères n'avaient pas encore songé à faire le partage des biens de leurs femmes, situés en Normandie; il ne fut fait qu'à la mort de Pierre. (DE BOZE.)

La distance qui était entre l'esprit des deux Corneille n'en mit aucune dans leur cœur. Ils étaient extrêmement unis, et logeaient ensemble. Thomas avait le travail infiniment plus facile que Pierre ; et quand celui-ci cherchait une rime, il levait une trappe et la demandait à son frère, qui la lui donnait aussitôt. (VOISENON.)

M. Corneille, cinq ou six ans avant sa mort, disait qu'il avait pris congé du théâtre, et que sa poésie s'en était allée avec ses dents. (CHEVREAU.)

On a accusé Corneille d'être un homme intéressé, et moins avide de gloire que de gain : Corneille, qu'on sait avoir porté l'indifférence pour l'argent jusqu'à une insensibilité blåmable; qui n'a jamais tiré de ses pièces

que ce que les comédiens lui donnaient, sans compter avec eux; qui fut un an sans remercier Colbert du rétablissement de sa pension; qui, après avoir vécu sans faire aucune dépense, est mort sans biens; Corneille enfin, qui a eu le cœur aussi grand que l'esprit, les sentiments aussi nobles que les idées!

Peu de jours avant sa mort, l'argent manquait à cet illustre malade, fort éloigné de thésauriser; et le roi ayant appris du père de la Chaise la situation critique du grand Corneille, lui envoya deux cents louis. (Le père TOURNEMINE.)

A la fin de cette même année, Corneille mourut; et mon père, qui le lendemain de cette mort entrait dans les fonctions de directeur, prétendait que c'était à lui à faire faire, pour l'académicien qui venait de mourir, un service, suivant la coutume. Mais Corneille était mort pendant la nuit; et l'académicien qui était encore directeur la veille prétendait que, comme il n'était sorti de place que le lendemain matin, il était encore dans ses fonctions au moment de la mort de Corneille, et que par conséquent c'était à lui à faire faire le service. Cette dispute n'avait pour motif qu'une généreuse émulation: tous deux voulaient avoir l'honneur de rendre les devoirs funèbres à un mort si illustre. Cette contestation, glorieuse pour les deux parties, fut décidée par l'Académie en faveur de l'ancien directeur; ce qui donna lieu à ce mot fameux que Benserade dit à mon père : « Nul autre que vous ne pou« vait prétendre à enterrer Corneille; cependant vous « n'avez pu y parvenir. » (L. RACINE.)

⚫ 1684.

FIN DE LA VIE DE CORNEILLE.

AVERTISSEMENT

SUR LA TRAGÉDIE DU CID.

Fragment de l'historien Mariana, Historia de España,
1. IV, c. 50.

I

« Avia pocos dias antes hecho campo con D. Gomez conde « de Gormaz. Vencióle, y dióle la muerte. Lo que resultó de «<este caso, fue que casó con doña Ximena, hija y heredera «del mismo conde. Ella misma requirió al rey que se le «<diesse por marido (y a estaba muy prendenda de suspartes), «ó le castigasse conforme á las leyes, por la muerte que dió « á su padre. Hizóse el casamiento, que á todos estaba á cuento, con el qual por el gran dote de su esposa, que se allegó al estado que él tenia de su padre, se aumentó en poder y riquezas.

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Voilà ce qu'a prêté l'histoire à D. Guillem de Castro, qui a mis ce fameux événement sur le théâtre avant moi. Ceux qui entendent l'espagnol y remarqueront deux circonstances: l'une, que Chimène ne pouvant s'empêcher de reconnaître et d'aimer les belles qualités qu'elle voyait en D. Rodrigue, quoiqu'il eût tué son père (estaba prendada de sus partes), alla proposer ellemême au roi cette généreuse alternative, ou qu'il le lui donnȧt pour mari, ou qu'il le fit punir suivant les lois; l'autre, que ce mariage se fit au gré de tout le monde (à todos estaba à cuento). Deux chroniques du Cid ajoutent qu'il fut célébré par l'archevêque de Séville, en présence du roi et de toute sa cour; mais je me suis contenté du texte de l'historien, parce que toutes les deux ont quelque chose qui sent le roman, et peuvent ne persuader pas davantage que celles que nos Français ont faites de Charlemagne et de Roland. Ce que j'ai rapporté de Mariana, suffit pour faire voir l'état qu'on fit de Chimène et de son mariage dans son siècle même, où elle vécut en un tel éclat, que les rois d'Aragon et de Navarre tinrent à honneur d'être ses gendres, en épousant ses deux filles. Quelques-uns ne l'ont pas si bien traitée dans le nôtre; et, sans parler de ce qu'on a dit de la Chimène du théâtre,

Ces paroles de Mariana suffisent pour justifier Corneille : «< Chimène « demanda au roi qu'il fit punir le Cid selon les lois, ou qu'il le lui « donnât pour époux. >>

On voit combien la vérité historique est adoucie dans la tragédie. (V.)

celui qui a composé l'histoire d'Espagne en français l'a notée, dans son livre, de s'être tôt et aisément consolée de la mort de son père, et a voulu taxer de légèreté une action qui fut imputée à grandeur de courage par ceux qui en furent les témoins. Deux romances espagnoles que je vous donnerai ensuite de cet avertissement, parlent encore plus en sa faveur. Ces sortes de petits poëmes sont comme des originaux décousus de leurs anciennes histoires; et je serais ingrat envers la mémoire de cette héroïne, si, après l'avoir fait connaitre en France, et m'y être fait connaitre par elle, je ne tachais de la tirer de la honte qu'on lui a voulu faire, parce qu'elle a passé par mes mains. Je vous donne done ces pièces justificatives de la réputation où elle a vécu, sans dessein de justifier la façon dont je l'ai fait parler français. Le temps l'a fait pour moi, et les traductions qu'on en a faites en toutes les langues qui servent aujourd'hui à la scène, et chez tous les peuples où l'on voit des théatres, je veux dire en italien, flamand et anglais, sont d'assez glorieuses apologies contre tout ce qu'on en a dit. Je n'y ajouterai pour toute chose qu'environ une douzaine de vers espagnols qui semblent faits exprès pour la défendre. Ils sont du même auteur qui l'a traitée avant moi, D. Guillem de Castro, qui, dans une autre comédie qu'il intitule Enganarse enganando, fait dire à une princesse de Béarn :

A mirar

Bien el mondo, que el tener
Apetitos que vencer,
Y ocasiones que dexar.
Examinan el valor
En la muger, yo dixera

Lo que siento, porque fuera
Luziniento de mi honor.

Pero malicias fundadas
En honras mal entendidas
De tentaciones vencidas
Hazen culpas declaradas :
Y assi, la que el dessear
Con el resistir apunta,
Vence dos vezes, si junta
Con el resistir el callar.

C'est, si je ne me trompe, comme agit Chimène dans mon ouvrage, en présence du roi et de l'infante. Je dis en présence du roi et de l'infante, parce que quand elle est seule, ou avec sa confidente, ou avec son amant, c'est une autre chose. Ses mœurs sont inégalement égales, pour parler en termes de notre Aristote, et changent suivant les circonstances des lieux, des personnes, des temps et des occasions, en conservant toujours le même principe.

Au reste, je me sens obligé de désabuser le public de deux erreurs qui s'y sont glissées touchant cette tragédie, et qui semblent avoir été autorisées par mon silence. La première est que j'aie convenu de juges touchant son mérite, et m'en sois rapporté au sentiment de ceux qu'on a priés d'en juger. Je m'en tairais encore, si ce faux bruit n'avait été jusque chez M. de Balzac dans sa province, ou, pour me servir de ses paroles mêmes, dans

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