AUGUSTE. Le ciel m'inspirera ce qu'ici je dois faire. LIVIE. Je ne vous quitte point, Seigneur, que mon amour n'aye obtenu ce point. AUGUSTE. C'est l'amour des grandeurs qui vous rend importune'. LIVIE. J'aime votre personne, et non votre fortune. Il m'échappe; suivons, et forçons-le de voir SCÈNE IV. ÆMILIE, FULVIE. EMILIE. D'où me vient cette joie, et que mal à propos mettre toute sa province, pour rimer à prince; et toute sa province est une expression bien faible, surtout quand il s'agit de l'empire romain. (V.) C'est l'amour des grandeurs qui vous rend importune, augmente encore la faute qui consiste à faire rejeter par Auguste un trés-bon conseil, qu'en effet il accepte. (V.) La scène reste vide; c'est un grand défaut aujourd'hui, et dans lequel même les plus médiocres auteurs ne tombent pas. Mais Cor. neille est le premier qui ait pratiqué cette règle si belle et si nécessaire de lier les scènes, et de ne faire paraître sur le théâtre aucun personnage sans une raison évidente. Si le législateur manque ici à la loi qu'il a introduite, il est assurément bien excusable. Il n'est pas vraisemblable qu'Émilie arrive avec sa confidente pour parler de la conspiration dans la même chambre dont Auguste sort; ainsi elle est supposée parler dans un autre appartement. (V.) Mon esprit malgré moi goûte un entier repos1! César mande Cinna sans me donner d'alarmes ! Mon cœur est sans soupirs, mes yeux n'ont point de larmes : Que tout doit succéder à mon contentement! FULVIE. J'avais gagné sur lui qu'il aimerait la vie, On parle d'eaux, de Tibre, et l'on se tait du reste. EMILIE. Que de sujets de craindre et de désespérer, Sans que mon triste cœur en daigne murmurer! A chaque occasion le ciel y fait descendre Un sentiment contraire à celui qu'il doit prendre : Et je suis insensible alors qu'il faut trembler. Je vous entends, grands dieux ! vos bontés que j'adore On ne voit pas trop d'où lui vient cette prétendue joie; c'était au contraire le moment des plus terribles inquiétudes. Et dans la même assiette où vous me retenez. O liberté de Rome! ô mânes de mon père ! Et plus osé pour vous qu'il ne m'était permis. SCÈNE V. MAXIME, ÆMILIE, FULVIE. EMILIE. Mais je vous vois, Maxime, et l'on vous faisait mort'! MAXIME. Euphorbe trompe Auguste avec ce faux rapport; Que dit-on de Cinna? ÆMILIE. MAXIME. Que son plus grand regret C'est de voir que César sait tout votre secret; En vain il le dénie et le veut méconnaître, Évandre a tout conté pour excuser son maître, Et par l'ordre d'Auguste on vient vous arrêter. ÆMILIE. Celui qui l'a reçu tarde à l'exécuter; Je suis prête à le suivre, et lasse de l'attendre. Il vous attend chez moi. MAXIME. 'Ne dissimulons rien, cette résurrection de Maxime n'est pas unc invention heureuse. Corneille n'a pas prétendu faire un coup de théatre, mais il pouvait éviter cette apparition inattendue d'un homme qu'on croit mort, et dont on ne désire point du tout la vie; il était fort inutile à la pièce que son esclave Euphorbe eût feint que son maître s'était noyć. (V.) ÆMILIE. Chez vous! MAXIME. C'est vous surprendre : Mais apprenez le soin que le ciel a de vous; ÆMILIE. Me connais-tu, Maxime, et sais-tu qui je suis? MAXIME. En faveur de Cinna je fais ce que je puis', EMILIE. Cinna dans son malheur est de ceux qu'il faut suivre, MAXIME. Quel désespoir aveugle à ces fureurs vous porte? Maxime joue le rôle d'un misérable; pourquoi l'auteur, pouvant l'ennoblir, l'a-t-il rendu si bas? apparemment il cherchait un contraste; mais de tels contrastes ne peuvent guère réussir que dans la comédie. (V.) 2 De peur de leur survivre veut dire, parce qu'il serait honteux de leur survivre. 3 L'auteur veut dire : Cinna et Maxime n'avaient qu'une âme. EMILIE. Tu m'oses aimer, et tu n'oses mourir '! Tu prétends un peu trop; mais, quoi que tu prétendes, Cesse de fuir en lâche un glorieux trépas, Ou de m'offrir un cœur que tu fais voir si bas; MAXIME. Votre juste douleur est trop impétueuse. ÆMILIE. La tienne en ta faveur est trop ingénieuse. MAXIME. Cet amour en naissant est toutefois extrême: ÆMILIE. Maxime, en voilà trop pour un homme avisé2. MAXIME. Quoi! vous suis-je suspect de quelque perfidie? ÆMILIE. Oui, tu l'es, puisque enfin tu veux que je le die; 2 Tu m'oses aimer, et tu n'ose mourir! est sublime. (V.) 2 Avisé n'est pas le mot propre; il semble qu'au contraire Maxime a été trop peu avisé : il paraît trop évidemment un perfide; Émilie l'a déjà appelé lâche. (V.) |