Ose me démentir, dis-moi ce que tu vaux; C'est elle qu'on adore, et non pas ta personne; CINNA. Je demeure stupide; Le sort vous est propice autant qu'il m'est contraire; cette plaisanterie du maréchal de la Feuillade. Auguste se devait à lui-même de dire à Cinna tout ce qu'il lui dit. Puisqu'il était son ami auparavant, et qu'il veut bien continuer de l'être, son intention n'est pas de l'avilir, mais de le remetre à sa place, en lui faisant sentir le peu de puissance réelle qu'il a, et tous les obstacles qui s'opposeraient à son ambition. Ajoutons même que la clémence d'Auguste est intéressée à les lui faire sentir, pour le détourner d'une rechute qui deviendrait impardonnable. (P.) Vous devez un exemple à la postérité, AUGUSTE. Tu me braves, Cinna, tu fais le magnanime, SCÈNE II. LIVIE, AUGUSTE, CINNA, ÆMILIE, FULVIE. LIVIE. Vous ne connaissez pas encor tous les complices; C'est elle-même, ô dieux ! CINNA. AUGUSTE. Et toi, ma fille, aussi ! EMILIE. Oui, tout ce qu'il a fait, il l'a fait pour me plaire, AUGUSTE. Quoi! l'amour qu'en ton cœur j'ai fait naître aujourd'hui Ton âme à ces transports un peu trop s'abandonne, EMILIE. Cet amour qui m'expose à vos ressentiments N'est point le prompt effet de vos commandements; Ces flammes dans nos cœurs sans votre ordre étaient nées, Mais, quoique je l'aimasse, et qu'il brûlât pour moi, Je ne voulus jamais lui donner d'espérance, Qu'il ne m'eût de mon père assuré la vengeance; Les acteurs ont été obligés de retrancher Livie, qui venait dire seulement ces deux vers. On les fait prononcer par Émilie. (V.) 2 Cette petite ironie est-elle bien placée dans ce moment tragique ? estce ainsi qu'Auguste doit parler? (V.), Je la lui fis jurer; il chercha des amis : Le ciel rompt le succès que je m'étais promis, AUGUSTE. Jusques à quand, ô ciel, et par quelle raison EMILIE. Ceux de mon père en vous firent mêmes effets. AUGUSTE. Songe avec quel amour j'élevai ta jeunesse. EMILIE. Il éleva la vôtre avec même tendresse; C'en est trop, Æmilie, arrête, et considère Il est ici question de Julie et d'Émilie. Les gens instruits savent qu'Émilie ne fut jamais adoptée par Auguste; elle ne l'est que dans cette pièce. (V.) * Les comédiens ont retranché tout le couplet de Livie, qui ne vient que pour débiter une maxime aussi fausse qu'horrible, qu'il est permis d'assasiner pour une couronne, et qu'on est absous de tous les crimes quand on règne. (V.) Tous ces crimes d'Etat qu'on fait pour la couronne Le ciel nous en absout alors qu'il nous la donne, Et, dans le sacré rang où sa faveur l'a mis, Le passé devient juste et l'avenir permis. › Qui peut y parvenir ne peut être coupable; Quoi qu'il ait fait ou fasse, il est inviolable : Nous lui devons nos biens, nos jours sont en sa main; Et jamais on n'a droit sur ceux du souverain. ÆMILIE. Aussi, dans le discours que vous venez d'entendre, CINNA. Que vous m'ayez séduit, et que je souffre encore Seigneur, la vérité doit ici s'exprimer : Et l'offre de mon bras suivit celle du cœur. Que la vengeance est douce à l'esprit d'une femme! ÆMILIE. Cinna, qu'oses-tu dire? est-ce là me chérir, CINNA. Mourez, mais en mourant ne souillez point ma gloire. EMILIE. La mienne se flétrit, si César te veut croire. CINNA. Et la mienne se perd, si vous tirez à vous Toute celle qui suit de si généreux coups 1. EMILIE. Eh bien! prends-en ta part, et me laisse la mienne; La gloire et le plaisir, la honte et les tourments, Nos deux âmes, seigneur, sont deux âmes romaines; AUGUSTE. Oui, je vous unirai, couple ingrat et perfide, SCÈNE III. AUGUSTE, LIVIE, CINNA, MAXIME, ÆMILIE, FULVIE. AUGUSTE. Mais enfin le ciel m'aime, et ses bienfaits nouveaux Ont arraché Maxime à la fureur des eaux 2. Approche, seul ami que j'éprouve fidèle. MAXIME. Honorez moins, seigneur, une âme criminelle. AUGUSTE. Ne parlons plus de crime après ton repentir, Tirez à vous est une expression trop peu noble. Généreux coups ne peut se dire d'une entreprise qui n'a pas eu d'effet. (V.) * Maxime vient ici faire un personnage aussi inutile que Livie. On ne s'intéresse qu'au sort de Cinna et d'Émilie, et la grâce de Maxime ne touche personne. (V.) |