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Ose me démentir, dis-moi ce que tu vaux;
Conte-moi tes vertus, tes glorieux travaux,
Les rares qualités par où tu m'as dû plaire,
Et tout ce qui t'élève au-dessus du vulgaire.
Ma faveur fait ta gloire, et ton pouvoir en vient;
Elle seule t'élève, et seule te soutient;

C'est elle qu'on adore, et non pas ta personne;
Tu n'as crédit ni rang qu'autant qu'elle t'en donne;
Et pour te faire choir je n'aurais aujourd'hui
Qu'à retirer la main qui seule est ton appui.
J'aime mieux toutefois céder à ton envie :
Règne, si tu le peux, aux dépens de ma vie;
Mais oses-tu penser que les Serviliens,
Les Cosses, les Métels, les Pauls, les Fabiens,
Et tant d'autres enfin de qui les grands courages
Des héros de leur sang sont les vives images,
Quittent le noble orgueil d'un sang si généreux
Jusqu'à pouvoir souffrir que tu règnes sur eux?
Parle, parle, il est temps.

CINNA.

Je demeure stupide;
Non que votre colère ou la mort m'intimide :
Je vois qu'on m'a trahi, vous m'y voyez rêver,
Et j'en cherche l'auteur sans le pouvoir trouver.
Mais c'est trop y tenir toute l'âme occupée.
Seigneur, je suis Romain, et du sang de Pompée.
Le père et les deux fils, lâchement égorgés,
Par la mort de César étaient trop peu vengés;
C'est là d'un beau dessein l'illustre et seule cause :
Et puisqu'à vos rigueurs la trahison m'expose,
N'attendez point de moi d'infâmes repentirs,
D'inutiles regrets, ni de honteux soupirs;

Le sort vous est propice autant qu'il m'est contraire;
Je sais ce que j'ai fait, et ce qu'il vous faut faire.

cette plaisanterie du maréchal de la Feuillade. Auguste se devait à lui-même de dire à Cinna tout ce qu'il lui dit. Puisqu'il était son ami auparavant, et qu'il veut bien continuer de l'être, son intention n'est pas de l'avilir, mais de le remetre à sa place, en lui faisant sentir le peu de puissance réelle qu'il a, et tous les obstacles qui s'opposeraient à son ambition. Ajoutons même que la clémence d'Auguste est intéressée à les lui faire sentir, pour le détourner d'une rechute qui deviendrait impardonnable. (P.)

Vous devez un exemple à la postérité,
Et mon trépas importe à votre sûreté.

AUGUSTE.

Tu me braves, Cinna, tu fais le magnanime,
Et, loin de t'excuser, tu couronnes ton crime.
Voyons si ta constance ira jusques au bout.
Tu sais ce qui t'est dû, tu vois que je sais tout;
Fais ton arrêt toi-même, et choisis tes supplices.

SCÈNE II.

LIVIE, AUGUSTE, CINNA, ÆMILIE, FULVIE.

LIVIE.

Vous ne connaissez pas encor tous les complices;
Votre Emilie en est, seigneur, et la voici '.

C'est elle-même, ô dieux !

CINNA.

AUGUSTE.

Et toi, ma fille, aussi !

EMILIE.

Oui, tout ce qu'il a fait, il l'a fait pour me plaire,
Et j'en étais, seigneur, la cause et le salaire.

AUGUSTE.

Quoi! l'amour qu'en ton cœur j'ai fait naître aujourd'hui
T'emporte-t-il déjà jusqu'à mourir pour lui!

Ton âme à ces transports un peu trop s'abandonne,
Et c'est trop tôt aimer l'amant que je te donne '.

EMILIE.

Cet amour qui m'expose à vos ressentiments

N'est point le prompt effet de vos commandements;

Ces flammes dans nos cœurs sans votre ordre étaient nées,
Et ce sont des secrets de plus de quatre années :

Mais, quoique je l'aimasse, et qu'il brûlât pour moi,
Une haine plus forte à tous deux fit la loi;

Je ne voulus jamais lui donner d'espérance,

Qu'il ne m'eût de mon père assuré la vengeance;

Les acteurs ont été obligés de retrancher Livie, qui venait dire seulement ces deux vers. On les fait prononcer par Émilie. (V.)

2 Cette petite ironie est-elle bien placée dans ce moment tragique ? estce ainsi qu'Auguste doit parler? (V.),

Je la lui fis jurer; il chercha des amis :

Le ciel rompt le succès que je m'étais promis,
Et je vous viens, seigneur, offrir une victime;
Non pour sauver sa vie en me chargeant du crime,
Son trépas est trop juste après son attentat,
Et toute excuse est vaine en un crime d'État :
Mourir en sa présence, et rejoindre mon père,
C'est tout ce qui m'amène, et tout ce que j'espère.

AUGUSTE.

Jusques à quand, ô ciel, et par quelle raison
Prendrez-vous contre moi des traits dans ma maison?
Pour ses débordements j'en ai chassé Julie;
Mon amour en sa place a fait choix d'Æmilie,
Et je la vois comme elle indigne de ce rang.
L'une m'ôtait l'honneur, l'autre a soif de mon sang;
Et, prenant toutes deux leur passion pour guide,
L'une fut impudique, et l'autre est parricide '.
O ma fille! est-ce là le prix de mes bienfaits?

EMILIE.

Ceux de mon père en vous firent mêmes effets.

AUGUSTE.

Songe avec quel amour j'élevai ta jeunesse.

EMILIE.

Il éleva la vôtre avec même tendresse;
Il fut votre tuteur, et vous son assassin;
Et vous m'avez au crime enseigné le chemin :
Le mien d'avec le vôtre en ce point seul diffère,
Que votre ambition s'est immolé mon père,
Et qu'un juste courroux dont je me sens brûler
A son sang innocent voulait vous immoler.
LIVIE 2.

C'en est trop, Æmilie, arrête, et considère
Qu'il t'a trop bien payé les bienfaits de ton père :
Sa mort, dont la mémoire allume ta fureur,
Fut un crime d'Octave, et non de l'empereur.

Il est ici question de Julie et d'Émilie. Les gens instruits savent qu'Émilie ne fut jamais adoptée par Auguste; elle ne l'est que dans cette pièce. (V.)

* Les comédiens ont retranché tout le couplet de Livie, qui ne vient que pour débiter une maxime aussi fausse qu'horrible, qu'il est permis d'assasiner pour une couronne, et qu'on est absous de tous les crimes quand on règne. (V.)

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Tous ces crimes d'Etat qu'on fait pour la couronne Le ciel nous en absout alors qu'il nous la donne, Et, dans le sacré rang où sa faveur l'a mis, Le passé devient juste et l'avenir permis. › Qui peut y parvenir ne peut être coupable; Quoi qu'il ait fait ou fasse, il est inviolable : Nous lui devons nos biens, nos jours sont en sa main; Et jamais on n'a droit sur ceux du souverain.

ÆMILIE.

Aussi, dans le discours que vous venez d'entendre,
Je parlais pour l'aigrir, et non pour me défendre.
Punissez donc, seigneur, ces criminels appas
Qui de vos favoris font d'illustres ingrats;
Tranchez mes tristes jours pour assurer les vôtres.
Si j'ai séduit Cinna, j'en séduirai bien d'autres;
Et je suis plus à craindre, et vous plus en danger,
Si j'ai l'amour ensemble et le sang à venger.

CINNA.

Que vous m'ayez séduit, et que je souffre encore
D'être déshonoré par celle que j'adore!

Seigneur, la vérité doit ici s'exprimer :
J'avais fait ce dessein avant que de l'aimer;
A mes plus saints désirs la trouvant inflexible,
Je crus qu'à d'autres soins elle serait sensible;
Je parlai de son père et de votre rigueur,

Et l'offre de mon bras suivit celle du cœur.

Que la vengeance est douce à l'esprit d'une femme!
Je l'attaquai par là, par là je pris son âme;
Dans mon peu de mérite elle me négligeait,
Et ne put négliger le bras qui la vengeait :
Elle n'a conspiré que par mon artifice;
J'en suis le seul auteur, elle n'est que complice.

ÆMILIE.

Cinna, qu'oses-tu dire? est-ce là me chérir,
Que de m'ôter l'honneur quand il me faut mourir?

CINNA.

Mourez, mais en mourant ne souillez point ma gloire.

EMILIE.

La mienne se flétrit, si César te veut croire.

CINNA.

Et la mienne se perd, si vous tirez à vous

Toute celle qui suit de si généreux coups 1.

EMILIE.

Eh bien! prends-en ta part, et me laisse la mienne;
Ce serait l'affaiblir que d'affaiblir la tienne :

La gloire et le plaisir, la honte et les tourments,
Tout doit être commun entre de vrais amants.

Nos deux âmes, seigneur, sont deux âmes romaines;
Unissant nos désirs, nous unîmes nos haines;
De nos parents perdus le vif ressentiment
Nous apprit nos devoirs en un même moment;
En ce noble dessein nos cœurs se rencontrèrent;
Nos esprits généreux ensemble le formèrent;
Ensemble nous cherchons l'honneur d'un beau trépas :
Vous vouliez nous unir, ne nous séparez pas.

AUGUSTE.

Oui, je vous unirai, couple ingrat et perfide,
Et plus mon ennemi qu'Antoine ni Lépide;
Oui, je vous unirai, puisque vous le voulez :
Il faut bien satisfaire aux feux dont vous brûlez;
Et que tout l'univers, sachant ce qui m'anime,
S'étonne du supplice aussi bien que du crime. -

SCÈNE III.

AUGUSTE, LIVIE, CINNA, MAXIME, ÆMILIE, FULVIE.

AUGUSTE.

Mais enfin le ciel m'aime, et ses bienfaits nouveaux

Ont arraché Maxime à la fureur des eaux 2.

Approche, seul ami que j'éprouve fidèle.

MAXIME.

Honorez moins, seigneur, une âme criminelle.

AUGUSTE.

Ne parlons plus de crime après ton repentir,
Après que du péril tu m'as su garantir;
C'est à toi que je dois et le jour et l'empire.

Tirez à vous est une expression trop peu noble. Généreux coups

ne peut se dire d'une entreprise qui n'a pas eu d'effet. (V.)

* Maxime vient ici faire un personnage aussi inutile que Livie. On ne s'intéresse qu'au sort de Cinna et d'Émilie, et la grâce de Maxime ne touche personne. (V.)

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