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SCÈNE III.

PAULINE, STRATONICE.

STRATONICE.

Je vous ai plaints tous deux, j'en verse encor des larmes ;
Mais du moins votre esprit est hors de ses alarmes ':
Vous voyez clairement que votre songe est vain;
Sévère ne vient pas la vengeance à la main.

PAULINE.

Laisse-moi respirer du moins, si tu m'as plainte :
Au fort de ma douleur tu rappelles ma crainte ;
Souffre un peu de relâche à mes esprits troublés,
Et ne m'accable point par des maux redoublés.

STRATONICE.

Quoi! vous craignez encor?

PAULINE.

Je tremble, Stratonice;

Et, bien que je m'effraie avec peu de justice,
Cette injuste frayeur sans cesse reproduit
L'image des malheurs que j'ai vus cette nuit.

STRATONICE.

Sévère est généreux.

PAULINE.

Malgré sa retenue,

Polyeucte sanglant frappe toujours ma vue.

STRATONICE.

Vous voyez ce rival faire des vœux pour lui.

Corneille sentait bien que l'entrevue de deux personnes qui s'aiment et qui ne doivent pas s'aimer ferait un très-grand effet; et l'hôtel de Rambouillet ne sentit pas ce mérite. Jusqu'ici on ne voit à la vérité dans Pauline qu'une femme qui n'a point épousé son amant, qui l'aime encore, et qui le lui dit quinze jours après ses noces; mais c'est une préparation à ce qui doit suivre, au péril de son mari, à la fermeté que montrera Pauline en parlant à Sévère pour ce mari même, à la grandeur d'âme de Sévère: voilà ce qui rend l'amour de Pauline infiniment théâtral et digne de la tragédie. (V.)

On dit hors d'alarmes, hors de crainte, hors de danger; mais non hors de ses alarmes, de sa crainte, de son danger, parce qu'on n'est pas hors de quelque chose qu'on a ; il est hors de mesure, et non hors de sa mesure; ce mot hors bien employé peut devenir noble :

Mals le cœur d'Émilie est hors de son pouvoir.

(V.)

PAULINE.

Je crois même au besoin qu'il serait son appui :
Mais, soit cette croyance ou fausse, ou véritable,
Son séjour en ce lieu m'est toujours redoutable;
A quoi que sa vertu puisse le disposer,

Il est puissant, il m'aime, et vient pour m'épouser.

SCÈNE IV.

POLYEUCTE, NÉARQUE, PAULINE, STRATONICE.

POLYEUCTE.

C'est trop verser de pleurs; il est temps qu'ils tarissent :
Que votre douleur cesse, et vos craintes finissent;
Malgré les faux avis par vos dieux envoyés,
Je suis vivant, madame, et vous me revoyez.

PAULINE.

Le jour est encor long, et, ce qui plus m'effraie,
La moitié de l'avis se trouve déjà vraie;

J'ai cru Sévère mort, et je le vois ici.

POLYEUCTE.

Je le sais ; mais enfin j'en prends peu de souci.
Je suis dans Mélitène; et, quel que soit Sévère,
Votre père y commande, et l'on m'y considère;
Et je ne pense pas qu'on puisse avec raison
D'un cœur tel que le sien craindre une trahison :
On m'avait assuré qu'il vous faisait visite 1,
Et je venais lui rendre un honneur qu'il mérite.

PAULINE.

Il vient de me quitter assez triste et confus;
Mais j'ai gagné sur lui qu'il ne me verra plus.

POLYEUCTE.

Quoi! vous me soupçonnez déjà de quelque ombrage?

Discours trop familier. Polyeucte, à la vérité, joue un rôle un peu désagréable, et n'intéresse encore en rien : revenir pour dire qu'il n'est pas mort, cela n'est pas tragique; et il est bien étrange que Polyeucte ait appris que Sévère faisait visite à sa femme avant d'avoir vu ni Polyeucte ni Félix: cela n'est ni décent ni vraisemblable; une telle conduite est révoltante dans un homme comme Sévère; Félix aurait dû aller au-devant de lui, ou Sévère aurait dù rendre visite à Félix, et demander du moins à voir Polyeucte. (V.)

PAULINE.

Je ferais à tous trois un trop sensible outrage '.
J'assure mon repos, que troublent ses regards :
La vertu la plus ferme évite les hasards;
Qui s'expose au péril veut bien trouver sa perte :
Et, pour vous en parler avec une âme ouverte,
Depuis qu'un vrai mérite a pu nous enflammer,
Sa présence toujours a droit de nous charmer.
Outre qu'on doit rougir de s'en laisser surprendre,
On souffre à résister, on souffre à s'en défendre;
Et, bien que la vertu triomphe de ces feux,
La victoire est pénible, et le combat honteux.

POLYEUCTE.

O vertu trop parfaite, et devoir trop sincère2,
Que vous devez coûter de regrets à Sévère !
Qu'aux dépens d'un beau feu vous me rendez heureux!
Et que vous êtes doux à mon cœur amoureux !
Plus je vois mes défauts et plus je vous contemple,
Plus j'admire...

SCÈNE V.

POLYEUCTE, PAULINE, NÉARQUE, STRATONICE,

CLÉON.

CLÉON.

Seigneur, Félix vous mande au temple;

La victime est choisie, et le peuple à genoux ;
Et pour sacrifier on n'attend plus que vous.

POLYEUCTE.

Va, nous allons te suivre. Y venez-vous,

PAULINE.

madarne?

Sévère craint ma vue, elle irrite sa flamme;
Je lui tiendrai parole, et ne veux plus le voir.
Adieu vous l'y verrez; pensez à son pouvoir,
Et ressouvenez-vous que sa valeur est grande.

POLYEUCTE.

Allez, tout son crédit n'a rien que j'appréhende;

1

Je ferais à tous trois un trop sensible outrage,

Ce vers est admirable. (V.)

2 Un devoir n'est ni sincère ni dissimulé. (V.)

Et, comme je connais sa générosité,

Nous ne nous combattrons que de civilité'

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Quoi! vous mêler aux vœux d'une troupe infidèle !
Oubliez-vous déjà que vous êtes chrétien ?

POLYEUCTE.

Vous par qui je le suis, vous en souvient-il bien ?

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Et mourir dans leur temple, ou les y terrasser.
Allons, mon cher Néarque, allons aux yeux des hommes
Braver l'idolâtrie, et montrer qui nous sommes :
C'est l'attente du ciel, il nous la faut remplir;
Je viens de le promettre, et je vais l'accomplir.
Je rends grâces au Dieu que tu m'as fait connaître
De cette occasion qu'il a sitôt fait naître,
Où déjà sa bonté, prête à me couronner,
Daigne éprouver la foi qu'il vient de me donner.
NÉARQUE.
Ce zèle est trop ardent, souffrez qu'il se modère.

Vers de comédie. (V)

POLYEUCTE.

On n'en peut avoir trop pour le Dieu qu'on révère.

Vous trouverez la mort.

Et si ce cœur s'ébranle?

NÉARQUE.

POLYEUCTE.

Je la cherche pour lui.
NÉARQUE.

POLY EUCTE.

Il sera mon appui.
NÉARQUE.

Il ne commande point que l'on s'y précipite.

POLYEUCTE.

Plus elle est volontaire, et plus elle mérite.

NÉARQUE.

Il suffit, sans chercher, d'attendre et de souffrir.

POLYEUCTE.

On souffre avec regret quand on n'ose s'offrir.

NÉARQUE.

Mais dans ce temple enfin la mort est assurée.

POLYEUCTE.

Mais dans le ciel déjà la palme est préparée.

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POLYEUCTE.

Mes crimes, en vivant, me la pourraient ôter. Pourquoi mettre au hasard ce que la mort assure Quand elle ouvre le ciel, peut-elle sembler dure? Je suis chrétien, Néarque, et le suis tout à fait; La foi que j'ai reçue aspire à son effet.

Qui fuit croit lâchement, et n'a qu'une foi morte.
NÉARQUE.

Ménagez votre vie, à Dieu même elle importe;
Vivez pour protéger les chrétiens en ces lieux.

POLYEUCTE.

L'exemple de ma mort les fortifiera mieux.

Vous voulez donc mourir ?

NÉARQUE.

POLYEUCTE.

Vous aimez donc à vivre? NÉARQUE.

Je ne puis déguiser que j'ai peine à vous suivre.

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