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Voilà ce grand secret et si mystérieux
Que n'en pouvait tirer votre amour curieux.

PAULINE.

Tu me blåmais alors d'être trop importune.

STRATONICE.

Je ne prévoyais pas une telle infortune.

PAULINE.

Avant qu'abandonner mon âme à mes douleurs,
Il me faut essayer la force de mes pleurs 1;
En qualité de femme ou de fille, j'espère
Qu'ils vaincront un époux, ou fléchiront un père.
Que si sur l'un et l'autre ils manquent de pouvoir,
Je ne prendrai conseil que de mon désespoir.
Apprends-moi cependant ce qu'ils ont fait au temple.

STRATONICE.

C'est une impiété qui n'eut jamais d'exemple.
Je ne puis y penser sans frémir à l'instant,
Et crains de faire un crime en vous la racontant.
Apprenez en deux mots leur brutale insolence.
Le prêtre avait à peine obtenu du silence,
Et devers l'orient assuré son aspect,
Qu'ils ont fait éclater leur manque de respect.
A chaque occasion de la cérémonie,

A l'envi l'un et l'autre étalait sa manie,
Des mystères sacrés hautement se moquait,
Et traitait de mépris les dieux qu'on invoquait.
Tout le peuple en murmure, et Félix s'en offense;
Mais tous deux s'emportant à plus d'irrévérence :

"

Quoi! lui dit Polyeucte en élevant sa voix,

« Adorez-vous des dieux ou de pierre ou de bois ? >>>
Ici dispensez-moi du récit des blasphèmes
Qu'ils ont vomis tous deux contre Jupiter mêmes 2
L'adultère et l'inceste en étaient les plus doux.

« Oyez, dit-il ensuite, oyez, peuple; oyez tous
Il faut le pouvoir. (V.)

3
:

:

* Corneille emploie indifféremment cet adverbe même avec une s et sans s. Les poëtes, tant gênés d'ailleurs, peuvent avoir la liberté d'ôter et d'ajouter une s à ce mot. (V.)

3 Oyez n'est plus employé qu'au barreau: on a conservé ce mot en Angleterre ; les huissiers disent oiss sans savoir ce qu'ils disent. Nous n'avons gardé de ce verbe que l'infinitif ouïr; et nous disions autrefois oyer. Les sessions de l'échiquier de Normandie s'appelaient oyer, et terminer. (V.)

« Le Dieu de Polyeucte et celui de Néarque
«De la terre et du ciel est l'absolu monarque,
« Seul être indépendant, seul maître du destin,

« Seul principe éternel, et souveraine fin.

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«C'est ce Dieu des chrétiens qu'il faut qu'on remercie

« Des victoires qu'il donne à l'empereur Décie;

«Lui seul tient en sa main le succès des combats;

« Il le peut élever, il le peut mettre à bas;

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Sa bonté, son pouvoir, sa justice est immense;

« C'est lui seul qui punit, lui seul qui récompense :
« Vous adorez en vain des monstres impuissants.
Se jetant à ces mots sur le vin et l'encens,
Après en avoir mis les saints vases par terre,
Sans crainte de Félix, sans crainte du tonnerre,
D'une fureur pareille ils courent à l'autel.
Cieux! a-t-on vu jamais, a-t-on rien vu de tel!
Du plus puissant des dieux nous voyons la statue
Par une main impie à leurs pieds abattue:
Les mystères troublés, le temple profané,
La fuite et les clameurs d'un peuple mutiné
Qui craint d'être accablé sous le courroux céleste.
Félix... Mais le voici qui vous dira le reste 1.

PAULINE.

Que son visage est sombre et plein d'émotion !
Qu'il montre de tristesse et d'indignation!

SCÈNE III.

FÉLIX, PAULINE, STRATONICE.

FÉLIX.

Une telle insolence avoir osé paraître !

En public! à ma vue! Il en mourra, le traître.

PAULINE.

Souffrez que votre fille embrasse vos genoux.

FÉLIX.

Je parle de Néarque, et non de votre époux.

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Quelque indigne qu'il soit de ce doux nom de gendre,
Mon âme lui conserve un sentiment plus tendre;

1 Il y a là un grand intérêt : c'est là, encore une fois, ce qui fait le succès des pièces de théâtre. (V.)

La grandeur de son crime et de mon déplaisir
N'a pas éteint l'amour qui me l'a fait choisir.

PAULINE.

Je n'attendais pas moins de la bonté d'un père.
FÉLIX.

Je pouvais l'immoler à ma juste colère :
Car vous n'ignorez pas à quel comble d'horreur
De son audace impie a monté la fureur;

Vous l'avez pu savoir du moins de Stratonice.

PAULINE.

Je sais que de Néarque il doit voir le supplice.

FÉLIX.

Du conseil qu'il doit prendre il sera mieux instruit,
Quand il verra punir celui qui l'a séduit.

Au spectacle sanglant d'un ami qu'il faut suivre,
La crainte de mourir et le désir de vivre
Ressaisissent une âme avec tant de pouvoir,
Que qui voit le trépas cesse de le vouloir '.
L'exemple touche plus que ne fait la menace :
Cette indiscrète ardeur tourne bientôt en glace,
Et nous verrons bientôt son cœur inquiété
Me demander pardon de tant d'impiété.

PAULINE.

Vous pouvez espérer qu'il change de courage?

FÉLIX.

Aux dépens de Néarque il doit se rendre sage.

PAULINE.

Il le doit; mais, hélas! où me renvoyez-vous,
Et quels tristes hasards ne court point mon époux,
Si de son inconstance il faut qu'enfin j'espère

Le bien que j'espérais de la bonté d'un père?

FÉLIX.

Je vous en fais trop voir, Pauline, à consentir
Qu'il évite la mort par un prompt repentir.
Je devais même peine à des crimes semblables;
Et, mettant différence entre ces deux coupables,

Voilà où les maximes générales sont bien placées; elles ne sont point ici dans la bouche d'un homme passionné qui doit parler avec sentiment, et éviter les sentences et les lieux communs; c'est un juge qui parle, et qui dit des raisons prises dans la connaissance du cœur humain. (V.)

J'ai trahi la justice à l'amour paternel ';

Je me suis fait pour lui moi-même criminel;
Et j'attendais de vous, au milieu de vos craintes,
Plus de remercîments que je n'entends de plaintes.

PAULINE.

De quoi remercier qui ne me donne rien?

Je sais quelle est l'humeur et l'esprit d'un chrétien.
Dans l'obstination jusqu'au bout il demeure:
Vouloir son repentir, c'est ordonner qu'il meure.

FÉLIX.

Sa grâce est en sa main, c'est à lui d'y rêver.

PAULINE.

Faites-la tout entière.

FÉLIX.

Il la peut achever.

PAULINE.

Ne l'abandonnez pas aux fureurs de sa secte.

FÉLIX.

Je l'abandonne aux lois, qu'il faut que je respecte.

PAULINE.

Est-ce ainsi que d'un gendre un beau-père est l'appui ?

FÉLIX.

Qu'il fasse autant pour soi comme je fais pour lui 2.

PAULINE.

Mais il est aveuglé.

FÉLIX.

Mais il se plaît à l'être.

Qui chérit son erreur ne la veut pas connaître.

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Cette suppression des articles n'est plus permise. Trahir la justice à l'amour paternel n'est pas français. (V.)

2 Ce vers est un barbarisme on dit autant que, et non pas autant comme. Soi ne se dit qu'à l'indéfini ; il faut faire quelque chose pour soi, il travaille pour lui. (V.) --. Cette loi n'est pas sans exception. (P.)

FÉLIX.

Eh bien! qu'il leur en fasse '.

PAULINE.

Au nom de l'empereur, dont vous tenez la place...

FÉLIX.

J'ai son pouvoir en main; mais, s'il me l'a commis,
C'est pour le déployer contre ses ennemis.

Polyeucte l'est-il?

PAULINE.

FÉLIX.

Tous chrétiens sont rebelles.

PAULINE.

N'écoutez point pour lui ces maximes cruelles;
En épousant Pauline il s'est fait votre sang.

FÉLIX.

Je regarde sa faute, et ne vois plus son rang.
Quand le crime d'État se mêle au sacrilege,
Le sang ni l'amitié n'ont plus de privilége.

Quel excès de rigueur !

PAULINE.

FÉLIX.

Moindre que son forfait.

PAULINE.

O de mon songe affreux trop véritable effet!
Voyez-vous qu'avec lui vous perdez votre fille ?

FÉLIX.

Les dieux et l'empereur sont plus que ma famille.

PAULINE.

La perte de tous deux ne vous peut arrêter!

FÉLIX.

J'ai les dieux et Décie ensemble à redouter.
Mais nous n'avons encore à craindre rien de triste :
Dans son aveuglement pensez-vous qu'il persiste?
S'il nous semblait tantôt courir à son malheur,
C'est d'un nouveau chrétien la première chaleur.

PAULINE.

Si vous l'aimez encor, quittez cette espérance
Que deux fois en un jour il change de croyance :
Outre que les chrétiens ont plus de dureté 2,

Le lecteur voit sans doute combien tout ce dialogue est vif, pressé, naturel, intéressant; c'est un chef-d'œuvre. (V.)

2 Outre que, expression qui ne doit jamais entrer dans la poésie.

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