Voilà ce grand secret et si mystérieux PAULINE. Tu me blåmais alors d'être trop importune. STRATONICE. Je ne prévoyais pas une telle infortune. PAULINE. Avant qu'abandonner mon âme à mes douleurs, STRATONICE. C'est une impiété qui n'eut jamais d'exemple. A l'envi l'un et l'autre étalait sa manie, " Quoi! lui dit Polyeucte en élevant sa voix, « Adorez-vous des dieux ou de pierre ou de bois ? >>> « Oyez, dit-il ensuite, oyez, peuple; oyez tous 3 : * Corneille emploie indifféremment cet adverbe même avec une s et sans s. Les poëtes, tant gênés d'ailleurs, peuvent avoir la liberté d'ôter et d'ajouter une s à ce mot. (V.) 3 Oyez n'est plus employé qu'au barreau: on a conservé ce mot en Angleterre ; les huissiers disent oiss sans savoir ce qu'ils disent. Nous n'avons gardé de ce verbe que l'infinitif ouïr; et nous disions autrefois oyer. Les sessions de l'échiquier de Normandie s'appelaient oyer, et terminer. (V.) « Le Dieu de Polyeucte et celui de Néarque « Seul principe éternel, et souveraine fin. «C'est ce Dieu des chrétiens qu'il faut qu'on remercie « Des victoires qu'il donne à l'empereur Décie; «Lui seul tient en sa main le succès des combats; « Il le peut élever, il le peut mettre à bas; Sa bonté, son pouvoir, sa justice est immense; « C'est lui seul qui punit, lui seul qui récompense : PAULINE. Que son visage est sombre et plein d'émotion ! SCÈNE III. FÉLIX, PAULINE, STRATONICE. FÉLIX. Une telle insolence avoir osé paraître ! En public! à ma vue! Il en mourra, le traître. PAULINE. Souffrez que votre fille embrasse vos genoux. FÉLIX. Je parle de Néarque, et non de votre époux. Quelque indigne qu'il soit de ce doux nom de gendre, 1 Il y a là un grand intérêt : c'est là, encore une fois, ce qui fait le succès des pièces de théâtre. (V.) La grandeur de son crime et de mon déplaisir PAULINE. Je n'attendais pas moins de la bonté d'un père. Je pouvais l'immoler à ma juste colère : Vous l'avez pu savoir du moins de Stratonice. PAULINE. Je sais que de Néarque il doit voir le supplice. FÉLIX. Du conseil qu'il doit prendre il sera mieux instruit, Au spectacle sanglant d'un ami qu'il faut suivre, PAULINE. Vous pouvez espérer qu'il change de courage? FÉLIX. Aux dépens de Néarque il doit se rendre sage. PAULINE. Il le doit; mais, hélas! où me renvoyez-vous, Le bien que j'espérais de la bonté d'un père? FÉLIX. Je vous en fais trop voir, Pauline, à consentir Voilà où les maximes générales sont bien placées; elles ne sont point ici dans la bouche d'un homme passionné qui doit parler avec sentiment, et éviter les sentences et les lieux communs; c'est un juge qui parle, et qui dit des raisons prises dans la connaissance du cœur humain. (V.) J'ai trahi la justice à l'amour paternel '; Je me suis fait pour lui moi-même criminel; PAULINE. De quoi remercier qui ne me donne rien? Je sais quelle est l'humeur et l'esprit d'un chrétien. FÉLIX. Sa grâce est en sa main, c'est à lui d'y rêver. PAULINE. Faites-la tout entière. FÉLIX. Il la peut achever. PAULINE. Ne l'abandonnez pas aux fureurs de sa secte. FÉLIX. Je l'abandonne aux lois, qu'il faut que je respecte. PAULINE. Est-ce ainsi que d'un gendre un beau-père est l'appui ? FÉLIX. Qu'il fasse autant pour soi comme je fais pour lui 2. PAULINE. Mais il est aveuglé. FÉLIX. Mais il se plaît à l'être. Qui chérit son erreur ne la veut pas connaître. Cette suppression des articles n'est plus permise. Trahir la justice à l'amour paternel n'est pas français. (V.) 2 Ce vers est un barbarisme on dit autant que, et non pas autant comme. Soi ne se dit qu'à l'indéfini ; il faut faire quelque chose pour soi, il travaille pour lui. (V.) --. Cette loi n'est pas sans exception. (P.) FÉLIX. Eh bien! qu'il leur en fasse '. PAULINE. Au nom de l'empereur, dont vous tenez la place... FÉLIX. J'ai son pouvoir en main; mais, s'il me l'a commis, Polyeucte l'est-il? PAULINE. FÉLIX. Tous chrétiens sont rebelles. PAULINE. N'écoutez point pour lui ces maximes cruelles; FÉLIX. Je regarde sa faute, et ne vois plus son rang. Quel excès de rigueur ! PAULINE. FÉLIX. Moindre que son forfait. PAULINE. O de mon songe affreux trop véritable effet! FÉLIX. Les dieux et l'empereur sont plus que ma famille. PAULINE. La perte de tous deux ne vous peut arrêter! FÉLIX. J'ai les dieux et Décie ensemble à redouter. PAULINE. Si vous l'aimez encor, quittez cette espérance Le lecteur voit sans doute combien tout ce dialogue est vif, pressé, naturel, intéressant; c'est un chef-d'œuvre. (V.) 2 Outre que, expression qui ne doit jamais entrer dans la poésie. |