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Prends sa vertu pour guide en ton aveuglement;
Souffre que de toi-même elle obtienne ta vie,
Pour vivre sous tes lois à jamais asservie.
Si tu peux rejeter de si justes désirs,

Regarde au moins ses pleurs, écoute ses soupirs;
Ne désespère pas une âme qui t'adore 1.

POLYEUCTE.

Je vous l'ai déjà dit, et vous le dis encore,
Vivez avec Sévère, ou mourez avec moi 2.
Je ne méprise point vos pleurs, ni votre foi;

Mais, de quoi que pour vous notre amour m'entretienne 3,
Je ne vous connais plus, si vous n'êtes chrétienne.

C'en est assez : Félix, reprenez ce courroux "
Et sur cet insolent vengez vos dieux, et vous.

PAULINE.

Ah! mon père, son crime à peine est pardonnable;
Mais s'il est insensé, vous êtes raisonnable :
La nature est trop forte, et ses aimables traits
Imprimés dans le sang ne s'effacent jamais :
Un père est toujours père, et sur cette assurance
J'ose appuyer encore un reste d'espérance.

Jetez sur votre fille un regard paternel :
Ma mort suivra la mort de ce cher criminel;
Et les dieux trouveront sa peine illégitime,
Puisqu'elle confondra l'innocence et le crime,
Et qu'elle changera, par ce redoublement 4,
En injuste rigueur un juste châtiment :

Nos destins, par vos mains rendus inséparables,

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Comment Pauline peut-elle dire qu'elle adore Polyeucte? elle lui donne, par devoir et par affection, tout ce que l'autre avait par inclination; mais l'adorer, c'est trop. (V.)

2 Cette troisième apostrophe, cet empressement extrême de lui donner un mari, ne paraissent pas naturels. Tout cela n'empêche pas que cette scène ne soit écoutée avec un grand plaisir. L'obstination de Polyeucte, sa résignation, son transport divin, plaisent beaucoup. Ceux qui assistent au spectacle étant persuadés, pour la plupart, des vérités qui enflamment Polyeucte, sont saisis de son transport: ils ne sont pas fort attendris, mais ils s'intéressent à la situation. (V.)

3 De quoi que notre amour m'entretienne pour vous. Ce vers est un barbarisme. Un amour qui entretient, et qui entretient pour! et de quoi qu'il entretienne! Il n'est pas permis de parler ainsi. (V.) 4 Il est triste que redoublement ne puisse se dire en cette occasion : le sens est beau. (V.)

Nous doivent rendre heureux ensemble, ou misérables;

Et vous seriez cruel jusques au dernier point,
Si vous désunissiez ce que vous avez joint.
Un cœur à l'autre uni jamais ne se retire;
Et pour l'en séparer il faut qu'on le déchire.
Mais vous êtes sensible à mes justes douleurs,
Et d'un œil paternel vous regardez mes pleurs.

FÉLIX.

Oui, ma fille, il est vrai qu'un père est toujours père :
Rien n'en peut effacer le sacré caractère;

Je porte un cœur sensible, et vous l'avez percé.
Je me joins avec vous contre cet insensé.

Malheureux Polyeucte, es-tu seul insensible?
Et veux-tu rendre seul ton crime irrémissible?
Peux-tu voir tant de pleurs d'un œil si détaché?
Peux-tu voir tant d'amour sans en être touché ?
Ne reconnais-tu plus ni beau-père, ni femme,
Sans aniitié pour l'un, et pour l'autre sans flamme?
Pour reprendre les noms et de gendre et d'époux,
Veux-tu nous voir tous deux embrasser tes genoux?

POLYEUCTE.

Que tout cet artifice est de mauvaise grâce!
Après avoir deux fois essayé la menace,
Après m'avoir fait voir Néarque dans la mort,
Après avoir tenté l'amour et son effort,
Après m'avoir montré cette soif du baptême,
Pour opposer à Dieu l'intérêt de Dieu même,
Vous vous joignez ensemble! Ah, ruses de l'enfer!
Faut-il tant de fois vaincre avant que triompher!
Vos résolutions usent trop de remise 1;

Prenez la vôtre enfin, puisque la mienne est prise.
Je n'adore qu'un Dieu, maître de l'univers,
Sous qui tremblent le ciel, la terre, et les enfers;
Un Dieu qui, nous aimant d'une amour infinie,
Voulut mourir pour nous avec ignominie,
Et qui, par un effort de cet excès d'amour,

Veut pour nous en victime être offert chaque jour.
Mais j'ai tort d'en parler à qui ne peut m'entendre.

que

V

Phrase qul n'a point d'élégance. User de remise, expression prosal. user d'ailleurs suppose usage; une résolution n'a point d'usage.

Voyez l'aveugle erreur que vous osez défendre :

Des crimes les plus noirs vous souillez tous vos dieux;
Vous n'en punissez point qui n'ait son maître aux cieux;
La prostitution, l'adultère, l'inceste,

Le vol, l'assassinat, et tout ce qu'on déteste,
C'est exemple qu'à suivre offrent vos immortels.
J'ai profané leur temple, et brisé leurs autels;
Je le ferais encor, si j'avais à le faire,

Même aux yeux de Félix, même aux yeux de Sévère,
Même aux yeux du sénat, aux yeux de l'empereur.

FÉLIX.

Enfin ma bonté cède à ma juste fureur :

Adore-les, ou meurs.

POLYEUCTE.

Je suis chrétien.

FÉLIX.

Impie!

Adore-les, te dis-je ; ou renonce à la vie.

Je suis chrétien.

POLYEUCTE.

FÉLIX.

Tu l'es? O cœur trop obstiné!

Soldats, exécutez l'ordre que j'ai donné.

PAULINE.

Où le conduisez-vous?

FÉLIX.

A la mort.

POLYEUCTE.

A la gloire 2.

Chère Pauline, adieu; conservez ma mémoire.

PAULINE.

Je te suivrai partout, et mourrai si tu meurs.

POLYEUCTE.

Ne suivez point mes pas, ou quittez vos erreurs.
FÉLIX.

Qu'on l'ôte de mes yeux, et que l'on m'obéisse.

Puisqu'il aime à périr, je consens qu'il périsse.

Ce vers est dans le Cid, et est à sa place dans les deux pièces. (V.

→ Dialogue admirable et toujours applaudi. (V.)

SCÈNE IV.

FÉLIX, ALBIN.

FÉLIX.

Je me fais violence, Albin, mais je l'ai dû;
Ma bonté naturelle aisément m'eût perdu.
Que la rage du peuple à présent se déploie,
Que Sévère en fureur tonne, éclate, foudroie,
M'étant fait cet effort, j'ai fait ma sûreté.
Mais n'es-tu point surpris de cette dureté?
Vois-tu comme le sien des cœurs impénétrables,
Ou des impiétés à ce point exécrables?
Du moins j'ai satisfait mon esprit affligé :
Pour amollir son cœur je n'ai rien négligé;

J'ai feint même à tes yeux des lâchetés extrêmes :

Et certes, sans l'horreur de ses derniers blasphèmes, Qui m'ont rempli soudain de colère et d'effroi, J'aurais eu de la peine à triompher de moi.

ALBIN.

Vous maudirez peut-être un jour cette victoire,
Qui tient je ne sais quoi d'une action trop noire,
Indigne de Félix, indigne d'un Romain,
Répandant votre sang par votre propre main.

FÉLIX.

Ainsi l'ont autrefois versé Brute et Manlie;
Mais leur gloire en a crû, loin d'en être affaiblie;
Et quand nos vieux héros avaient de mauvais sang,
Ils eussent, pour le perdre, ouvert leur propre flanc.

ALBIN,

Votre ardeur vous séduit; mais, quoi qu'elle vous die,
Quand vous la sentirez une fois refroidie,

Quand vous verrez Pauline, et que son désespoir
Par ses pleurs et ses cris saura vous émouvoir...

FÉLIX.

Tu me fais souvenir qu'elle a suivi ce traître,
Et que ce désespoir qu'elle fera paraître
De mes commandements pourra troubler l'effet :
Va donc y donner ordre, et voir ce qu'elle fait;
Romps ce que ses douleurs y donneraient d'obstacle;

Tire-la, si tu peux, de ce triste spectacle ';
Tâche à la consoler. Va donc ; qui te retient ?

ALBIN.

Il n'en est pas besoin, seigneur; elle revient.

SCÈNE V.

FÉLIX, PAULINE, ALBIN.

PAULINE.

Père barbare, achève, achève ton ouvrage ;
Cette seconde hostie est digne de ta rage2:
Joins ta fille à ton gendre; ose: que tardes-tu?
Tu vois le même crime, ou la même vertu :
Ta barbarie en elle a les mêmes matières 3.
Mon époux en mourant m'a laissé ses lumières;
Son sang, dont tes bourreaux viennent de me couvrir,
M'a dessillé les yeux, et me les vient d'ouvrir.

Je vois, je sais, je crois, je suis désabusée :
De ce bienheureux sang tu me vois baptisée;
Je suis chrétienne enfin, n'est-ce point assez dit?
Conserve en me perdant ton rang et ton crédit;
Redoute l'empereur, appréhende Sévère :
Si tu ne veux périr, ma perte est nécessaire;
Polyeucte m'appelle à cet heureux trépas;
Je vois Néarque et lui qui me tendent les bras.
Mène, mène-moi voir tes dieux que je déteste;
Ils n'en ont brisé qu'un, je briserai le reste.
On m'y verra braver tout ce que vous craignez,
Ces foudres impuissants qu'en leurs mains vous peignez;
Et, saintement rebelle aux lois de la naissance,

Une fois envers toi manquer d'obéissance.

Ce n'est point ma douleur que par là je fais voir;
C'est la grâce qui parle, et non le désespoir.

Le faut-ii dire encor, Félix? je suis chrétienne 4;

1 Romps, tire-la, mauvaises expressions: des douleurs qui donnent obstacle est un barbarisme; et ce qu'ils donneraient d'obstacle est un barbarisme encore plus grand. (V.)

2 Ce mot hostie signifiait alors victime. (V.)

3 Ce vers est trop négligé, et n'est pas français: une barbarie qui a des matières, et matières en elle, cela est un peu barbare. (V.)

4 Ce prodige est la récompense de la vertu de Pauline; et s'il n'est pas

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