PTOLOMÉE. Il n'en est plus que l'ombre, et couronna mon père, Dont l'ombre et non pas moi lui doit ce qu'il espère; Il peut aller, s'il veut, dessus son monument Recevoir ses devoirs et son remercîment. CLÉOPATRE. Après un tel bienfait, c'est ainsi qu'on le traite! PTOLOMÉE. Je m'en souviens, ma sœur, et je vois sa défaite. Vous la voyez de vrai, mais d'un œil de mépris. Le temps de chaque chose ordonne et fait le prix. Il peut faire naufrage, et même dans le port! J'ai fait ce que les dieux m'ont inspiré de faire, CLÉOPATRE. Je ne le vois que trop, Photin et ses pareils PHOTIN. Ce sont de nos conseils, oui, madame, et j'avoue... Photin, je parle au roi; vous répondrez pour tous PTOLOMÉE, à Photin. Il faut un peu souffrir de cette humeur hautaine. CLÉOPATRE. Ah! s'il est encor temps de vous en repentir, PTOLOMÉE. Quoi! d'un frivole espoir déjà préoccupée, Vous me parlez en reine en parlant de Pompée; Fait agir l'intérêt sous le nom de vertu ! Confessez-le, ma sœur, vous sauriez vous en taire, Vous savez qu'il le garde. CLÉOPATRE. Et vous saurez aussi Que la seule vertu me fait parler ainsi, Il nous mena tous deux pour toucher son courage 2, 'N'était est une expression du style le plus familier, et prise encore du barreau. Le feu roi notre père, deux fois répété, n'est pas d'un style assez châtié. Ces façons de parler ne sont plus permises. La poésie ne doit pas être enflée, mais elle ne doit pas être trop familière ; c'est une observation qu'on est obligé de faire souvent. C'est un défaut trop grand dans cette pièce que ce mélange continuel d'enflure et de familiarité. (V.) 2 Quand on parle du courage de César, on entend toujours sa valeur. Mais ici Cléopâtre entend son âme, son cœur. Le mot de courage était entendu en ce sens du temps de Corneille; nous avons vu que Félix dit à Pauline, Ton courage était bon. (V.) Après avoir pour nous employé ce grand homme, Et, nous ouvrant son cœur, nous ouvrit ses trésors 2: Certes, ma sœur, le conte est fait avec adresse. César viendra bientôt, et j'en ai iettre expresse; Ce n'est pas sans sujet que je parlais en reine. Ou l'une ou l'autre main me rendra ma couronne. En se rapporte évidemment à Pompée, dont César voulut seconder les efforts après que Pompée, à sa prière, eut employé son crédit en faveur de Ptolémée et de Cléopâtre. (P.) 2 Ouvrir son cœur et ses trésors semble un jeu de mots. (V.) 3 Nous eûmes de ses feux les nerfs de la guerre. Cette expression n'est pas française: l'idée est plus répréhensible que l'expression. Une femme ne se vante point ainsi d'avoir un amant. (V.) 4 Cette scène eût été bien plus belle, si Cléopâtre n'eût fait parler que sa fierté et sa vertu, et si elle ne se fût point vantée que César était amoureux d'elle. J'en ai lettre expresse. Style familier. (V.) Cependant mon orgueil vous laisse à démêler SCÈNE IV. PTOLOMÉE, PHOTIN. PTOLOMÉR. Que dites-vous, ami, de cette âme orgueilleuse? PHOTIN. Seigneur, cette surprise est pour moi merveilleuse; Sauverons-nous Pompée ? PTOLOMÉE. PHOTIN. Il faudrait faire effort, Si nous l'avions sauvé, pour conclure sa mort. Qui vous fasse contre elle un rempart suffisant. Ce dangereux esprit a beaucoup d'artifice. PHOTIN. Son artifice est peu contre un si grand service. Mais si, tout grand qu'il est, il cède à ses appas? PHOTIN. Il la faudra flatter: mais ne m'en croyez pas; 1 Mon cœur n'est pas le mot propre; on ne l'emploie que dans le sentiment le cœur n'a jamais de part aux réflexions politiques. Il fallait, mon esprit; de plus, quand on vient de dire qu'on est surpris, il ne faut pas ajouter qu'on est étonné. (V.) a Inconstant est encore moins convenable. Le cœur inconstant n'exprime point du tout un homme embarrassé. (V.) 3 En encore on doit éviter ce bâillement, ces hiatus de syllabes, désagréables à l'oreille. Cet acte ne finit point avec la pompe et la noblesse qu'on attendait du commencement. (V.) PTOLOMÉE. Allons donc les voir faire, et montons à la tour; ACTE SECOND. SCÈNE PREMIÈRE. CLÉOPATRE, CHARMION. CLÉOPATRE. Je l'aime; mais l'éclat d'une si belle flamme, Si j'aspirais à lui par une lâcheté 2. CHARMION. Quoi! vous aimez César, et, si vous étiez crue, En prendrait la défense, et, par un prompt secours, Les princes ont cela de leur haute naissance3; Il semble, par la construction, que le vaincu brûle pour le vainqueur. Ces négligences sont pardonnables à Corneille, mais ne le seraient pas à d'autres ; c'est pour cette raison que je les remarque soigneusement (V.) 2 Je le traiterais avec indignité ne dit pas ce que Cléopâtre veut dire; son idée est qu'elle serait indigne de César, si elle ne pensait pas noblement. Traiter avec indignité signifie maltraiter, accabler d'opprobre. (V.) 3 Les princes ont cela gâte la noblesse de cette idée. C'est ici le licu de rapporter le sentiment du marquis de Vauvenargues. Les heros de Corneille, dit-il, parlent toujours trop, et pour se faire connaître. Ceux de Racine se font connaître parce qu'ils parlent. Cette réflexion est très-juste. Les vaines maximes, les lieux communs, disent |