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Leur âme dans leur sang prend des impressions
Qui dessous leur vertu rangent leurs passions';
Leur générosité soumet tout à leur gloire :

Tout est illustre en eux quand ils daignent se croire 2;
Et si le peuple y voit quelques déréglements,
C'est quand l'avis d'autrui corrompt leurs sentiments.
Ce malheur de Pompée achève la ruine.

Le roi l'eût secouru, mais Photin l'assassine :
Il croit cette âme basse, et se montre sans foi:
Mais, s'il croyait la sienne, il agirait en roi3.

CHARMION.

Ainsi donc de César l'amante et l'ennemie...
CLÉOPATRE.

Je lui garde une flamme exempte d'infamie,

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Apprends qu'une princesse aimant sa renommée,
Quand elle dit qu'elle aime, est sûre d'être aimée,
Et que les plus beaux feux dont son cœur soit épris
N'oseraient l'exposer aux hontes d'un mépris.

Notre séjour à Rome enflamma son courage:
Là j'eus de son amour le premier témoignage,
Et depuis jusqu'ici chaque jour ses courriers
M'apportent en tribut ses vœux et ses lauriers.
Partout, en Italie, aux Gaules, en Espagne,
La fortune le suit, et l'amour l'accompagne.
Son bras ne dompte point de peuples ni de lieux
Dont il ne rende hommage au pouvoir de mes yeux,
Et, de la même main dont il quitte l'épée

Fumante encor du sang des amis de Pompée,

toujours peu de chose; et un mot qui échappe à propos, qui part du cœur, qui peint le caractère, en dit bien davantage. (V.)

1 Dessous leur vertu ; cette expression n'est pas heureuse. (V.)

2 Tout est illustre n'est pas Ic mot propre; c'est noble qu'il fallait.

(V.)

3 Ce dernier vers est beau. (V.)

Il trace des soupirs, et d'un style plaintif1
Dans son champ de victoire il se dit mon captif.
Oui, tout victorieux il m'écrit de Pharsale 2;
Et si sa diligence à ses feux est égale,

Ou plutôt si la mer ne s'oppose à ses feux',
L'Égypte le va voir me présenter ses vœux.
Il vient, ma Charmion, jusque dans nos murailles,
Chercher auprès de moi le prix de ses batailles,
M'offrir toute sa gloire, et soumettre à mes lois
Ce cœur et cette main qui commandent aux rois :
Et ma rigueur, mêlée aux faveurs de la guerre,
Ferait un malheureux du maître de la terre.

CHARMION.

J'oserais bien jurer que vos charmants appas.
Se vantent d'un pouvoir dont ils n'useront pas,
Et que le grand César n'a rien qui l'importune,
Si vos seules rigueurs ont droit sur sa fortune 4.

César qui trace des soupirs d'un style plaintif n'est point César. Est-il possible qu'on ait dit que Corneille a banni la galanterie de ses pièces ? il ne l'a traitée que trop : elle était alors la base de tous les ouvrages d'imagination. Horatius Coclès chante à l'écho dans Clélie, et fait des anagrammes. Tout héros est galant. Remarquons que Dacier. dans nos notes sur l'Art poétique d'Horace, censura fortement la plupart de ces fautes où Corneille tombe trop souvent. Il rapporte plusieurs vers dont il fait la critique. Le seul amour du bon goût le portait à cette juste sévérité, dans un temps où il ne semblait pas encore permis de censurer un homme presque universellement applaudi. Bolleau avait bien fait sentir que Corneille péchait souvent par le style, par l'obscurité des pensées, quelquefois par leur fausseté, par l'inégalité, par des termes bas et par des expressions ampoulées; mais il le disait avec ménagement: jusqu'à ce qu'enfin il alla jusqu'à dire :

Et, si le roi des Huns ne lui charme l'oreille,
Traiter de visigoths tous les vers de Corneille.

Il n'aurait jamais parlé ainsi de Racine, le seul qui eut toujours un style noble et pur. (V.)

2 Il faut dire, Oui, tout vainqueur qu'il est (V.).

3 Cette opposition de la mer et des feux est un jeu de mots puéril, auquel l'auteur n'a peut-être pas pensé. (V.)

4 Toutes ces expressions sont fausses et alambiquées. Des rigueurs n'ont point de droit, elles n'en ont point sur la fortune de César; et ce César qui n'a rien qui importune est comique. J'avoue qu'on est étonné de tant de fautes, quand on y regarde de près. Remarquonsles, puisqu'il faut être utile; mais songeons toujours que Corneille a des beautés admirables, et que s'il a bronché dans la carrière, c'est lui qui l'a ouverte en quelque façon, puisqu'il a surpassé ses contemporains jusqu'à l'époque d'Andromaque. (V.)

Mais quelle est votre attente, et que prétendez-vous,
Puisque d'une autre femme il est déjà l'époux,
Et qu'avec Calpurnie un paisible hyménée
Par des liens sacrés tient son âme enchaînée?
CLÉOPATRE.

Le divorce, aujourd'hui si commun aux Romains,
Peut rendre en ma faveur tous ces obstacles vains :
César en sait l'usage et la cérémonie;

Un divorce chez lui fit place à Calpurnie.

CHARMION.

Par cette même voie il pourra vous quitter.

CLÉOPATRE.

Peut-être mon bonheur saura mieux l'arrêter;
Peut-être mon amour aura quelque avantage
Qui saura mieux que moi ménager son courage 1.
Mais laissons au hasard ce qui peut arriver;
Achevons cet hymen, s'il se peut achever.

Ne durât-il qu'un jour, ma gloire est sans seconde
D'être du moins un jour la maîtresse du monde.
J'ai de l'ambition, et, soit vice ou vertu,

Mon cœur sous son fardeau veut bien être abattu;
J'en aime la chaleur, et la nomme sans cesse
La seule passion digne d'une princesse.

Mais je veux que la gioire anime ses ardeurs,
Qu'elle mène sans honte au faîte des grandeurs ;
Et je la désavoue alors que sa manie
Nous présente le trône avec ignominie.

Ne t'étonne donc plus, Charmion, de me voir
Défendre encor Pompée et suivre mon devoir :
Ne pouvant rien de plus pour sa vertu séduite,
Dans mon âme en secret je l'exhorte à la fuite,
Et voudrais qu'un orage, écartant ses vaisseaux,
Malgré lui l'enlevât aux mains de ses bourreaux.
Mais voici de retour le fidèle Achorée,

Par qui j'en apprendrai la nouvelle assurée 2.

Son amour qui a un avantage, lequel ménagera mieux le courage de César qu'elle-même, est une idée obscure exprimée obscurément. (V.)

2 On apprend des nouvelles sures, et non une nouvelle assurée. On dit bien, cette nouvelle m'a éte assurée par tels et tels. (V.)

SCÈNE II'.

CLÉOPATRE, ACHORÉE, CHARMION.

CLÉOPATRE.

En est-ce déjà fait, et nos bords malheureux
Sont-ils déjà souillés d'un sang si généreux?
ACHORÉE.

Madame, j'ai couru par votre ordre au rivage;
J'ai vu la trahison, j'ai vu toute sa rage;

Du plus grand des mortels j'ai vu trancher le sort :
J'ai vu dans son malheur la gloire de sa mort;
Et puisque vous voulez qu'ici je vous raconte
La gloire d'une mort qui nous couvre de honte,
Écoutez, admirez, et plaignez son trépas 2.

Ses trois vaisseaux en rade avaient mis voiles bas;

Et, voyant dans le port préparer nos galères,

Il croyait que le roi, touché de ses misères,
Par un beau sentiment d'honneur et de devoir,

Avec toute sa cour le venait recevoir;

Mais voyant que ce prince, ingrat à ses mérites 3,

Si Cléopâtre, au lieu de parler en femme galante, avait su donner de la noblesse à son amour pour César, et montrer en même temps la plus grande reconnaissance pour Pompée, et une véritable crainte de sa mort, le récit d'Achorée ferait bien un autre effet. Le cœur n'est point assez ému quand le récit des infortunes n'est fait qu'à des personnes indifférentes. Le nom de Pompée et de beaux vers suppléent à l'intérêt qui manque. Cléopâtre a montré assez d'envie de sauver Pompée pour que le récit qu'on lui fait la touche, mais non pas pour que ce récit soit un coup de théâtre, non pas pour qu'il fasse répandre des larmes. (V.)

2 On n'admire point un trépas, mais la manière héroïque dont un homme est mort. Cependant cette expression est une beauté, et non une faute; c'est une figure très-admissible. (V.)

3 Ingrat à ses mérites Nous disons, ingrat envers quelqu'un, et non pas ingrat à quelqu'un. Aujourd'hui que la langue semble commencer à se corrompre, et qu'on s'étudie à parler un jargon ridicule, on se sert du mot impropre vis-à-vis. Plusieurs gens de lettres ont été ingrats vis-à-vis de moi, au lieu de envers moi; cette compagnie s'est rendue difficile vis-à-vis du roi, au lieu de envers le roi ou avec le roi. Vous ne trouverez le mot vis-à-vis employé en ce sens dans aucun auteur classique du siècle de Louis XIV. (V). — Voltaire lui-même, encouragé par l'exemple de Racine, de Boileau et de tous nos bons poëtes, a dit, dans la Mort de César, ingrat à tes bontés; et l'abbé d'Olivet, qui n'était qu'un grammairien appuie cette manière de s'exprimer d'une citation de Vaugelas. (P.)

N'envoyait qu'un esquif rempli de satellites,
Il soupçonne aussitôt son manquement de foi
Et se laisse surprendre à quelque peu d'effroi;
Enfin, voyant nos bords et notre flotte en armes,
Il condamne en son cœur ses indignes alarmes,
Et réduit tous les soins d'un si pressant ennui

A ne hasarder pas Cornélie avec lui :

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N'exposons, lui dit-il, que cette seule tête « A la réception que l'Égypte m'apprête ;

« Et, tandis que moi seul j'en courrai le danger,
<< Songe à prendre la fuite afin de me venger.
« Le roi Juba nous garde une foi plus sincère;
« Chez lui tu trouveras et mes fils, et ton père;
« Mais quand tu les verrais descendre chez Pluton,
« Ne désespère point, du vivant de Caton. >>
Tandis que leur amour en cet adieu conteste,
Achillas à son bord joint son esquif funeste.
Septime se présente, et lui tendant la main,
Le salue empereur en langage romain;

Et, comme député de ce jeune monarque,

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Passez, seigneur, dit-il, passez dans cette barque:

«Les sables et les bancs cachés dessous les eaux

<< Rendent l'accès mal sûr à de plus grands vaisseaux. »>
Ce héros voit la fourbe, et s'en moque dans l'âme :
Il reçoit les adieux des siens et de sa femme,
Leur défend de le suivre, et s'avance au trépas
Avec le même front qu'il donnait les États;
La même majesté sur son visage empreinte
Entre ces assassins montre un esprit sans crainte;
Sa vertu tout entière à la mort le conduit :
Son affranchi Philippe est le seul qui le suit;
C'est de lui que j'ai su ce que je viens de dire;
Mes yeux ont vu le reste, et mon cœur en soupire,
Et croit que César même à de si grands malheurs

1 Un cœur qui croit, dit Voltaire, ne serait pas souffert aujourd'hui. Lui-même pourtant, par une figure plus hardie, avait fait dire à Mérope:

Mon cœur a vu toujours ce fils que je regrette.

Croyait-il donc alors qu'un cœur eût des yeux? Non; mais il écrivait en poëte; et, dans quelques-unes de ses remarques, il semble ne juger que d'après des dictionnaires. (P.)

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