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PTOLOMÉE.

L'occasion vous rit, et vous en userez.

CLÉOPATBE.

Si je n'en use bien, vous m'en accuserez.

PTOLOMÉE.

J'en espère beaucoup, vu l'amour qui l'engage.
CLÉOPATRE.

Vous la craignez peut-être encore davantage;
Mais, quelque occasion qui me rie aujourd'hui,
N'ayez aucune peur, je ne veux rien d'autrui ;
Je ne garde pour vous ni haine, ni colère;
Et je suis bonne sœur, si vous n'êtes bon frère.
PTOLOMÉE.

Vous montrez cependant un peu bien du mépris '.
CLÉOPATRE.

Le temps de chaque chose ordonne et fait le prix.

PTOLOMÉE.

Votre façon d'agir le fait assez connaître.

CLÉOPATRE.

Le grand César arrive, et vous avez un maître.

PTOLOMÉE.

Il l'est de tout le monde, et je l'ai fait le mien.
CLÉOPATRE.

Allez lui rendre hommage, et j'attendrai le sien.
Allez, ce n'est pas trop pour lui que de vous-même :
Je garderai pour vous l'honneur du diadème.
Photin vous vient aider à le bien recevoir;
Consultez avec lui quel est votre devoir.

Vous montrez cependant un peu bien du mépris, etc.

Tout cela est d'un comique si froid, que plusieurs personnes sont étonnées que Corneille ait pu passer si rapidement du pathétique et du sublime à ce style bourgeois, et qu'il n'ait point eu quelque ami qui l'ait fait apercevoir de ces disparates. On l'a déjà dit, Corneille n'était plus le même quand il n'était plus soutenu par la majesté du sujet et il ne vivait pas dans un temps où l'on connût encore toutes les bienséances du dialogue, la pureté du style, l'art aussi nécessaire que difficile de dire les petites choses avec une noblesse élégante. On ne peut trop répéter que la plupart des défauts de Corneille sont ceux de son siècle.

Un peu bien du mépris n'est pas français. (V.)

SCÈNE IV.

PTOLOMÉE, PHOTIN.

PTOLOMÉE.

J'ai suivi tes conseils ; mais, plus je l'ai flattée,
Et plus dans l'insolence elle s'est emportée ';
Si bien qu'enfin, outré de tant d'indignités,
Je m'allais emporter dans les extrémités 2 :
Mon bras, dont ses mépris forçaient la retenue,
N'eût plus considéré César ni sa venue,

Et l'eût mise en état, malgré tout son appui,
De s'en plaindre à Pompée auparavant qu'à lui 3.
L'arrogante! à l'ouïr elle est déjà ma reine;
Et si César en croit son orgueil et sa haine,

Si, comme elle s'en vante, elle est son cher objet,
De son frère et son roi je deviens son sujet.
Non, non; prévenons-la : c'est faiblesse d'attendre
Le mal qu'on voit venir sans vouloir s'en défendre :
Otons-lui les moyens de nous plus dédaigner;
Otons-lui les moyens de plaire et de régner;
Et ne permettons pas qu'après tant de bravades,
Mon sceptre soit le prix d'une de ses œillades 4.

PHOTIN.

Seigneur, ne donnez point de prétexte à César
Pour attacher l'Égypte aux pompes de son char.
Ce cœur ambitieux, qui, par toute la terre,
Ne cherche qu'à porter l'esclavage et la guerre,
Enflé de sa victoire, et des ressentiments
Qu'une perte pareille inprime aux vrais amants 5,
Quoique vous ne rendiez que justice à vous-même,
Prendrait l'occasion de venger ce qu'il aime;
Et, pour s'assujettir et vos États et vous,

Elle s'est emportée dans l'insolence est un barbarisme et un solécisme. Il faut, jusqu'à l'insolence elle s'est emportée. (V.)

2 On s'emporte à quelque extrémité, et non dans les extrémités. 3 Auparavant qu'à lui n'est pas français. Cet adverbe absolu n'admet aucune relation, aucun régime. Il faut, avant qu'à lui. (V.)

4 Ces deux vers sont du style comique. On peut trouver de telles observations minutieuses; mais elles sont faites pour les étrangers. (V.) 5 Un ministre d'Etat, et même un scélérat, qui parle de vrais amants, et des ressentiments qu'une perte imprime aux vrais amants! (V.)

Imputerait à crime un si juste courroux.

PTOLOMÉE.

Si Cléopâtre vit, s'il la voit, elle est reine.

PHOTIN.

Si Cléopatre meurt, votre perte est certaine.

PTOLOMÉE.

Je perdrai qui me perd, ne pouvant me sauver.

PHOTIN.

Pour la perdre avec joie il faut vous conserver '.
PTOLOMÉE.

Quoi! pour voir sur sa tête éclater ma couronne?
Sceptre, s'il faut enfin que ma main t'abandonne,
Passe, passe plutôt en celle du vainqueur.

PHOTIN.

Vous l'arracherez mieux de celle d'une sœur.
Quelques feux que d'abord il lui fasse paraître,
Il partira bientôt, et vous serez le maître.
L'amour à ses pareils ne donne point d'ardeur
Qui ne cède aisément aux soins de leur grandeur :
Il voit encor l'Afrique et l'Espagne occupées
Par Juba, Scipion, et les jeunes Pompées ;
Et le monde à ses lois n'est point assujetti,
Tant qu'il verra durer ces restes du parti.
Au sortir de Pharsale un si grand capitaine
Saurait mal son métier s'il laissait prendre haleine,
Et s'il donnait loisir à des cœurs si hardis
De relever du coup dont ils sont étourdis :
S'il les vainc, s'il parvient où son désir aspire,
Il faut qu'il aille à Rome établir son empire,
Jouir de sa fortune et de son attentat,

Et changer à son gré la forme de l'État.
Jugez durant ce temps ce que vous pourrez faire.
Seigneur, voyez César, forcez-vous à lui plaire;
Et, lui déférant tout, veuillez vous souvenir
Que les événements régleront l'avenir.
Remettez en ses mains trône, sceptre, couronne,
Et, sans en murmurer, souffrez qu'il en ordonne :
Il en croira sans doute ordonner justement,

En suivant du feu roi l'ordre et le testament;

Cet avec foie est ridicule: il devait dire, pour la perdre sans vous nuire, pour vous venger avec sûreté. (V. )

L'importance d'ailleurs de ce dernier service

Ne permet pas d'en craindre une entière injustice.
Quoi qu'il en fasse enfin, feignez d'y consentir,

Louez son jugement, et laissez-le partir.

Après, quand nous verrons le temps propre aux vengeances.
Nous aurons et la force et les intelligences.
Jusque-là réprimez ces transports violents
Qu'excitent d'une sœur les mépris insolents :
Les bravades enfin sont des discours frivoles,
Et qui songe aux effets néglige les paroles.
PTOLOMÉE.

Ah! tu me rends la vie et le sceptre à la fois :
Un sage conseiller est le bonheur des rois.

Cher appai de mon trône, allons sans plus attendre,
Offrir tout à César, afin de tout reprendre ;

Avec toute ma flotte allons le recevoir,

Et par ces vains honneurs séduire son pouvoir '.

ACTE TROISIÈME.

SCENE PREMIÈRE.

CHARMION, ACHORÉE.

CHARMION.

Oui, tandis que le roi va lui-même en personne
Jusqu'aux pieds de César prosterner sa couronne,

Notre langue ne permet guère qu'on applique à des choses inanimées des verbes qui ne sont appropriés qu'à des choses animées. On séduit un homme; et, par une métaphore très-juste, on séduit sa passion : mais quand on séduit un homme puissant, ce n'est pas son pouvoir qu'on séduit. Cette impropriété de termes est souvent ce qui révolte le lecteur, sans qu'il s'aperçoive d'où naît son dégoût. Les poëtes comme Boileau et Racine, qui n'emploient jamais que des métaphores justes, qui écrivent toujours purement, sont lus de tout le monde, et il n'y a pas un seul de leurs vers que les amateurs ne relisent cent fois, et ne sachent par cœur; mais on ne lit des autres que quelques endroits de génie, dont la beauté supérieure s'élève au-dessus des règles de la syn taxe et de la correction du style. (V.)

2 Corneille, dans l'examen de Pompée, dit qu'on a trouvé mauvais

Cléopâtre s'enferme en son appartement,

Et, sans s'en émouvoir, attend son compliment.
Comment nommerez-vous une humeur si hautaine?

ACHORÉE.

Un orgueil noble et juste, et digne d'une reine
Qui soutient avec cœur et magnanimité
L'honneur de sa naissance et de sa dignité.
Lui pourrai-je parler?

CHARMION.

Non; mais elle m'envoie

Savoir à cet abord ce qu'on a vu de joie 1;
Ce qu'à ce beau présent César a témoigné;
S'il a paru content, ou s'il l'a dédaigné ;
S'il traite avec douceur, s'il traite avec empire 2:
Ce qu'à nos assassins enfin il a su dire.
ACHORÉE.

La tête de Pompée a produit des effets
Dont ils n'ont pas sujet d'être fort satisfaits.
Je ne sais si César prendrait plaisir à feindre;
Mais pour eux jusqu'ici je trouve lieu de craindre:
S'ils aimaient Ptolomée, ils l'ont fort mal servi.

Vous l'avez vu partir, et moi je l'ai suivi.
Ses vaisseaux en bon ordre ont éloigné la ville3,
Et pour joindre César n'ont avancé qu'un mille:
Il venait à plein voile '; et si dans les hasards
Il éprouva toujours pleine faveur de Mars,
Sa flotte, qu'à l'envi favorisait Neptune,
Avait le vent en poupe ainsi que sa fortune 5.

qu'A chorée fasse le récit intéressant qui suit à une simple suivante; it donne pour réponse que cette suivante tient lieu de la reine mais, encore une fois, les récits intéressants ne doivent être faits qu'aux principaux personnages. On est mécontent de voir une suivante qui dit que sa maîtresse, dans son appartement, de César attend le compliment sans s'en émouvoir. Ces scènes inutiles, et par conséquent froides, prouvent que presque toutes les tragédies françaises sont trop longues: on les appelle des scènes de remplissage; ce mot est leur condamnation. (V.)

Ce qu'on a vu de joie ne peut se dire dans le style tragique, quoique ce soit une suivante qui parle. (V.)

2 Traite exige un régime. (V).

3 Ont éloigné la ville est un solécisme. Il fallait se sont éloignés de, ou plutôt une autre expression, un autre tour. (V.)

4 Voile de vaisseau a toujours été féminin; voile qui couvre, masculin,

(V.)

5 La peinture de l'humiliation de l'tolémée est admirable, parce qu'elle

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