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Lui doit enfler le cœur d'une autre vanité.
Exercez-la, monsieur, et gouvernez le prince;
Montrez-lui comme il faut régir une province,
Faire trembler partout les peuples sous sa loi,
Remplir les bons d'amour, et les méchants d'effroi ;
Joignez à ces vertus celles d'un capitaine :
Montrez-lui comme il faut s'endurcir à la peine,
Dans le métier de Mars se rendre sans égal,
Passer les jours entiers et les nuits à cheval,
Reposer tout armé, forcer une muraille,

Et ne devoir qu'à soi le gain d'une bataille :
Instruisez-le d'exemple, et rendez-le parfait,
Expliquant à ses yeux vos leçons par l'effet.
D. DIÈGUE.

Pour s'instruire d'exemple, en dépit de l'envie,
Il lira seulement l'histoire de ma vie.
Là, dans un long tissu de belles actions,
Il verra comme il faut dompter des nations,
Attaquer une place, ordonner une armée,
Et sur de grands exploits bâtir sa renommée.

LE COMTE.

Les exemples vivants sont d'un autre pouvoir;
Uu prince dans un livre apprend mal son devoir.
Et qu'a fait, après tout, ce grand nombre d'années
Que ne puisse égaler une de mes journées?
Si vous fûtes vaillant, je le suis aujourd'hui ;
Et ce bras du royaume est le plus ferme appui.
Grenade et l'Aragon tremblent quand ce fer brille;
Mon nom sert de rempart à toute la Castille :
Sans moi, vous passeriez bientôt sous d'autres lois,
Et vous auriez bientôt vos ennemis pour rois.
Chaque jour, chaque instant, pour rehausser ma gloire,
Met lauriers sur lauriers, victoire sur victoire :
Le prince à mes côtés ferait dans les combats
L'essai de son courage à l'ombre de mon bras;
Il apprendrait à vaincre en me regardant faire;
Et, pour répondre en hâte à son grand caractère,
Il verrait...

D. DIÈGUE.

Je le sais, vous servez bien le roi.

Je vous ai vu combattre et commander sous moi :

Quand l'âge dans mes nerfs a fait couler sa glace,
Votre rare valeur a bien rempli ma place :
Enfin, pour épargner les discours superilus,
Vous êtes aujourd'hui ce qu'autrefois je fus,
Vous voyez toutefois qu'en cette concurrence
Un monarque entre nous met quelque différence.

LE COMTE.

Ce que je méritais, vous l'avez emporté.

D. DIÈGUE.

Qui l'a gagné sur vous l'avait mieux mérité.

LE COMTE.

Qui peut mieux l'exercer en est bien le plus digne.
D. DIÈGUE.

En être refusé n'en est pas un bon signe.

LE COMTE.

Vous l'avez eu par brigue, étant vieux courtisan.
D. DIÈGUE.

L'éclat de mes hauts faits fut mon seul partisan.

LE COMTE.

Parlons-en mieux, le roi fait honneur à votre âge.
D. DIÈGUE.

Le roi, quand il en fait, le mesure au courage.

LE COMTE.

Et par là cet honneur n'était dû qu'à mon bras.

d. diègue.

Qui n'a pu l'obtenir ne le méritait pas.

Ne le méritait pas ! Moi?

LE COMTE.

D. DIÈGUE.
Vous.

LE COMTE.

Ton impudence',

On ne donnerait pas aujourd'hui un soufflet sur la joue d'un héros Les acteurs mêmes sont très-embarrassés à donner ce soufflet; ils font le semblant. Cela n'est plus même souffert dans la comédie, et c'est le seul exemple qu'on en ait sur le théâtre tragique. Il est à croire que c'est une des raisons qui firent intituler le Cid tragi-comédie. Presque toutes les pièces de Scudéri et de Boisrobert avaient été des tragi-comédies. On avait cru longtemps en France qu'on ne pouvait supporter le tragique continu sans mélange d'aucune familiarité. Le mot de tragi-comédie est très-ancien; Plaute l'emploie pour designer son Amphitryon, parce que, si l'aventure de Sosie est comique, Amphitryon est très-sérieusement affligé. (V.)

Téméraire vieillard, aura sa récompense.
(Il lui donne un soufflet.)

D. DIÈGUE, mettant l'épée à la main.

Achève, et prends ma vie après un tel affront,
Le premier dont ma race ait vu rougir son front.

LE COMTE.

Et que penses-tu faire avec tant de faiblesse?

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O Dieu! ma force usée en ce besoin me laisse!
LE COMTE.

Ton épée est à moi; mais tu serais trop vain,
Si ce honteux trophée avait chargé ma main.
Adieu. Fais lire au prince, en dépit de l'envie,
Pour son instruction, l'histoire de ta vie;
D'un insolent discours ce juste châtiment
Ne lui servira pas d'un petit ornement.

SCÈNE V.

D. DIÈGUE.

O rage! ô désespoir! ò vieillesse ennemie!
N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie?
Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers?
Mon bras, qu'avec respect toute l'Espagne admire,
Mon bras, qui tant de fois a sauvé cet empire,
Tant de fois affermi le trône de son roi,
Trahit donc ma querelle, et ne fait rien pour moi?
O cruel souvenir de ma gloire passée!
Euvre de tant de jours en un jour effacée!
Nouvelle dignité, fatale à mon bonheur !
Précipice élevé d'où tombe mon honneur!
Faut-il de votre éclat voir triompher le comte,
Et mourir sans vengeance, ou vivre dans la honte ?
Comte, sois de mon prince à présent gouverneur;
Ce haut rang n'admet point un homme sans honneur;
Et ton jaloux orgueil, par cet affront insigne,
Malgré le choix du roi, m'en a su rendre indigne.
Et toi, de mes exploits glorieux instrument,
Mais d'un corps tout de glace inutile ornement,
Fer jadis tant à craindre, et qui, dans cette offense,

M'as servi de parade, et non pas de défense,
Va, quitte désormais le dernier des humains,
Passe, pour me venger, en de meilleures mains.

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Digne ressentiment à ma douleur bien doux !
Je reconnais mon sang à ce noble courroux;
Ma jeunesse revit en cette ardeur si prompte.

Viens, mon fils, viens, mon sang, viens réparer ma honte;
Viens me venger.

D. RODRIGUE.

De quoi?

d. Diègue.

D'un affront si cruel,

Qu'à l'honneur de tous deux il porte un coup mortel;
D'un soufflet. L'insolent en eût perdu la vie;
Mais mon âge a trompé ma généreuse envie ;
Et ce fer, que mon bras ne peut plus soutenir,
Je le remets au tien pour venger et punir 1.
Va contre un arrogant éprouver ton courage :
Ce n'est que dans le sang qu'on lave un tel outrage;
Meurs, ou tue. Au surplus, pour ne te point flatter,
Je te donne à combattre un homme à redouter;

Ces deux vers, tout admirables qu'ils sont, ont essuyé la critique de l'Académie. « Venger et punir, dit-elle, est trop vague; car on ne sait qui doit être vengé ou qui doit être puni. » J'ose croire cette cri- . tique mal fondée, et je louerai ces deux vers précisément par ce qu'on y censure. D'abord le sens est clair: qui peut se méprendre sur ce qu'on doit venger et sur ce qu'on doit punir? Mais ce qui me paraît digne de louange, c'est cette précision rapide qui est avare des mots, parce que la vengeance est avare du temps. Venger et punir, meurs, ou tue; voilà les mots qui se précipitent dans la bouche d'un homme furieux: il voudrait n'en pas dire d'autres. (LA H.)

Je l'ai vu, tout couvert de sang et de poussière,
Porter partout l'effroi dans une armée entière.
J'ai vu, par sa valeur, cent escadrons rompus;
Et, pour t'en dire encor quelque chose de plus,
Plus que brave soldat, plus que grand capitaine,
C'est...

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Ne réplique point, je connais ton amour : Mais qui peut vivre infâme est indigne du jour; Plus l'offenseur est cher, et plus grande est l'offense. Enfiu tu sais l'affront, et tu tiens la vengeance : Je ne te dis plus rien. Venge-moi, venge-toi; Montre-toi digne fils d'un père tel que moi. Accablé des malheurs où le destin me range, Je vais les déplorer. Va, cours, vole, et nous venge.

SCÈNE VII.

D. RODRIGUE.

Percé jusques au fond du cœur
D'une atteinte imprévue aussi bien que mortelle,
Misérable vengeur d'une juste querelle,

Et malheureux objet d'une injuste rigueur,
Je demeure immobile, et mon âme abattue
Cède au coup qui me tue.

Si près de voir mon feu récompensé,
O Dieu, l'étrange peine!

En cet affront mon père est l'offensé,
Et l'offenseur le père de Chimène !

Que je sens de rudes combats!

Contre mon propre honneur mon amour s'intéresse :
Il faut venger un père, et perdre une maîtresse.
L'un m'anime le cœur, l'autre retient mon bras.
Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme,
Ou de vivre en infâme,

CORNEILLE. -T. 1.

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