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Dès le premier abord notre prince étonné
Ne s'est plus souvenu de son front couronné;
Sa frayeur a paru sous sa fausse allégresse;
Toutes ses actions ont senti la bassesse.

J'en ai rougi moi-même, et me suis plaint à moi
De voir là Ptolomée, et n'y voir point de roi;
Et César, qui lisait sa peur sur son visage,
Le flattait par pitié pour lui donner courage.
Lui, d'une voix tombante offrant ce don fatal :

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Seigneur, vous n'avez plus, lui dit-il, de rival;

« Ce que n'ont pu les dieux dans votre Thessalie,
« Je vais mettre en vos mains Pompée et Cornélie :
« En voici déjà l'un, et pour l'autre, elle fuit,
« Mais avec six vaisseaux un des miens la poursuit `.
A ces mots Achillas découvre cette tête :

Il semble qu'à parler encore elle s'apprête;
Qu'à ce nouvel affront un reste de chaleur
En sanglots mal formés exhale sa douleur;
Sa bouche encore ouverte et sa vue égarée
Rappellent sa grande âme à peine séparée;
Et son courroux mourant fait un dernier effort
Pour reprocher aux dieux sa défaite et sa mort.
César, à cet aspect, comme frappé du foudre,
Et comme ne sachant que croire ou que résoudre,
Immobile, et les yeux sur l'objet attachés,
Nous tient assez longtemps ses sentiments cachés;
Et je dirai, si j'ose en faire conjecture,
Que par un mouvement commun à la nature,
Quelque maligne joie en son cœur s'élevait,
Dont sa gloire indignée à peine le sauvait 2.
I.'aise de voir la terre à son pouvoir soumise
Chatouillait malgré lui son âme avec surprise,

est vraie; celle de la tête de Pompée, qui semble s'apprêter à parler, n'est pas si vraie cela sent le počte; et dès lors on n'est plus si touché. Un mort n'a pas la vue égarée. (V.)

Un des miens, il semble que ce soit un de ses vaisseaux, et Ptolėmée entend un de ses officiers. Ces méprises sont assez communes dans notre langue; il faut y prendre garde soigneusement. (V.)

2 Quelle peinture, et quelle vérité ! que ces grands traits effacent de fautes! Rien n'est plus beau que cette tirade; elle fait voir en même temps qu'il fallait mettre ce récit intéressant dans la bouche d'un personnage plus important qu'Achoréc. (V.)

Et de cette douceur son esprit combattu
Avec un peu d'effort rassurait sa vertu.
S'il aime sa grandeur, il hait la perfidie;
Il se juge en autrui, se tâte, s'étudie,
¡Examine en secret sa joie et ses douleurs,
Les balance, choisit, laisse couler des pleurs;
Et, forçant sa vertu d'être encor la maîtresse,
Se montre généreux par un trait de faiblesse :
Ensuite il fait ôter ce présent de ses yeux,
Lève les mains ensemble et les regards aux cieux,
Lâche deux ou trois mots contre cette insolence;
Puis tout triste et pensif il s'obstine au silence,
Et même à ses Romains ne daigne repartir
Que d'un regard farouche et d'un profond soupir.
Enfin, ayant pris terre avec trente cohortes,
Il se saisit du port, il se saisit des portes,
Met des gardes partout et des ordres secrets',
Fait voir sa défiance, ainsi que ses regrets,
Parle d'Égypte en maître et de son adversaire,

Non plus comme ennemi, mais comme son beau-père.
Voilà ce que j'ai vu.

CHARMION.

Voilà ce qu'attendait,

Ce qu'au juste Osiris la reine demandait.

Je vais bien la ravir avec cette nouvelle 2.

Vous, continuez-lui ce service fidèle.

ACHORÉE.

Qu'elle n'en doute point. Mais César vient. Allez,
Peignez-lui bien nos gens pâles et désolés;

Et moi, soit que l'issne en soit douce ou funeste,
J'irai l'entretenir quand j'aurai vu le reste.

SCÈNE II.

CÉSAR, PTOLOMÉE, LÉPIDE, PHOTIN, ACHORÉE; SOLDATS ROMAINS, SOLDATS ÉGYPTIENS.

PTOLOMÉE.

Seigneur, montez au trône et commandez ici.

'Cela est impropre; on met des gardes, et on donne des ordres. (V). 2 Vers familier de comédie. (V.)

CÉSAR.

Connaissez-vous César, de lui parler ainsi 1?
Que m'offrirait de pis la fortune ennemie,
A moi qui tiens le trône égal à l'infamie 2!
Certes, Rome à ce coup pourrait bien se vanter
D'avoir eu juste lieu de me persécuter;

Elle qui d'un même œil les donne et les dédaigne,
Qui ne voit rien aux rois qu'elle aime ou qu'elle craigne,
Et qui verse en nos cœurs, avec l'âme et le sang,

Et la haine du nom, et le mépris du rang.

C'est ce que de Pompée il vous fallait apprendre :

S'il en eût aimé l'offre, il eût su s'en défendre;

Et le trône et le roi se seraient ennoblis

A soutenir la main qui les a rétablis.

Vous eussiez pu tomber, mais tout couvert de gloire :
Votre chute eût valu la plus haute victoire;
Et si votre destin n'eût pu vous en sauver,
César eût pris plaisir à vous en relever.
Vous n'avez pu former une si noble envie.

Mais quel droit aviez-vous sur cette illustre vie?
Que vous devait son sang pour y tremper vos mains,
Vous qui devez respect au moindre des Romains?
Ai-je vaincu pour vous dans les champs de Pharsale?
Et, par une victoire aux vaincus trop fatale,

Beaucoup de bons juges ont trouvé que César affecte ici un peu trop de rodomontade; que la véritable grandeur est plus simple; que les Romains ne regardaient point le trône comme une infamie; qu'ils avaient au contraire aboli chez eux le nom de roi, comme trop dangereux à Rome; que les Romains n'avaient aucun mépris pour un roi d'Égypte; que César joue un peu sur le mot ; que quand Ptolémée lui dit, montez au trône, il veut dire seulement, soyez ici le maître, et non pas, faites-vous couronner roi d'Égypte ; qu'enfin César répond à un compliment très-raisonnable par des hauteurs qui sentent plus la vanité que la grandeur. Ces critiques peuvent être fondées; mais peut-être est-il nécessaire d'enfler un peu la grandeur romaine sur le théâtre, comme on place des figures colossales dans de vastes enceintes. Il est bien certain que quand Ptolémée dit à César, commandez ici, il ne lui dit pas, prenez le titre de roi d'Égypte, au lieu de celui d'imperator, de consul, de triumvir; mais César veut humilier Ptolémée. Le spectateur est charmé de voir ce roi abaissé et confondu, et les reproches sur la mort de Pompée sont admirables. (V.)

2 Jamais on n'a tenu le trône égal à l'infamie: il n'y a là qu'un faux air de grandeur, et tout faux air est puéril. César tenait si peu le tròne égal à l'infamie, qu'il voulut depuis être reconnu roi. Les Romains craignaient chez eux la royauté; mais le trône ailleurs n'était point infàme. (V.)

Vous ai-je acquis sur eux, en ce dernier effort,
La puissance absolue et de vie et de mort?
Moi qui n'ai jamais pu la souffrir à Pompée,
La souffrirai-je en vous sur lui-même usurpée,
Et que de mon bonheur vous ayez abusé
Jusqu'à plus attenter que je n'aurais osé?

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De quel nom, après tout, pensez-vous que je nomme
Ce coup où vous tranchez du souverain de Rome,
Et qui sur un seul chef lui fait bien plus d'affront'
Que sur tant de milliers ne fit le roi de Pont?
Pensez-vous que j'ignore ou que je dissimule
Que vous n'auriez pas eu pour moi plus de scrupule,
Et que, s'il m'eût vaincu, votre esprit complaisant
Lui faisait de ma tête un semblable présent 2?
Grâces à ma victoire, on me rend des hommages
Où ma fuite eût reçu toutes sortes d'outrages;
Au vainqueur, non à moi, vous faites tout l'honneur :
Si César en jouit, ce n'est que par bonheur.
Amitié dangereuse, et redoutable zèle,

Que règle la fortune, et qui tourne avec elle!
Mais parlez, c'est trop être interdit et confus.
PTOLOMÉE.

Je le suis, il est vrai, si jamais je le fus ;
Et vous-même avouerez que j'ai sujet de l'être.

3

Étant né souverain, je vois ici mon maître :
Ici, dis-je, où ma cour tremble en me regardant,
Où je n'ai point encore agi qu'en commandant 3,
Je vois une autre cour sous une autre puissance
Et ne puis plus agir qu'avec obéissance.
De votre seul aspect je me suis vu surpris :
Jugez si vos discours rassurent mes esprits;
Jugez par quels moyens je puis sortir d'un trouble
Que forme le respect, que la crainte redouble,
Et ce que vous peut dire un prince épouvanté
De voir tant de colère et tant de majesté.
Dans ces étonnements dont mon âme est frappée
De rencontrer en vous le vengeur de Pompée,

1 Un coup qui fait affront sur un chef n'est pas élégant. (V.)

2 Cela est beau, parce que cela est vrai. Il n'y a là ni déclamation

ni enflure. (V.)

3 Le point est de trop. (V.)

CORNEILLR. — T. 1.

31

Il me souvient pourtant que s'il fut notre appui,
Nous vous dûmes dès lors autant et plus qu'à lui :
Votre faveur pour nous éclata la première,

Tout ce qu'il fit après fut à votre prière :
Il émut le sénat pour des rois outragés,

Que sans cette prière il aurait négligés;

Mais de ce grand sénat les saintes ordonnances

Eussent peu fait pour nous, seigneur, sans vos finances;
Par là de nos mutins le feu roi vint à bout;

Et, pour en bien parler, nous vous devons le tout'.
Nous avons honoré votre ami, votre gendre,

Jusqu'à ce qu'à vous-même il ait osé se prendre 2;
Mais voyant son pouvoir, de vos succès jaloux 3,
Passer en tyrannie, et s'armer contre vous...

CÉSAR.

Tout beau! que votre haine en son sang assouvie
N'aille point à sa gloire; il suffit de sa vie.
N'avancez rien ici que Rome ose nier;
Et justifiez-vous, sans le calomnier.

PTOLOMÉE.

Je laisse donc aux dieux à juger ses pensées,
Et dirai seulement qu'en vos guerres passées,
Où vous fûtes forcé par tant d'indignités,
Tous nos vœux ont été pour vos prospérités ;
Que, comme il vous traitait en mortel adversaire,
J'ai cru sa mort pour vous un malheur nécessaire;
Et que sa haine injuste, augmentant tous les jours,
Jusque dans les enfers chercherait du secours;

Expression trop faible, trop commune. Ne finissez jamais un vers par ces mots, le tout; ils ne sont ni harmonieux, ni nobles. Le tout, est du style de bureau. (V.)

2 On ne peut trop remarquer avec quel soin pénible il faut éviter ce concours de syllabes dures, dont les auteurs ne s'aperçoivent pas dans la chaleur de la composition. Jusqu'à ce qu'à révolte l'oreille : se prendre à quelqu'un est du discours familier; et s'en prendre est quelquefois fort noble: Répondez du succès, ou je m'en prends à vous. De plus se prendre ne signifie pas attaquer, comme Corneille le prétend ici; il signifie le contraire, chercher un appui, un secours : en tombant, il se prit à un arbre, qui le garantit; dans le malheur, on se prend à tout, c'est-à-dire, on se fait une ressource de tout ce qu'on trouve; dans le malheur, on s'en prend à tout, signifie, on accuse tout, on se plaint de tout. (V.)

3 Un pouvoir jaloux d'un succès! (V.)

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