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CÉSAR,

O d'un illustre époux noble et digne moitié,
Dont le courage étonne, et le sort fait pitié!
Certes, vos sentiments font assez reconnaître
Qui vous donna la main, et qui vous donna l'être;
Et l'on juge aisément, au cœur que vous portez,
Où vous êtes entrée, et de qui vous sortez.
L'âme du jeune Crasse, et celle de Pompée,
L'une et l'autre vertu par le malheur trompée,
Le sang des Scipions protecteur de nos dieux,
Parlent par votre bouche et brillent dans vos yeux;
Et Rome dans ses murs ne voit point de famille
Qui soit plus honorée ou de femme ou de fille.
Plût au grand Jupiter, plût à ces mêmes dieux
Qu'Annibal eût bravés jadis sans vos aïeux,
Que ce héros si cher dont le ciel vous sépare
N'eût pas si mal connu la cour d'un roi barbare,
Ni mieux aimé tenter une incertaine foi,

Que la vieille amitié qu'il eût trouvée en moi;

Qu'il eût voulu souffrir qu'un bonheur de mes armes
Eût vaincu ses soupçons, dissipé ses alarmes ;

Et qu'enfin, m'attendant sans plus se défier,
Il m'eût donné moyen de me justifier!
Alors, foulant aux pieds la discorde et l'envie,
Je l'eusse conjuré de se donner la vie,
D'oublier ma victoire, et d'aimer un rival
Heureux d'avoir vaincu pour vivre son égal :
J'eusse alors regagné son âme satisfaite
Jusqu'à lui faire aux dieux pardonner sa défaite ;
Il eût fait à son tour, en me rendant son cœur,
Que Rome eût pardonné la victoire au vainqueur.
Mais puisque par sa perte, à jamais sans seconde,
Le sort a dérobé cette allégresse au monde,
César s'efforcera de s'acquitter vers vous

De ce qu'il voudrait rendre à cet illustre époux.
Prenez donc en ces lieux liberté tout entière :
Seulement pour deux jours soyez ma prisonnière,
Afin d'être témoin comme, après nos débats,
Je chéris sa mémoire et venge son trépas,
Et de pouvoir apprendre à toute l'Italie
De quel orgueil nouveau m'enfle la Thessalie.

Je vous laisse à vous-même et vous quitte un moment :
Choisissez-lui, Lépide, un digne appartement *;
Et qu'on l'honore ici, mais en dame roniaine,
C'est-à-dire un peu plus qu'on n'honore la reine.
Commandez, et chacun aura soin d'obéir.

CORNÉLIE.

O ciel, que de vertus vous me faites haïr!

ACTE QUATRIÈME.

SCENE PREMIÈRE.

PTOLOMÉE, ACHILLAS, PHOTIN.

PTOLOMÉE.

Quoi! de la même main et de la même épée
Dont il vient d'immoler le malheureux Pompée,
Septime, par César indignement chassé,
Dans un tel désespoir à vos yeux a passé !

ACHILLAS.

Oui, seigneur; et sa mort a de quoi vous apprendre
La honte qu'il prévient et qu'il vous faut attendre.
Jugez quel est César à ce courroux silent.

Un moment pousse et rompt un transport violent;
Mais l'indignation qu'on prend avec étude
Augmente avec le temps, et porte un coup plus rude.
Ainsi n'espérez pas de le voir modéré;

Par adresse il se fâche après s'être assuré2.
Sa puissance établie, il a soin de sa gloire.
Il poursuivait Pompée, et chérit sa mémoire ;
Et veut tirer à soi, par un courroux accort3,
L'honneur de sa vengeance et le fruit de sa mort.

On pouvait se passer de ce digne appartement. (V),

a Il faut dire de quoi. S'assurer ne signifie rien quand il est sans régime. Par adresse il se fâche est du style comique (V).

3 Accort signifie conciliant; il vient d'accorder; il ne signifie pas feint: c'est d'ailleurs un mot qui n'est plus en usage dans le style noble, et on doit regretter qu'il n'y soit plus. (V.)

PTOLOMÉE.

Ah! si je t'avais cru, je n'aurais pas de maître;
Je serais dans le trône où le ciel m'a fait naître :
Mais c'est une imprudence assez commune aux rois
D'écouter trop d'avis, et se tromper au choix;
Le destin les aveugle au bord du précipice;
Ou si quelque lumière en leur âme se glisse',
Cette fausse clarté, dont il les éblouit,

Les plonge dans un gouffre, et puis s'évanouit.

PHOTIN.

J'ai mal connu César; mais puisqu'en son estime 2
Un si rare service est un énorme crime,

Il porte dans son flanc de quoi nous en laver:
C'est là qu'est notre grâce, il nous l'y faut trouver.
Je ne vous parle plus de souffrir sans murmure,
D'attendre son départ pour venger cette injure;
Je sais mieux conformer les remèdes au mal:
Justifions sur lui la mort de son rival;
Et notre main alors également trempée
Et, du sang de César et du sang de Pompée,
Rome, sans leur donner de titres différents,
Se croira par vous seul libre de deux tyrans.
PTOLOMÉE.

Oui, par là seulement ma perte est évitable 3;
C'est trop craindre un tyran que j'ai fait redoutable :
Montrons que sa fortune est l'œuvre de nos mains;
Deux fois en même jour disposons des Romains;
Faisons leur liberté comme leur esclavage.
César, que tes exploits n'enflent plus ton courage;
Considère les miens, tes yeux en sont témoins.
Pompée était mortel, et tu ne l'es pas moins :
Il pouvait plus que toi; tu lui portais envie :

Tu n'as, non plus que lui, qu'une âme et qu'une vie;

1 Glisse n'est pas heureux; mais il est si difficile de trouver des termes nobles et convenables, et de les accorder avec la rime, qu'on doit pardonner à ces petites fautes inséparables d'un art dans lequel on éprouve autant d'obstacles qu'on fait de pas. (V.)

* Estime signifie ici opinion. C'est un terme qui n'est en usage que dans la marine; l'estime du pilote veut dire le calcul présumé. (V.)

3 Pourquoi évitable n'est-il pas en usage, puisque inévitable est reçu? C'est une grande bizarrerie des langues, d'admettre le mot composé et d'en rejeter la racine. (V.)

Et son sort que tu plains te doit faire penser

Que ton cœur est sensible, et qu'on peut le percer '.
Tonne, tonne à ton gré, fais peur de ta justice :
C'est à moi d'apaiser Rome par ton supplice;
C'est à moi de punir ta cruelle douceur,
Qui n'épargne en un roi que le sang de sa sœur.
Je n'abandonne plus ma vie et ma puissance
Au hasard de sa haine, ou de ton inconstance;
Ne crois pas que jamais tu puisses à ce prix
Récompenser sa flamme, ou punir ses mépris :
J'emploierai contre toi de plus nobles maximes.
Tu m'as prescrit tantôt de choisir des victimes,
De bien penser au choix : j'obéis, et je voi
Que je n'en puis choisir de plus digne que toi,
Ni dont le sang offert, la fumée, et la cendre,
Puissent mieux satisfaire aux mânes de ton gendre.
Mais ce n'est pas assez, amis, de s'irriter;
Il faut voir quels moyens on a d'exécuter :
Toute cette chaleur est peut-être inutile;

Les soldats du tyran sont maîtres de la ville;

Que pouvons-nous contre eux? et, pour les prévenir,
Quel temps devons-nous prendre, et quel ordre tenir?

ACHILLAS.

Nous pouvons tout, seigneur, en l'état où nous sommes.
A deux milles d'ici vous avez six mille hommes,
Que depuis quelques jours, craignant des remuements,
Je faisais tenir prêts à tous événements;

Quelques soins qu'ait César, sa prudence est déçue.
Cette ville a sous terre une secrète issue,
Par où fort aisément on les peut cette nuit
Jusque dans le palais introduire sans bruit :
Car contre sa fortune aller à force ouverte,
Ce serait trop courir vous-même à votre perte.
Il nous le faut surprendre au inilieu du festin,
Enivré des douceurs de l'amour et du vin 2.

C'est une équivoque. Le mot sensible est pris ici au physique. Ptolémée entend que César n'est pas invulnérable. Jamais le mot sensible ne souffre cette acception; de plus, cette pensée est trop répétée, trop délayée il ne faut jamais rien ajouter quand on a dit assez. (V.)

2 De l'amour et du vin: ces expressions ne sont permises que dans une chanson; il faut chercher des tours qui ennoblissent ces idées : c'est là le grand mérite de Racine. (V.)

Tout le peuple est pour nous. Tantôt, à son entrée,
J'ai remarqué l'horreur que ce peuple a montrée,
Lorsque avec tant de faste il a vu ses faisceaux
Marcher arrogamment, et braver nos drapeaux :
Au spectacle insolent de ce pompeux outrage,
Ses farouches regards étincelaient de rage;
Je voyais sa fureur à peine se dompter;

Et, pour peu qu'on le pousse, il est prêt d'éclater:
Mais surtout les Romains que commandait Septime,
Pressés de la terreur que sa mort leur imprime,
Ne cherchent qu'à venger par un coup généreux
Le mépris qu'en leur chef ce superbe a fait d'eux.
PTOLOMÉE.

Mais qui pourra de nous approcher sa personne,
Si durant le festin sa garde l'environne?

PHOTIN.

Les gens de Cornélie, entre qui vos Romains
Ont déjà reconnu des frères, des germains,
Dont l'âpre déplaisir leur a laissé paraître
Une soif d'immoler leur tyran à leur maître :
Ils ont donné parole, et peuvent, mieux que nous,
Dans les flancs de César porter les premiers coups:
Son faux art de clémence, ou plutôt sa folie,
Qui pense gagner Rome en flattant Cornélie,
Leur donnera sans doute un assez libre accès
Pour de ce grand dessein assurer le succès 1.

Mais voici Cléopâtre : agissez avec feinte,
Seigneur, et ne montrez que faiblesse et que crainte 2.
Nous allons vous quitter, comme objets odieux
Dont l'aspect importun offenserait ses yeux.

Allez, je vous rejoins.

PTOLOMÉE.

SCENE II 3.

PTOLOMÉE, CLÉOPATRE, ACHORÉE, CHARMION.

CLÉOPATRE.

J'ai vu César, mon frère,

1 Cette inversion est trop rude, et il n'est pas permis de mettre ainsi ane préposition à côté de l'article de. (V.)

a Ce conseil achève d'avilir le roi. (V.)

3 Cette scène met le comble au caractère méprisable de Ptolémée. On

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