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Et de tout mon pouvoir combattu sa colère.

PTOLOMÉE.

Vous êtes généreuse; et j'avais attendu

Cet office de sœur que vous m'avez rendu.
Mais cet illustre amant vous a bientôt quittée'.
CLÉOPATRE.

Sur quelque brouillerie, en la ville excitée2,
Il a voulu lui-même apaiser les débats

Qu'avec nos citoyens ont eus quelques soldats;
Et moi, j'ai bien voulu moi-même vous redire
Que vous ne craigniez rien pour vous ni votre empire;
Et que le grand César blâme votre action

Avec moins de courroux que de compassion.

Il vous plaint d'écouter ces lâches politiques
Qui n'inspirent aux rois que des mœurs tyranniques.
Ainsi que la naissance, ils ont les esprits bas;
En vain ou les élève à régir des États:

Un cœur né pour servir sait mal comme on commande;
Sa puissance l'accable alors qu'elle est trop grande;
Et sa main, que le crime en vain fait redouter,
Laisse choir le fardeau qu'elle ne peut porter.

PTOLOMÉE.

Vous dites vrai, ma sœur, et ces effets sinistres

Me font bien voir ma faute au choix de mes ministres.

Si j'avais écouté de plus nobles conseils,

Je vivrais dans la gloire où vivent mes pareils ;

Je mériterais mieux cette amitié si pure

Que pour un frère ingrat vous donne la nature;
César embrasserait Pompée en ce palais;

ne s'intéresse ni à lui ni à Cléopâtre; on se soucie peu que Ptolémée ait vécu dans la gloire où vivaient ses pareils, et qu'il demande la grâce de Photin; mais le plus grand défaut, c'est qu'à ce quatrième acte unc nouvelle pièce commence. Il s'agissait d'abord de la mort de Pompée; on veut actuellement assassiner César, parce qu'on craint qu'il ne fasse mettre en croix les ministres du roi. Le péril mème de César n'est pas assez grand pour que cette nouvelle tragédie intéresse. Ce n'est point comme dans Cinna, où les mesures des conjurés sont bien prises; on ne craint ici pour personne, on ne s'intéresse à personne.

Est-ce de l'ironie? parle-t-il sérieusement? (V.) La scène précédente prouve assez que Ptolémée ne parle pas sérieusement; il ne veut que feindre, et tromper Cléopâtre. (P.)

* Brouillerie : ce mot trop familier ne doit jamais entrer dans la tragédie. (V.)

Notre Égypte à la terre aurait rendu la paix,
Et verrait son monarque encore à juste titre
Ami de tous les deux, et peut-être l'arbitre.
Mais, puisque le passé ne peut se révoquer,
Trouvez bon qu'avec vous mon cœur s'ose expliquer.
Je vous ai maltraitée, et vous êtes si bonne,
Que vous me conservez la vie et la couronne 1.
Vainquez-vous tout à fait 2; et, par un digne effort,
Arrachez Achillas et Photin à la mort :

Elle leur est bien due; ils vous ont offensée;
Mais ma gloire en leur perte est trop intéressée :
Si César les punit des crimes de leur roi,
Toute l'ignominie en rejaillit sur moi :

Il me punit en eux; leur supplice est ma peine.
Forcez, en ma faveur, une trop juste haine.
De quoi peut satisfaire un cœur si généreux
Le sang abject et vil de ces deux malheureux ?
Que je vous doive tout: César cherche à vous plaire,
Et vous pouvez d'un mot désarmer sa colère.

CLÉOPATRE.

Si j'avais en mes mains leur vie et leur trépas,
Je les méprise assez pour ne m'en venger pas;
Mais sur le grand César je puis fort peu de chose,
Quand le sang de Pompée à mes désirs s'oppose.
Je ne me vante pas de pouvoir le fléchir;
J'en ai déjà parlé, mais il a su gauchir;
Et, tournant le discours sur une autre matière,
Il n'a ni refusé ni souffert ma prière.

Je veux bien toutefois encor m'y hasarder,
Mes efforts redoublés pourront mieux succéder;
Et j'ose croire...

PTOLOMÉE.

Il vient; souffrez que je l'évite :

Je crains que ma présence à vos yeux ne l'irrite,

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Est-ce de l'ironie? mais, soit qu'il raille, soit qu'il parle sérieusement, il s'exprime en termes bien bas, ou du moins bien familiers. (V.)

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Et, tournant le discours sur une autre matière, etc.

Toutes expressions qu'on doit éviter; elles sont trop familières. (V.)

Que son courroux ému ne s'aigrisse à me voir;
Et vous agirez seule avec plus de pouvoir.

SCÈNE III'.

CÉSAR, CLÉOPATRE, ANTOINE, LÉPIDE, CHARMION, ACHORÉE, ROMAINS.

CÉSAR.

Reine, tout est paisible; et la ville calmée,
Qu'un trouble assez léger avait trop alarmée,
N'a plus à redouter le divorce intestina
Du soldat insolent et du peuple mutin.

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Mais, ô dieux! ce moment que je vous ai quittée
D'un trouble bien plus grand a mon âme agitée;
Et ces soins importuns, qui m'arrachaient de vous
Contre ma grandeur même allumaient mon courroux.
Je lui voulais du mal de m'être si contraire,
De rendre ma présence ailleurs si nécessaire;

1 L'amour régna toujours sur le théâtre de France dans les pièces qui précédèrent celles de Corneille, et dans les siennes; mais si vous en exceptez les scènes de Chimène, il ne fut jamais traité comme il doit l'être ce ne fut point une passion violente, suivie de crimes et de remords; il ne déchira point le cœur, il n'arracha point de larmes. Ce ne fut guère que dans le cinquième acte d'Andromaque, et dans le rôle de Phèdre, que Racine apprit à l'Europe comment cette terrible passion, la plus théâtrale de toutes, doit être traitée. On ne connut longtemps que de fades conversations amoureuses, et jamais les fureurs de l'amour. Cette seène de César et de Cléopâtre est un des plus grands exemples du ridicule auquel les mauvais romans avaient accoutumé notre nation. Il n'y a presque pas un vers dans cette scène de César qut ne fasse souhaiter au lecteur que Corneille eût en effet secoué ce joug de l'habitude qui le forçait à faire parler d'amour tous ses héros.

Ne perdons point de vue que les héros ne parlaient point autrement dans ce temps-là; et, même lorsque Racine donna son Alexandre, il lui fit tenir les mêmes discours à Cléophile : les vers étaient plus purs à la vérité, mais Alexandre n'en était pas moins avili. Pardonnons à Corneille de ne s'être pas toujours élevé au-dessus de son siècle; imputons à nos romans ces défauts du théâtre, et plaignons le plus beau génie qu'eût la France d'avoir été asservi aux plus ridicules usages.

Gardez-vous de donner, ainsi que dans Clélie,
L'air ni l'esprit français à l'antique Italie;
Et, sous des noms romains faisant notre portrait,
Peindre Caton galant, et César dameret.

BOILEAU, Art poétique.

Divorce intestin, expression impropre. (V.)

(V.)

Mais je lui pardonnais, au simple souvenir
Du bonheur qu'à ma flamme elle fait obtenir.
C'est elle dont je tiens cette haute espérance
Qui flatte mes désirs d'une illustre apparence,
Et fait croire à César qu'il peut former des vœux,
Qu'il n'est pas tout à fait indigne de vos feux,
Et qu'il peut en prétendre une juste conquête,
N'ayant plus que les dieux au-dessus de sa tête.
Oui, reine, si quelqu'un dans ce vaste univers
Pouvait porter plus haut la gloire de vos fers;
S'il était quelque trône où vous pussiez paraître
Plus dignement assise en captivant son maître;
J'irais, j'irais à lui, moins pour le lui ravir,
Que pour lui disputer le droit de vous servir;
Et je n'aspirerais au bonheur de vous plaire
Qu'après avoir mis bas un si grand adversaire.
C'était pour acquérir un droit si précieux
Que combattait partout mon bras ambitieux;
Et dans Pharsale même il a tiré l'épée

Plus pour le conserver que pour vaincre Pompée.
Je l'ai vaincu, princesse : et le dieu des combats
M'y favorisait moins que vos divins appas ;
Ils conduisaient ma main, ils enflaient mon courage;
Cette pleine victoire est leur dernier ouvrage :
C'est l'effet des ardeurs qu'ils daignaient m'inspirer;
Et vos beaux yeux enfin m'ayant fait soupirer,
Pour faire que votre âme avec gloire y réponde,
M'ont rendu le premier et de Rome et du monde.
C'est ce glorieux titre, à présent effectif*,
Que je viens ennoblir par celui de captif :
Heureux si mon esprit gagne tant sur le vôtre,
Qu'il en estime l'un et me permette l'autre,

CLÉOPATRE.

Je sais ce que je dois au souverain bonheur

Dont me comble et m'accable un tel excès d'honneur 2.
Je ne vous tiendrai plus mes passions secrètes 3;

Ce glorieux titre à présent effectif, etc. C'est un mauvais vers; et l'esprit de Cléopâtre, que César prie d'estimer le titre de premier du monde, et de permettre celui de captif, est une chose intolérable. (V.)

2 Elle doit à César, et non au souverain bonheur, cet excès d'honneur qui comble et accable. (V.)

3 On ne dit point passions au pluriel, pour signifier mon amour. (V.)

Je sais ce que je suis, je sais ce que vous êtes.
Vous daignâtes m'aimer dès mes plus jeunes ans;
Le sceptre que je porte est un de vos présents;
Vous m'avez par deux fois rendu le diadème :
J'avoue, après cela, seigneur, que je vous aime,
Et que mon cœur n'est point à l'épreuve des traits
Ni de tant de vertus, ni de tant de bienfaits.
Mais, hélas! ce haut rang, cette illustre naissance,
Cet État de nouveau rangé sous ma puissance,
Ce sceptre par vos mains dans les miennes remis,
A mes vœux innocents sont autant d'ennemis 1.
Ils allument contre eux une implacable haine,
Ils me font méprisable alors qu'ils me font reine;
Et si Rome est encor telle qu'auparavant,
Le trône où je me sieds m'abaisse en m'élevant;
Et ces marques d'honneur, comme titres infâmes,
Me rendent à jamais indigne de vos flammes.

J'ose encor toutefois, voyant votre pouvoir,
Permettre à mes désirs un généreux espoir.
Après tant de combats, je sais qu'un si grand homme
A droit de triompher des caprices de Rome,
Et que l'injuste horreur qu'elle eut toujours des rois
Peut céder, par votre ordre, à de plus justes lois;
Je sais que vous pouvez forcer d'autres obtacles:
Vous me l'avez promis, et j'attends ces miracles.
Votre bras dans Pharsale a fait de plus grands coups 2,
Et je ne les demande à d'autres dieux qu'à vous.

CÉSAR.

Tout miracle est facile où mon amour s'applique.
Je n'ai plus qu'à courir les côtes de l'Afrique,
Qu'à montrer mes drapeaux au reste épouvanté
Du parti malheureux qui m'a persécuté :
Rome, n'ayant plus lors d'ennemis à me faire,
Par impuissance enfin prendra soin de me plaire;
Et vos yeux la verront, par un superbe accueil,

1 Cela n'est pas français; on n'est pas ennemi à, mais ennemi de. (V.) 2 Un bras qui fait de grands coups! quelle expression! elle est digne du rôle de Cléopâtre. Faut-il que le très-mauvais soit à tout moment à côté du très-bon! Mais ce très-bon n'appartenait qu'à Corneille, et le trés-mauvais appartenait à tous les auteurs de son temps, jusqu'à ce que l'inimitable Racine parût. (V.)

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