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Immoler à vos pieds sa haine et son orgueil'.

Encore une défaite, et dans Alexandrie

Je veux que cette ingrate en ma faveur vous prie 2;
Et qu'un juste respect, conduisant ses regards,
A votre chaste amour demande des Césars.

C'est l'unique bonheur où mes désirs prétendent;
C'est le fruit que j'attends des lauriers qui m'attendent 2 :
Heureux si mon destin, encore un peu plus doux,
Me les faisait cueillir sans m'éloigner de vous!
Mais, las! contre mon feu mon feu me sollicite.
Si je veux être à vous, il faut que je vous quitte.
En quelques lieux qu'on fuie, il me faut y courir
Pour achever de vaincre et de vous conquérir.
Permettez cependant qu'à ces douces amorces
Je prenne un nouveau cœur et de nouvelles forces 3
Pour faire dire encore, aux peuples pleins d'effroi,
Que venir, voir, et vaincre, est même chose en moi'.
CLÉOPATRE.

C'est trop, c'est trop, seigneur; souffrez que j'en abuse:
Votre amour fait ma faute, il fera mon excuse.

Vous me rendez le sceptre, et peut-être le jour;
Mais, si j'ose abuser de cet excès d'amour,

Je vous conjure encor, par ses plus puissants charmes,
Par ce juste bonheur qui suit toujours vos armes,
Par tout ce que j'espère et que vous attendez,
De n'ensanglanter pas ce que vous me rendez.
Faites grâce, seigneur; ou souffrez que j'en fasse,

Par un superbe accueil, veut dire ici réception favorable, mais immoler son orgueil par un superbe accueil n'est pas une expression élégante et juste. (V.)

2 Cette ingrate de Rome qui prie dans Alexandrie, et dont un juste respect conduit les regards! On voit combien ce style est forcé. (V.) 3 César qui prend un nouveau cœur à ces douces amorces : quelles expressions! (V.)

4 Il faudrait pour moi; mais, ce qui est bien plus à observer, c'est qu'on fait dire à César avec orgueil ce qu'il dit en effet avec modestie dans la guerre contre Pharnace. Veni, vidi, vici, ne signifiait que le peu de peine qu'il avait eue contre un ennemi presque sans défense. Voy. les Commentaires de César; jamais grand homme ne fut plus modeste. La grandeur romaine ne consista jamais dans de vaines paroles, dans des discours emphatiques; elle ne fut jamais boursouflée des actions fermes, et des paroles simples, voilà le vrai caractère des anciens Romains. Nous y avons été souvent trompés; on a pris plus d'une fois des discours de capitan pour des discours de héros. (V.)

Et montre à tous par là que j'ai repris ma place.
Achillas et Photin sont gens à dédaigner;
Ils sont assez punis en me voyant régner;
Et leur crime...

CÉSAR.

Ah! prenez d'autres marques de reine:
Dessus mes volontés vous êtes souveraine;
Mais, si mes sentiments peuvent être écoutés,
Choisissez des sujets dignes de vos bontés.
Ne vous donnez sur moi qu'un pouvoir légitime,
Et ne me rendez point complice de leur crime'.
C'est beaucoup que pour vous j'ose épargner le roi2;
Et si mes feux n'étaient...

SCÈNE IV.

CÉSAR, CORNÉLIE, CLÉOPATRE, ACHORÉE, ANTOINE, LÉPIDE, CHARMION, ROMAINS.

CORNÉLIE.

César, prends garde à toi 3 :

Ta mort est résolue, on la jure, on l'apprête;

A celle de Pompée on veut joindre ta tête.
Prends-y garde, César, ou ton sang répandu
Bientôt parmi le sien se verra confondu.

Mes esclaves en sont; apprends de leurs indices
L'auteur de l'attentat, et l'ordre, et les complices :
Je te les abandonne.

CÉSAR.

O cœur vraiment romain,

Je reconnais là le véritable César, et c'était sur ce ton qu'il devalt toujours parler. (V.)

• Que j'ose épargner n'est pas le mot propre, c'est que je daigne épargner. (V.)

3 Que cette scène répare bien la précédente! Que cette générosité de Cornélie élève l'âme! ce n'est point de la terreur et de la pitié, mais c'est de l'admiration. Corneille est le premier de tous les tragiques du monde qui ait excité ce sentiment, et qui en ait fait la base de la tragédie. Quand l'admiration se joint à la pitié et à la terreur, l'art est poussé alors au plus haut point où l'esprit puisse atteindre. L'admiration seule passe trop vite. Boileau dit :

Inventez des ressorts qui puissent m'attacher.

Que ceux qui travaillent pour la scène tragique aient toujours ce précepte gravé dans leur mémoire. (V.)

Et digne du héros qui vous donna la main!
Ses mânes, qui du ciel ont vu de quel courage
Je préparais la mienne à venger son outrage,
Mettant leur haine bas, me sauvent aujourd'hui
Par la moitié qu'en terre il nous laisse de lui.
Il vit, il vit encore en l'objet de sa flamme;
Il parle par sa bouche, il agit dans son âme;
Il la pousse, et l'oppose à cette indignité,
Pour me vaincre par elle en générosité.
CORNÉLIE.

Tu te flattes, César, de mettre en ta croyance
Que la haine ait fait place à la reconnaissance :
Ne le présume plus; le sang de mon époux
A rompu pour jamais tout commerce entre nous.
J'attends la liberté qu'ici tu m'as offerte,
Afin de l'employer tout entière à ta perte;
Et je te chercherai partout des ennemis,
Si tu m'oses tenir ce que tu m'as promis.
Mais, avec cette soif que j'ai de ta ruine,
Je me jette au-devant du coup qui t'assassine,
Et forme des désirs avec trop de raison
Pour en aimer l'effet par une trahison :
Qui la sait et la souffre a part à l'infamie.

Si je veux ton trépas, c'est en juste ennemie :
Mon époux a des fils; il aura des neveux :
Quand ils te combattront, c'est là que je le veux;

Et qu'une digne main par moi-même animée,
Dans ton champ de bataille, aux yeux de ton armée,
T'immole noblement et par un digne effort

Aux mânes du héros dont tu venges la mort.

Tous mes soins, tous mes vœux hâtent cette vengeance:

Ta perte la recule, et ton salut l'avance.

Quelque espoir qui d'ailleurs me l'ose ou puisse offrir2,
Ma juste impatience aurait trop à souffrir:

La vengeance éloignée est à demi perdue;

Et quand il faut l'attendre, elle est trop cher vendue.
Je n'irai point chercher sur les bords africains

Mettre bas ne se dit plus, comme on l'a déjà observé. (V.)

Un espoir qui ose offrir, et cette alternative d'ose ou puisse, ne sont ni convenables ni justes. (V.)

Le foudre souhaité que je vois en tes mains:
La tête qu'il menace en doit être frappée :
J'ai pu donner la tienne au lieu d'elle à Pompée 2
Ma haine avait le choix; mais cette haine enfin
Sépare son vainqueur d'avec son assassin,
Et ne croit avoir droit de punir ta victoire
Qu'après le châtiment d'une action si noire.
Rome le veut ainsi; son adorable front

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Aurait de quoi rougir d'un trop honteux affront3,
De voir en même jour, après tant de conquêtes,
Sous un indigne fer ses deux plus nobles têtes.
Son grand cœur, qu'à tes lois en vain tu crois soumis,
En veut aux criminels plus qu'à ses ennemis,
Et tiendrait à malheur le bien de se voir libre,
Si l'attentat du Nil affranchissait le Tibre.
Comme autre qu'un Romain n'a pu l'assujettir,
Autre aussi qu'un Romain ne l'en doit garantir.
Tu tomberais ici sans être sa victime;

Au lieu d'un châtiment ta mort serait un crime;
Et, sans que tes pareils en conçussent d'effroi,
L'exemple que tu dois périrait avec toi.
Venge-la de l'Égypte à son appui fatale,
Et je la vengerai, si je puis, de Pharsale.

Va, ne perds point de temps, il presse. Adieu : tu peux
Te vanter qu'une fois j'ai fait pour toi des vœux *.

Il y avait d'abord, le foudre punisseur; punisseur était un beau terme qui manquait à notre langue. Puni doit fournir punisseur, comme vengé fournit vengeur. Mais Corneille a mis lui-même à la place le foudre souhaité, épithète qui est bien plus faible.- En tes mains. Comment ce foudre souhaité contre César est-il dans les mains de César? Quelques éditions portent, en ses mains; mais en ses mains ne se rapporte à rien. (V.) — Ce n'est point contre César que Cornélie invoque ici la foudre; au contraire, c'est dans les mains de ce même César qu'elle croit déjà voir la foudre menaçant la tête de Ptolémée, et prête à tomber sur cet assassin. Les vers qui précèdent et qui suivent, lus avec un peu d'attention, expliquent clairement sa pensée. Le vœu de Cornélie est bien que César périsse à son tour; mais auparavant elle veut qu'il punisse l'assassin de Pompée. (P.)

2 On ne voit pas d'abord à quoi se rapporte cet au lieu d'elle; c'est à Ptolémée. (V.)

3 L'adorable front de Rome qui rougirait! Est-ce ainsi que doit s'exprimer la noble douleur d'une femme profondément affligée ? cela n'est-il pas un peu trop recherché? (V.)

4 Ces derniers vers que prononce Cornélie frappent d'admiration,

SCÈNE V.

CÉSAR, CLÉOPATRE, ANTOINE, LÉPIDE, ACHORÉE,

CHARMION.

CÉSAR.

Son courage m'étonne autant que leur audace.
Reine, voyez pour qui vous me demandiez grâce!

CLÉOPATRE.

Je n'ai rien à vous dire : allez, seigneur,

allez

Venger sur ces méchants tant de droits violés.

On m'en veut plus qu'à vous c'est ma mort qu'ils respirent,
C'est contre mon pouvoir que les traîtres conspirent;

Leur rage, pour l'abattre, attaque mon soutien,
Et par votre trépas cherche un passage au mien 1.
Mais, parmi ces transports d'une juste colère,
Je ne puis oublier que leur chef est mon frère.
Le saurez-vous, seigneur ? et pourrai-je obtenir
Que ce cœur irrité daigne s'en souvenir?

CÉSAR.

Oui, je me souviendrai que ce cœur magnanime
Au bonheur de son sang veut pardonner son crime 2.
Adieu, ne craignez rien: Achillas et Photin

Ne sont pas gens à vaincre un si puissant destin;
Pour les mettre en déroute, eux et tous leurs complices,
Je n'ai qu'à déployer l'appareil des supplices,

Et, pour soldats choisis, envoyer des bourreaux
Qui portent hautement mes haches pour drapeaux.
(César rentre avec les Romains. )

CLÉOPATRE.

Ne quittez pas César; allez, cher Achorée,
Repousser avec lui ma mort qu'on a jurée;

et quand ce couplet est bien réelté, il est toujours suivi d'applaudisse

ments.

On ne cherche point un passage au trépas par un autre trépas. Cette scène est sans intérêt ; il ne s'agit guère que d'Achillas et de Pho tin: il est triste que l'acte finisse si froidement. (V.)

2 Ce dernier vers est trop obscur: César veut dire que Ptolémée est heureux d'être frère de Cléopâtre, et qu'il sera épargné : mais pardonner un crime au bonheur d'un sang n'est pas intelligible. (V.)

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