Et, quand il punira nos lâches ennemis, Ayez l'œil sur le roi dans la chaleur des armes, Madame, assurez-vous qu'il ne peut y périr, ACTE CINQUIÈME. SCÈNE PREMIÈRE'. CORNÉLIÈ, tenant une petite urne en sa main; PHILIPPE. CORNÉLIE. Mes yeux, puis-je vous croire, et n'est-ce point un songe O vous, à ma douleur objet terrible et tendre3, 1 Par quel art une scène inutile est-elle si belle? Cornélie a déjà dit sur la mort de Pompée tout ce qu'elle devait dire. Que les cendres de Pompée soient enfermées dans une urne ou non, c'est une chose absolument indifférente à la construction de la pièce; cette urne ne fait ni le nœud, ni le dénoûment: retranchez cette scène, la tragédie (si c'en est une) marche tout de même ; mais Cornélie dit de si belles choses, Philippe fait parler César d'une manière si noble, le nom seul de Pompée fait une telle impression, que cette scène même soutient le cinquième acte, qui est assez languissant. Ce qui, dans les règles sévères de la tragédie, est un véritable défaut devient ici une beauté frappante par les détails, par les beaux vers. (V.) a Il est triste, dans notre poésie, que songe fasse toujours attendre la rime de mensonge. Un mensonge formé sur des vœux n'est pas intelligible, n'est pas français. (V.) 3 Tendre à ma douleur ne peut se dire; et cependant ce vers est beau: c'est qu'il est plein de sentiment, c'est qu'il est composé, comme les bons vers doivent l'être, d'un assemblage harmonieux de consonnes et de voyelles. Ce morceau, qui est un peu de déclamation, serait déplacé dans le premier moment où Cornélie apprend la mort de son époux; mais, après les premiers transports de la douleur, on peut donner plus de liberté à ses sentiments. Éternel entretien de haine et de pitié, Reste du grand Pompée, écoutez sa moitié. Un grand cœur à ses maux applique d'autres charmes. Et quiconque se plaint cherche à se consoler. Par vous, qui seul ici pouvez me soulager, PHILIPPE. Tout couvert de son sang, et plus mort que lui-même, Madame, j'ai porté mes pas et mes sanglots 1 Cela n'est ni français ni noble; on ne dit point autant comme, mais autant que. Ce mot de chétive a été heureusement employé au second acte; dans quelque urne chétive en ramasser la cendre. Le même terme peut faire un bon et un mauvais effet, selon la place où il est. Une urne chétive qui contient la cendre du grand Pompée présente à l'esprit un contraste attendrissant ; mais une flamme n'est point chétive. Ces deux vers que Philippe met dans la bouche de César : Restes d'un demi-dieu, dont à peine je puis Égaler le grand nom, tout vainqueur que j'en suis, sont d'un sublime si touchant, qu'on dit avec raison que Corneille, dans ses bonnes pièces, faisait quelquefois parler les Romains mieux qu'ils ne parlaient eux-mêmes. (V.) Du côté que le vent poussait encor les flots. Je cours longtemps en vain; mais enfin d'une roche Et n'y voyant qu'un tronc dont la tête est coupée, « Ton sort est bien, dit-il, autre que tu ne penses; « Celui pour qui ton zèle a tant de sentiment. « Tu peux faire éclater les soins qu'on t'en voit prendre, « Tu peux même à sa veuve en reporter la cendre. << Son vainqueur l'a reçue avec tout le respect Qu'un dieu pourrait ici trouver à son aspect. Achève, je reviens. » Il part et m'abandonne, Et rapporte aussitôt ce vase qu'il me donne, O que sa piété mérite de louanges! PHILIPPE. En entrant j'ai trouvé des désordres étranges. Montrait de sa justice un exemple assez beau, « Restes d'un demi-dieu, dont à peine je puis Égaler le grand nom, tout vainqueur que j'en suis, «< De vos traîtres, dit-il, voyez punir les crimes : « Attendant des autels, recevez ces victimes; « Bien d'autres vont les suivre. Et toi, cours au palais « Porter à sa moitié ce don que je lui fais; « Porte à ses déplaisirs cette faible allégeance, CORNÉLIE. O soupirs, ô respect! ô qu'il est doux de plaindre De ce qu'elle ferait s'il le voyait en vie : Pour grand qu'en soit le prix, son péril en rabat"; Ces beaux vers font un très-grand effet, parce que la maxime est courte, et qu'elle est en sentiment. Peut-être Cornélie est toujours trop occupée de rabaisser le mérite de César. Elle doit savoir que César a parlé de punir le meurtre de Pompée en arrivant en Égypte, et avant que Ptolémée conspirât contre lui mais que ne pardonne-t-on point à la veuve de Pompée gémissante! Les curieux ne seront pas fâchés de savoir que Garnier avait donné les mêmes sentiments à Cornélie; Philippe lui dit : César plora sa mort, Cornélie répond: H plora mort celui Qu'il n'eût voulu souffrir être vif comme lui, 2 Pour grand ne se dit plus. Son péril en rabat est trop familier. Je n'aimais mieux juger sa vertu par la nôtre ', SCÈNE II3. CLÉOPATRE, CORNÉLIE, PHILIPPE, CHARMION. CLÉOPATRE. Je ne viens pas ici pour troubler une plainte Oui, princesse, je sais qu'on a puni ce traître. Un si prompt châtiment vous doit être bien doux. S'il a quelque douceur, elle n'est que pour vous. CLÉOPATRE. Tous les cœurs trouvent doux le succès qu'ils espèrent. CORNÉLIE. Comme nos intérêts, nos sentiments diffèrent. Si César à sa mort joint celle d'Achillas, 1 Par la nôtre gâte un peu ce dernier vers. On ne dit nous et nôtre en parlant de soi, que dans un édit. (V). 2 Au point qu'il est ne se dit plus. (V.) 3 Après cette scène de Cornélie, qui est un chef-d'œuvre de génie, on est faché de voir celle-ci. Quand le sujet baisse, l'auteur baisse nécessairement, et Cléopâtre n'est pas digne de parler à Cornélie. Ces scènes d'ailleurs ne servent ni au nœud ni au dénoûment; ce sont des entretiens, et non pas des scènes. (V.) 4 On sait aujourd'hui qu'il faut, je ne le suis pas; cé le est neutre : |