CLARICE. S'il a perdu sitôt ce qui pouvait vous plaire, J'estime plus un don qu'une reconnaissance : Ne fait que nous payer de ce qui nous est dû. DORANTE. Aussi ne croyez pas que jamais je prétende J'en sais mieux le haut prix; et mon cœur amoureux, Et si la recevant ce cœur même en murmure, Il se plaint du malheur de ses félicités, Que le hasard lui donne, et non vos volontés. Un amant a fort peu de quoi se satisfaire Des faveurs qu'on lui fait sans dessein de les faire : CLARICE. Cette flamme, monsieur, est pour moi fort nouvelle, 1 On rend Justice au mérite, on ne lui rend pas bonheur (peut-être les premiers imprimeurs ont-ils mis bonheur au lieu d'honneur.) Cette scène languit par une contestation trop longue. (V.) Confessez cependant qu'à tort vous murmurez SCÈNE III. DORANTE, CLARICE, LUCRÈCE, ISABELLE, CLITON. DORANTE. C'est l'effet du malheur qui partout m'accompagne. Et je n'ai pu trouver que cette occasion A vous entretenir de mon affection. CLARICE. Quoi! vous avez donc vu l'Allemagne et la guerre? DORANTE. Je m'y suis fait, quatre ans, craindre comme un tonnerre. Que lui va-t-il conter? CLITON. DORANTE. Et durant ces quatre ans Il ne s'est fait combats, ni siéges importants, Nos armes n'ont jamais remporté de victoire, Où cette main n'ait eu bonne part à la gloire : Et même la gazette a souvent divulgué.... CLITON, le tirant par la basque. Savez-vous bien, monsieur, que vous extravaguez? Tais-toi. DORANTE. CLITON. Vous rêvez, dis-je, ou... DORANTE. Tais-toi, misérable. CLITON. Vous venez de Poitiers, ou je me donne au diable; Vous en revîntes hier. (à Clarice.) DORANTE, à Cliton. Te tairas-tu, maraud? Mon nom dans nos succès s'était mis assez haut Pour faire quelque bruit sans beaucoup d'injustice; ISABELLE, à Clarice, tout bas. CLARICE. Nous en saurons, monsieur, quelque jour davantage. Adicu. DORANTE. Quoi! me priver sitôt de tout mon bien? CLARICE. Nous n'avons pas loisir d'un plus long entretien; DORANTE. Cependant accordez à mes vœux innocents La licence d'aimer des charmes si puissants. CLARICE. Un cœur qui veut aimer, et qui sait comme on aime, N'en demande jamais licence qu'à soi-même. SCÈNE IV. DORANTE, CLITON. DORANTE. Suis-les, Cliton. CLITON. J'en sais ce qu'on en peut savoir. La langue du cocher a fait tout son devoir. « La plus belle des deux, dit-il, est ma maîtresse; Elle loge à la place, et son nom est Lucrèce. » Quelle place? DORANTE. CLITON. Royale; et l'autre y loge aussi. Il n'en sait pas le nom, mais j'en prendrai souci. DORANTE. Ne te mets point, Cliton, en peine de l'apprendre. CLITON. Quoique mon sentiment doive respect au vôtre, DORANTE. Quoi! celle qui s'est tue, et qui dans nos propos CLITON. Monsieur, quand une femme a le don de se taire, Lorsqu'il en fait d'humeur à garder le silence. Pour moi, jamais l'amour n'inquiète mes nuits; Et, quand le cœur m'en dit, j'en prends par où je puis : A sur moi tel pouvoir et tel droit de me plaire, 1 Je crois que ce soit est une faute de grammaire, du temps même de Corneille. Je crois, étant une chose positive, exige l'indicatif; mais pourquoi dit-on : je crois qu'elle est aimable, qu'elle a de l'esprit? et croyezvous qu'elle soit aimable, qu'elle ait de l'esprit? C'est que croyez-vous n'est point positif; croyez-vous exprime le doute de celui qui interroge : Je suis sûr qu'il vous satisfera; étes-vous sûr qu'il vous satisfasse? Vous voyez, par cet exemple, que les règles de la grammaire sont fondées, pour la plupart, sur la raison, et sur cette logique naturelle avec laquelle naissent tous les hommes bien organisés. (V.) DORANTE. Je t'en crois sans jurer avec tes incartades. Mais voici les plus chers de mes vieux camarades: SCÈNE V. DORANTE, ALCIPPE, PHILISTE, CLITON. Quoi! sur l'eau la musique et la collation? ALCIPPE, à Philiste. ALCIPPE, à Philiste. C'est de quoi je suis mal éclairci. DORANTE, les saluant. Que mon bonheur est grand de vous revoir ici! ALCIPPE. Le mien est sans pareil, puisque je vous embrasse. DORANTE. J'ai rompu vos discours d'assez mauvaise grâce PHILISTE. Avec nous, de tout temps, vous avez tout pouvoir. |