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CLARICE.

S'il a perdu sitôt ce qui pouvait vous plaire,
Je veux être à mon tour d'un sentiment contraire,
Et crois qu'on doit trouver plus de félicité
A posséder un bien sans l'avoir mérité.

J'estime plus un don qu'une reconnaissance :
Qui nous donne fait plus que qui nous récompense;
Et le plus grand bonheur au mérite rendu '

Ne fait que nous payer de ce qui nous est dû.
La faveur qu'on mérite est toujours achetée;
L'heur en croît d'autant plus, moins elle est méritée;
Et le bien où sans peine elle fait parvenir
Par le mérite à peine aurait pu s'obtenir.

DORANTE.

Aussi ne croyez pas que jamais je prétende
Obtenir par mérite une faveur si grande :

J'en sais mieux le haut prix; et mon cœur amoureux,
Moins il s'en connaît digne, et plus s'en tient heureux.
On me l'a pu toujours dénier sans injure;

Et si la recevant ce cœur même en murmure,

Il se plaint du malheur de ses félicités,

Que le hasard lui donne, et non vos volontés.

Un amant a fort peu de quoi se satisfaire

Des faveurs qu'on lui fait sans dessein de les faire :
Comme l'intention seule en forme le prix,
Assez souvent sans elle on les joint au mépris.
Jugez par là quel bien peut recevoir ma flamme
D'une main qu'on me donne en me refusant l'âme.
Je la tiens, je la touche et je la touche, en vain,
Si je ne puis toucher le cœur avec la main.

CLARICE.

Cette flamme, monsieur, est pour moi fort nouvelle,
Puisque j'en viens de voir la première étincelle.
Si votre cœur ainsi s'embrase en un moment,
Le mien ne sut jamais brûler si promptement;
Mais peut-être, à présent que j'en suis avertie,
Le temps donnera place à plus de sympathie.

1 On rend Justice au mérite, on ne lui rend pas bonheur (peut-être les premiers imprimeurs ont-ils mis bonheur au lieu d'honneur.) Cette scène languit par une contestation trop longue. (V.)

Confessez cependant qu'à tort vous murmurez
Du mépris de vos feux, que j'avais ignorés.

SCÈNE III.

DORANTE, CLARICE, LUCRÈCE, ISABELLE, CLITON.

DORANTE.

C'est l'effet du malheur qui partout m'accompagne.
Depuis que j'ai quitté les guerres d'Allemagne,
C'est-à-dire, du moins depuis un an entier,
Je suis et jour et nuit dedans votre quartier;
Je vous cherche en tous lieux, au bal, aux proinenades;
Vous n'avez que de moi reçu des sérénades;

Et je n'ai pu trouver que cette occasion

A vous entretenir de mon affection.

CLARICE.

Quoi! vous avez donc vu l'Allemagne et la guerre?

DORANTE.

Je m'y suis fait, quatre ans, craindre comme un tonnerre.

Que lui va-t-il conter?

CLITON.

DORANTE.

Et durant ces quatre ans Il ne s'est fait combats, ni siéges importants, Nos armes n'ont jamais remporté de victoire, Où cette main n'ait eu bonne part à la gloire : Et même la gazette a souvent divulgué....

CLITON, le tirant par la basque.

Savez-vous bien, monsieur, que vous extravaguez?

Tais-toi.

DORANTE.

CLITON.

Vous rêvez, dis-je, ou...

DORANTE.

Tais-toi, misérable.

CLITON.

Vous venez de Poitiers, ou je me donne au diable;

Vous en revîntes hier.

(à Clarice.)

DORANTE, à Cliton.

Te tairas-tu, maraud?

Mon nom dans nos succès s'était mis assez haut

Pour faire quelque bruit sans beaucoup d'injustice;
Et je suivrais encore un si noble exercice,
N'était que l'autre hiver, faisant ici ma cour,
Je vous vis, et je fus retenu par l'amour.
Attaqué par vos yeux, je leur rendis les armes;
Je me fis prisonnier de tant d'aimables charmes;
Je leur livrai mon âme; et ce cœur généreux
Dès ce premier moment oublia tout pour eux.
Vaincre dans les combats, commander dans l'armée,
De mille exploits fameux enfler ma renommée,
Et tous ces nobles soins qui m'avaient su ravir,
Cédèrent aussitôt à ceux de vous servir.

ISABELLE, à Clarice, tout bas.
Madame, Alcippe vient; il aura de l'ombrage.

CLARICE.

Nous en saurons, monsieur, quelque jour davantage. Adicu.

DORANTE.

Quoi! me priver sitôt de tout mon bien?

CLARICE.

Nous n'avons pas loisir d'un plus long entretien;
Et, malgré la douceur de me voir cajolée,
Il faut que nous fassions seules deux tours d'allée.

DORANTE.

Cependant accordez à mes vœux innocents

La licence d'aimer des charmes si puissants.

CLARICE.

Un cœur qui veut aimer, et qui sait comme on aime, N'en demande jamais licence qu'à soi-même.

SCÈNE IV.

DORANTE, CLITON.

DORANTE.

Suis-les, Cliton.

CLITON.

J'en sais ce qu'on en peut savoir.

La langue du cocher a fait tout son devoir.

« La plus belle des deux, dit-il, est ma maîtresse; Elle loge à la place, et son nom est Lucrèce. »

Quelle place?

DORANTE.

CLITON.

Royale; et l'autre y loge aussi.

Il n'en sait pas le nom, mais j'en prendrai souci.

DORANTE.

Ne te mets point, Cliton, en peine de l'apprendre.
Celle qui m'a parlé, celle qui m'a su prendre,
C'est Lucrèce, ce l'est sans aucun contredit,
Sa beauté m'en assure, et mon cœur me le dit.

CLITON.

Quoique mon sentiment doive respect au vôtre,
La plus belle des deux, je crois que ce soit l'autre 1.

DORANTE.

Quoi! celle qui s'est tue, et qui dans nos propos
N'a jamais eu l'esprit de mêler quatre mots?

CLITON.

Monsieur, quand une femme a le don de se taire,
Elle a des qualités au-dessus du vulgaire ;
C'est un effort du ciel qu'on a peine à trouver;
Sans un petit miracle il ne peut l'achever;
Et la nature souffre extrême violence

Lorsqu'il en fait d'humeur à garder le silence.

Pour moi, jamais l'amour n'inquiète mes nuits;

Et, quand le cœur m'en dit, j'en prends par où je puis :
Mais naturellement femme qui se peut taire

A sur moi tel pouvoir et tel droit de me plaire,
Qu'eût-elle en vrai magot tout le corps fagoté,
Je lui voudrais donner le prix de la beauté.
C'est elle assurément qui s'appelle Lucrèce :
Cherchez un autre nom pour l'objet qui vous blesse;
Ce n'est point là le sien: celle qui n'a dit mot,
Monsieur, c'est la plus belle, ou je ne suis qu'un sot.

1 Je crois que ce soit est une faute de grammaire, du temps même de Corneille. Je crois, étant une chose positive, exige l'indicatif; mais pourquoi dit-on : je crois qu'elle est aimable, qu'elle a de l'esprit? et croyezvous qu'elle soit aimable, qu'elle ait de l'esprit? C'est que croyez-vous n'est point positif; croyez-vous exprime le doute de celui qui interroge : Je suis sûr qu'il vous satisfera; étes-vous sûr qu'il vous satisfasse? Vous voyez, par cet exemple, que les règles de la grammaire sont fondées, pour la plupart, sur la raison, et sur cette logique naturelle avec laquelle naissent tous les hommes bien organisés. (V.)

DORANTE.

Je t'en crois sans jurer avec tes incartades.

Mais voici les plus chers de mes vieux camarades:
Ils semblent étonnés, à voir leur action.

SCÈNE V.

DORANTE, ALCIPPE, PHILISTE, CLITON.
PHILISTE, à Alcippe.

Quoi! sur l'eau la musique et la collation?

ALCIPPE, à Philiste.

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ALCIPPE, à Philiste.

C'est de quoi je suis mal éclairci.

DORANTE, les saluant.

Que mon bonheur est grand de vous revoir ici!

ALCIPPE.

Le mien est sans pareil, puisque je vous embrasse.

DORANTE.

J'ai rompu vos discours d'assez mauvaise grâce
Vous le pardonnerez à l'aise de vous voir.

PHILISTE.

Avec nous, de tout temps, vous avez tout pouvoir.

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