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ACTE QUATRIÈME.

SCENE PREMIÈRE.

DORANTE, CLITON.

CLITON.

Mais, monsieur, pensez-vous qu'il soit jour chez Luerèce 1? Pour sortir si matin elle a trop de paresse.

DORANTE.

On trouve bien souvent plus qu'on ne croit trouver;
Et ce lieu pour ma flamme est plus propre à rêver :
J'en puis voir sa fenêtre, et de sa chère idée
Mon âme à cet aspect sera mieux possédée.

CLITON.

A propos de rêver, n'avez-vous rien trouvé
Pour servir de remède au désordre arrivé?

DORANTE.

Je me suis souvenu d'un secret que toi-même

Me donnais hier pour grand, pour rare, pour suprême 2 :
Un amant obtient tout quand il est libéral.

CLITON.

Le secret est fort beau, mais vous l'appliquez mal :
Il ne fait réussir qu'auprès d'une coquette.

DORANTE.

Je sais ce qu'est Lucrèce, elle est sage et discrète;

A lui faire présent mes efforts seraient vains 3:

Elle a le cœur trop bon: mais ses gens ont des mains;
Et, bien que sur ce point elle les désavoue,

Avec un tel secret leur langue se dénoue :
Ils parlent; et souvent on les daigne écouter.

A tel prix que ce soit, il m'en faut acheter.

Nous avons déjà remarqué que le lieu de la scène changeait souvent dans cette comédie, et que, par conséquent, l'unité de lieu n'y était pas scrupuleusement observée. (V.)

2 Un secret suprême! voilà à quoi l'esclavage de la rime réduit trop souvent les auteurs; on emploie les mots les plus impropres, parce qu'ils riment. C'est le plus grand défaut de notre poésie : il vaut mieux rejeter la plus belle pensée que de la mal exprimer. (V.)

3 Il faut dire: fuire un présent, ou faire présent de quelque chose. (V.)

Si celle-ci venait qui m'a rendu sa lettre ',
Après ce qu'elle a fait j'ose tout m'en promettre;
Et ce sera hasard si, sans beaucoup d'effort,

Je ne trouve moyen de lui payer le port.

CLITON.

Certes, vous dites vrai, j'en juge par moi-même :
Ce n'est point mon humeur de refuser qui m'aime;
Et comme c'est m'aimer que me faire présent,
Je suis toujours alors d'un esprit complaisant.

DORANTE.

Il est beaucoup d'humeurs pareilles à la tienne.

CLITON.

Mais, monsieur, attendant que Sabine survienne,
Et que sur son esprit vos dons fassent vertu 2,
Il court quelque bruit sourd qu'Alcippe s'est battu.

DORANTE.

Contre qui?

CLITON.

L'on ne sait, mais ce confus murmure
D'un air pareil au vôtre à peu près le figure;
Et si de tout le jour je vous avais quitté,
Je vous soupçonnerais de cette nouveauté.

DORANTE.

Tu ne me quittas point pour entrer chez Lucrèce !

CLITON.

Ah! monsieur, m'auriez-vous joué ce tour d'adresse ?

DORANTE.

Nous nous battîmes hier, et j'avais fait serment
De ne parler jamais de cet événement;
Mais à toi, de mon cœur l'unique secrétaire,
A toi, de mes secrets le grand dépositaire,
Je ne célerai rien, puisque je l'ai promis.

Depuis cinq ou six mois nous étions ennemis :
Il passa par Poitiers, où nous prîmes querelle;
Et comme on nous fit lors une paix telle-quelle,

Il faudrait celle-là, ou celle. Celle ne doit point se séparer du qui s mais ce n'est qu'une petite faute. (V.)

2 On dit se faire une vertu, faire une vertu d'un vice: mais faire vertu, quand il signific faire effet, n'est plus d'usage; et faire vertu sur quelque chose est un barbarisme. (V.)

Nous sumes l'un à l'autre en secret protester
Qu'à la première vue il en faudrait tåter.

Hier nous nous rencontrons; cette ardeur se réveille,
Fait de notre embrassade un appel à l'oreille;
Je me défais de toi, j'y cours, je le rejoins,
Nous vidons sur le pré l'affaire sans témoins;
Et, le perçant à jour de deux coups d'estocade,
Je le mets hors d'état d'être jamais malade :
Il tombe dans son sang.

Je le laissai pour tel.

CLITON.

A ce compte il est mort?

DORANTE.

CLITON.

Certes, je plains son sort :

Il était honnête homme; et le ciel ne déploie...

SCÈNE II.

DORANTE, ALCIPPE, CLITON.

ALCIPPE.

Je te veux, cher ami, faire part de ma joie.
Je suis heureux; mon père...

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Ta joie est peu commune, et pour revoir un père
Un homme tel que nous ne se réjouit guère.

ALCIPPE.

Un esprit que la joie entièrement saisit

Présume qu'on l'entend au moindre mot qu'il dit.
Sache donc que je touche à l'heureuse journée
Qui doit avec Clarice unir ma destinée :
On attendait mon père afin de tout signer.

DORANTE.

C'est ce que mon esprit ne pouvait deviner;
Mais je m'en réjouis. Tu vas entrer chez elle?

ALCIPPE.

Oui, je lui vais porter cette heureuse nouvelle ;
Et je t'en ai voulu faire part en passant.

DORANTE.

Tu t'acquiers d'autant plus un cœur reconnaissant.
Enfin donc ton amour ne craint plus de disgrâce?

ALCIPPE.

Cependant qu'au logis mon père se délasse,
J'ai voulu par devoir prendre l'heure du sien.
CLITON, bas, à Dorante.

Les gens que vous tuez se portent assez bien.

ALCIPPE.

Je n'ai de part ni d'autre aucune défiance :
Excuse d'un amant la juste impatience.

Adieu.

DORANTE.

Le ciel te donne un hymen sans souci.

SCÈNE III.

DORANTE, CLITON.

CLITON.

Il est mort! Quoi! monsieur, vous m'en donnez aussi,

A moi, de votre cœur l'unique secrétaire,

A moi, de vos secrets le grand dépositaire!
Avec ces qualités j'avais lieu d'espérer

Qu'assez malaisément je pourrais m'en parer.

DORANTE.

Quoi! mon combat te semble un conte imaginaire?

CLITON.

Je croirai tout, monsieur, pour ne vous pas déplaire;
Mais vous en contez tant, à toute heure, en tous lieux,
Qu'il faut bien de l'esprit avec vous, et bons yeux.
Maure, Juif, ou chrétien, vous n'épargnez personne.

DORANTE.

Alcippe te surprend! sa guérison t'étonne!

Dans ces deux vers, que Cliton répète ici après les avoir dits à la fin du second acte, on peut remarquer qu'espérer, ne se prenant jamais en mauvaise part, ne peut pas servir de synonyme à craindre, et qu'ici l'expression n'est point juste. (V.)

L'état où je le mis était fort périlleux;

Mais il est à présent des secrets merveilleux :
Ne t'a-t-on point parlé d'une source de vie

Que nomment nos guerriers poudre de sympathie?
On en voit tous les jours des effets étonnants.

CLITON.

Encor ne sont-ils pas du tout si surprenants;
Et je n'ai point appris qu'elle eût tant d'efficace',
Qu'un homme que pour mort on laisse sur la place,
Qu'on a de deux grands coups percé de part en part,
Soit dès le lendemain si frais et si gaillard.

DORANTE.

La poudre que tu dis n'est que de la commune;
On n'en fait plus de cas: mais, Cliton, j'en sais une
Qui rappelle sitôt des portes du trépas,

Qu'en moins d'un tourne-main on ne s'en souvient pas ;
Quiconque la sait faire a de grands avantages.

CLITON.

Donnez-m'en le secret, et je vous sers sans gages.

DORANTE.

Je te le donnerais, et tu serais heureux;

Mais le secret consiste en quelques mots hébreux,
Qui tous à prononcer sont si fort difficiles,

Que ce serait pour toi des trésors inutiles.

Vous savez donc l'hébreu ?

CLITON.

DORANTE.

L'hébreu! parfaitement :

J'ai dix langues, Cliton, à mon commandement.

CLITON.

Vous auriez bien besoin de dix des mieux nourries,
Pour fournir tour à tour à tant de menteries;

Vous les hachez menu comme chair à pâtés.
Vous avez tout le corps bien plein de vérités,
Il n'en sort jamais une.

Mais mon père survient.

DORANTE.

Ah, cervelle ignorante!

Efficace, pris comme substantif, n'est plus d'usage; on dit efficacité, ou plutôt on se sert d'un autre mot. (V.)

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