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N'est rien moins qu'insensible à l'ardeur qui le presse; Durant toute la nuit elle n'a point dormi;

Et, si je ne me trompe, elle l'aime à demi.

CLITON.

Mais sur quel privilége est-ce qu'elle se fonde,
Quand elle aime à demi, de maltraiter le monde?
Il n'en a cette nuit reçu que des mépris.

Chère amie, après tout, mon maître vaut son prix.
Ces amours à demi sont d'une étrange espèce;
Et, s'il me voulait croire, il quitterait Lucrèce.

SABINE.

Qu'il ne se hâte point, on l'aime assurément.

CLITON.

Mais on le lui témoigne un peu bien rudement;
Et je ne vis jamais de méthodes pareilles.

SABINE.

Elle tient, comme on dit, le loup par les oreilles ;
Elle l'aime, et son cœur n'y saurait consentir,
Parce que d'ordinaire il ne fait que mentir.
Hier même elle le vit dedans les Tuileries,
Où tout ce qu'il conta n'était que menteries.
Il en a fait autant depuis à deux ou trois.

CLITON.

Les menteurs les plus grands disent vrai quelquefois.

SABINE.

Elle a lieu de douter, et d'être en défiance.

CLITON.

Qu'elle donne à ses feux un peu plus de croyance :
Il n'a fait toute nuit que soupirer d'ennui.

SABINE.

Peut-être que tu mens aussi bien comme lui '?

CLITON.

Je suis homme d'honneur; tu me fais injustice.

SABINE.

Mais, dis-moi, sais-tu bien qu'il n'aime plus Clarice?

CLITON.

Il ne l'aima jamais.

SABINE.

Pour certain ?

On a déjà dit que, au lieu de comme, il faut que. (V.)

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Qu'il ne craigne donc plus de soupirer en vain.
Aussitôt que Lucrèce a pu le reconnaître,
Elle a voulu qu'exprès je me sois fait paraître,
Pour voir si par hasard il ne me dirait rien;
Et s'il l'aime en effet, tout le reste ira bien.
Va-t'en; et, sans te mettre en peine de m'instruire,
Crois que je lui dirai tout ce qu'il lui faut dire.

CLITON.

Adieu; de ton côté si tu fais ton devoir,
Tu dois croire du mien que je ferai pleuvoir.

SCÈNE VIII.

SABINE, LUCRÈCE.

SABINE.

Que je vais bientôt voir une fille contente!
Mais la voici déjà; qu'elle est impatiente!
Comme elle a les yeux fins, elle a vu le poulet.
LUCRÈCE.

Eh bien! que t'ont conté le maître et le valet?

SABINE.

Le maître et le valet m'ont dit la même chose:
Le maître est tout à vous, et voici de sa prose.
LUCRÈCE, après avoir lu.

Dorante avec chaleur fait le passionné;

Mais le fourbe qu'il est nous en a trop donné,
Et je ne suis pas fille à croire ses paroles.

SABINE.

Je ne les crois non plus; mais j'en crois ses pistoles.

LUCRÈCE.

I t'a donc fait présent?

SABINE.

Voyez.
LUCRÈCE.

Et tu l'as pris?

SABINE.

Pour vous ôter du trouble où flottent vos esprits, Et vous mieux témoigner ses flammes véritables,

J'en ai pris les témoins les plus indubitables;
Et je remets, madame, au jugement de tous

Si qui donne à vos gens est sans amour pour vous,
Et si ce traitement marque une âme commune.
LUCRÈCE.

Je ne m'oppose pas à ta bonne fortune;

Mais, comme en l'acceptant tu sors de ton devoir,
Du moins une autre fois ne m'en fais rien savoir.

SABINE.

Mais à ce libéral que pourrai-je promettre?

LUCRÈCE.

Dis-lui que, sans la voir, j'ai déchiré sa lettre.

SABINE.

O ma bonne fortune, où vous enfuyez-vous?

LUCRÈCE.

Mêle-s-y de ta part deux ou trois mots plus doux ;
Conte-lui dextrement le naturel des femmes 1;
Dis-lui qu'avec le temps on amollit leurs âmes;
Et l'avertis surtout des heures et des lieux

Où par rencontre il peut se montrer à mes yeux.
Parce qu'il est grand fourbe, il faut que je m'assure.

SABINE.

Ah! si vous connaissiez les peines qu'il endure,
Vous ne douteriez plus si son cœur est atteint;
Toute nuit il soupire, il gémit, il se plaint.

LUCRÈCE.

Pour apaiser les maux que cause cette plainte,
Donne-lui de l'espoir avec beaucoup de crainte;
Et sache entre les deux toujours le modérer,
Sans m'engager à lui, ni le désespérer.

SCÈNE IX.

CLARICE, LUCRÈCE, SABINE.

CLARICE.

Il t'en veut tout de bon, et m'en voilà défaite :
Mais je souffre aisément la perte que j'ai faite;
Alcippe la répare, et son père est ici.

1 Dextrement n'est plus d'usage: on ne conte point le naturel; on le peint, on le décrit. (V.)

LUCRÈCE.

Te voilà donc bientôt quitte d'un grand souci?

CLARICE.

M'en voilà bientôt quitte; et toi, te voilà prête
A t'enrichir bientôt d'une étrange conquête.

Tu sais ce qu'il m'a dit.

SABINE.

S'il vous mentait alors,

A présent il dit vrai; j'en réponds corps pour corps.

CLARICE.

Peut-être qu'il le dit; mais c'est un grand peut-être.
LUCRÈCE.

Dorante est un grand fourbe, et nous l'a fait connaître ;
Mais s'il continuait encore à m'en conter,

Peut-être avec le temps il me ferait douter.

CLARICE.

Si tu l'aimes, du moins, étant bien avertie,
Prends bien garde à ton fait, et fais bien ta partie '.
LUCRÈCE.

C'en est trop ; et tu dois seulement présumer
Que je penche à le croire, et non pas à l'aimer.

CLARICE.

De le croire à l'aimer la distance est petite :
Qui fait croire ses feux fait croire son mérite;
Ces deux points en amour se suivent de si près,
Que qui se croit aimée aime bientôt après.

LUCRÈCE.

La curiosité souvent dans quelques âmes

Produit le même effet que produiraient des flammes.

CLARICE.

Je suis prête à le croire, afin de t'obliger.

SABINE.

Vous me feriez ici toutes deux enrager.
Voyez, qu'il est besoin de tout ce badinage!
Faites moins la sucrée, et changez de langage,
Ou vous n'en casserez, ma foi, que d'une dent 2.

Cette expression, prise en ce sens, n'est plus d'usage. Aujourd'hui, prendre garde à son fait est une phrase très-populaire. On a remarqué que ces scènes de Clarice et de Lucrèce sont toutes très-froides. On en demande la raison : c'est que ni l'une ni l'autre n'a une vraie passion ni un grand intérêt. (V.)

Façon de s'exprimer prise d'un ancien proverbe trivial. (V.)

LUCRÈCE.

Laissons là cette folle, et dis-moi cependant,
Quand nous le vîmes hier dedans les Tuileries
Qu'il te conta d'abord tant de galanteries,
Il fut, ou je me trompe, assez bien écouté.
Était-ce amour alors, ou curiosité?

CLARICE.

Curiosité pure, avec dessein de rire

De tous les compliments qu'il aurait pu me dire.
LUCRÈCE.

Je fais de ce billet même chose à mon tour;
Je l'ai pris, je l'ai lu, mais le tout sans amour :
Curiosité pure, avec dessein de rire

De tous les compliments qu'il aurait pu m'écrire.

CLARICE.

Ce sont deux que de lire, et d'avoir écouté :
L'un est grande faveur; l'autre, civilité:
Mais trouves-y ton compte, et j'en serai ravie ;
En l'état où je suis, j'en parle sans envie.

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Soit. Mais il est saison que nous allions au temple 2.

Allons.

(à Sabine.)

LUCRÈCE, à Clarice.

Si tu le vois, agis comme tu sais.

Ce vers prouve deux choses: d'abord, que la pièce dure deux journées; ensuite, que la scène a changé, que le théâtre ne doit plus représenter les Tuileries, mais la place Royale. Il était, à la vérité, assez extraordinaire que ces dames se promenassent si régulièrement dans un jardin deux journées de suite; mais il ne l'est pas moins qu'elles aient de si longues conférences dans une place. Au reste, la règle des vingt-quatre heures peut très-bien subsister, la pièce commençant à six heures du soir, et finissant le lendemain à la même heure. (V.)

a Il est saison, pour il est temps, il est l'heure, ne se dit plus; de plus, voilà une manière bien froide et bien maladroite de finir un acte : il est temps d'aller à l'église, parce que nous n'avons plus rien à dire. (V.)

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