Ingrat, tu m'as payé d'une impudente feinte, Et tu n'as eu pour moi respect, amour, ni crainte. Va, je te désavoue. DORANTE. Eh! mon père, écoutez. GÉRONTE. Quoi? des contes en l'air et sur l'heure inventés ? Non, la vérité pure. DORANTE. GÉRONTE. En est-il dans ta bouche? CLITON, bas, à Dorante. Voici pour votre adresse une assez rude touche. DORANTE. Épris d'une beauté qu'à peine j'ai pu voir Qu'elle a pris sur mon âme un absolu pouvoir, Dis vrai : je la connais, et ceux qui l'ont fait naître; DORANTE. Mon cœur en un moment Étant de ses regards charmé si puissamment, Le choix que vos bontés avaient fait de Clarice, Sitôt que je le sus, me parut un supplice: Mais comme j'ignorais si Lucrèce et son sort Pouvaient avec le vôtre avoir quelque rapport, Je n'osai pas encor vous découvrir la flamme Que venaient ses beautés d'allumer dans mon âme; Et j'avais ignoré, monsieur, jusqu'à ce jour Que l'adresse d'esprit fût un crime en amour. Mais, si je vous osais demander quelque grâce, A présent que je sais et son bien et sa race, Je vous conjurerais, par les nœuds les plus doux Dont l'amour et le sang puissent m'unir à vous, De seconder mes vœux auprès de cette belle : Obtenez-la d'un père, et je l'obtiendrai d'elle. Tu me fourbes encor. GÉRONTE. DORANTE. Si vous ne m'en croyez, Croyez-en pour le moins Cliton que vous voyez; Il sait tout mon secret. GÉRONTE. Tu ne meurs pas de honte Écoute: je suis bon, et, malgré ma colère, DORANTE, Pour vous mieux assurer, souffrez que je vous suive. Demeure ici, demeure, et ne suis point mes pas : Mais sache que tantôt si pour cette Lucrèce SCÈNE IV. DORANTE, CLITON. DORANTE. Je crains peu les effets d'une telle menace. CLITON. Vous vous rendez trop tôt et de mauvaise grâce; DORANTE. Cliton, ne raille point, que tu ne me déplaises : Cette plaisanterie est tirée de l'opinion où l'on était alors que le troisième accès de fièvre décidait de la guérison ou de la mort. (V.) 40 D'un trouble tout nouveau j'ai l'esprit agité. CLITON. N'est-ce point du remords d'avoir dit vérité? DORANTE. Je l'aime; et sur ce point ta défiance est vaine: J'ai tantôt vu passer cet objet si charmant : Sa compagne, ou je meure, a beaucoup d'agrément. CLITON. Mais pourquoi donc montrer une flamme si grande, DORANTE. Il ne m'aurait pas cru, si je ne l'avais fait. CLITON. Quoi ! même en disant vrai, vous mentiez en effet 3? DORANTE. C'était le seul moyen d'apaiser sa colère. Que maudit soit quiconque a détrompé mon père! De consulter mon cœur, et je pourrais choisir. On ne sait, en effet, qui Dorante aime; il ne le sait pas lui-même : c'est une intrigue où le cœur n'a aucune part. Dorante, Lucrèce et Clarice prennent si peu de part à cet amour, que le spectateur n'y prend aucun intérêt. C'est un très-grand défaut, comme on l'a déjà dit; et l'intrigue n'est point assez plaisante pour réparer cette faute : la pièce ne se soutient que par le comique des menteries de Dorante. (V.) 2 Cela seul suffit pour refroidir la pièce. S'il ne se soucie d'aucune, qu'importe celle qu'il aura? (V.) 3 Voilà une excellente plaisanterie, qui prépare le dénoûment de l'intrigue. (V.) CLITON. Mais sa compagne enfin n'est autre que Clarice. DORANTE. Je me suis donc rendu moi-même un bon office. CLITON. Vous en voilà défait aussi bien que d'Orphise. DORANTE. Reportons à Lucrère un esprit ébranlé, Que l'autre à ses yeux même avait presque volé. SCÈNE V. DORANTE, SABINE, CLITON. DORANTE. Qu'as-tu fait de ma lettre ? En de si belles mains as-tu su la remettre? SABINE. Oui, monsieur; mais... DORANTE. Quoi! mais? SABINE. Elle a tout déchiré. DORANTE. Sans lire? SABINE. Sans rien lire. DORANTE. Et tu l'as enduré? SABINE. Ah! si vous aviez vu comme elle m'a grondée! Elle me va chasser, l'affaire en est vidée. DORANTE. Elle s'apaisera; mais, pour t'en consoler, Tends la main. SABINE. Eh! monsieur! DORANTE. Ose encor lui parler. Je ne perds pas sitôt toutes mes espérances. CLITON. Voyez la bonne pièce avec ses révérences! DORANTE. Elle a donc déchiré mon billet sans le lire? Elle m'avait donné charge de vous le dire; CLITON. Sait-elle son métier! SABINE. Elle n'en a rien fait, et l'a lu tout entier. Je ne puis si longtemps abuser un brave homme. CLITON. Si quelqu'un l'entend mieux, je l'irai dire à Rome. |