Quand elle me croira? Que ma joie est extrême! SABINE. Quand elle vous croira, dites qu'elle vous aime. DORANTE. Je le dis déjà donc, et m'en ose vanter, Puisque ce cher objet n'en saurait plus douter : SABINE. La voici qui vient avec Clarice. SCÈNE VI. CLARICE, LUCRÈCE, DORANTE, SABINE, CLITON, CLARICE, bas, à Lucrèce. Il peut te dire vrai, mais ce n'est pas son vice. DORANTE, à Clarice. Beauté qui pouvez seule et mon mal et mon bien... On dirait qu'il m'en veut, et c'est moi qu'il regarde. Quelques regards sur toi sont tombés par mégarde. DORANTE, à Clarice. Ah! que loin de vos yeux Les moments à mon cœur deviennent ennuyeux ! Et que je reconnais par mon expérience Quel supplice aux amants est une heure d'absence! Éclaircissons-nous-en. Vous m'aimez donc, Dorante? DORANTE, à Clarice. Hélas! que cette amour vous est indifférente! CLARICE, bas, à Lucrèce. Crois-tu que le discours s'adresse encore à toi? LUCRÈCE, bas, à Clarice. Je ne sais où j'en suis! CLARICE, bas, à Lucrêce. Oyons la fourbe entière. LUCRÈCE, bas, à Clarice. Vu ce que nous savons, elle est un peu grossière. C'est ainsi qu'il partage entre nous son amour; DORANTE, à Clarice. Vous consultez ensemble! Ah! quoi qu'elle vous die, Sur de meilleurs conseils disposez de ma vie; LUCRÈCE, en elle-même. Ce qu'elle me disait est de vrai fort étrange. DORANTE. C'est quelque invention de son esprit jaloux. CLARICE. Je le crois mais enfin me reconnaissez-vous? DORANTE. Si je vous reconnais? Quittez ces railleries, CLARICE. Si je veux toutefois en croire son rapport, DORANTE. Pour une autre déjà je vous aurais quittée? CLARICE. Bien plus, si je la crois, vous êtes marié. DORANTE. Vous me jouez, madame; et, sans doute pour rire, Vous prenez du plaisir à m'entendre redire Qu'à dessein de inourir en des liens si doux Je me fais marié pour toute autre que vous. CLARICE. Mais avant qu'avec moi le noeud d'hymen vous lie, Vous serez marié, si l'on veut, en Turquie. DOKANTE. Avant qu'avec toute autre on me puisse engager, CLARICE. Mais enfin vous n'avez que mépris pour Clarice. DORANTE. Mais enfin vous savez le nœud de l'artifice, CLARICE. Je ne sais plus moi-même à mon tour où j'en suis. Lucrèce, écoute un mot. DORANTE, bas, à Cliton. Lucrèce ! que dit-elle? CLITON, bas, à Dorante. Vous en tenez, monsieur : Lucrèce est la plus belle; Mais laquelle des deux ? J'en ai le mieux jugé, Et vous auriez perdu si vous aviez gagé. DORANTE, bas, à Cliton. Cette nuit à la voix j'ai cru la reconnaître. CLITON, bas, à Dorante. Clarice sous son nom parlait à sa fenêtre; Sabine m'en a fait un secret entretien. DORANTE, bas, à Cliton. Bonne bouche! j'en tiens : mais l'autre la vaut bien '; Comme elle est mon amie, elle m'a tout appris. DORANTE. Moi! depuis mon retour je n'ai parlé qu'à vous. CLARICE. Vous n'avez point parlé cette nuit à Lucrèce? DORANTE. Vous n'avez point voulu me faire un tour d'adresse? . CLARICE. Nous dirait-il bien vrai pour la première fois ? DORANTE. Pour me venger de vous j'eus assez de malice La méprise de Dorante serait plaisante et intéressante, si, aimant passionnément une des deux, il disait à l'une tout ce qu'il croit dire à l'autre. L'auteur espagnol et le français semblent avoir manqué leur but. (V.) CLARICE. Pourquoi, si vous m'aimez, feindre un hymen en l'air, Pourquoi, si vous l'aiinez, m'écrire cette lettre ? DORANTE, à Lucrèce. J'aime de ce courroux les principes cachés. Je ne vous déplais pas, puisque vous vous fâchez. Est-il un plus grand fourbe? et peux-tu l'écouter 1? Quand vous m'aurez ouï, vous n'en pourrez douter. Mais que disiez-vous hier dedans les Tuileries ? DORANTE. Clarice fut l'objet de mes galanteries... CLARICE, bas, à Lucrèce. Veux-tu longtemps encore écouter ce moqueur? Elle avait mes discours, mais vous aviez mon cœur, CLARICE, bas, à Lucrèce. Vois que fourbe sur fourbe à nos yeux il entasse, Vous seule êtes l'objet dont mon cœur est charmé. C'est ce que les effets m'ont fort mal confirmé. Elle devait lui dire: Je suis Clarice, c'est mon nom, et vous avez cru que je m'appelats Lucrèce. (V.) |