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DORANTE.

Si mon père à présent porte parole au vôtre,

I

Après son témoignage, en voudrez-vous quelque autre 1?

LUCRÈCE.

Après son témoignage il faudra consulter

Si nous aurons encor quelque lieu d'en douter.

DORANTE, à Lucrece.

Qu'à de telles clartés votre erreur se dissipe.
(à Clarice.)

Et vous,
belle Clarice, aimez toujours Alcippe;
Sans l'hymen de Poitiers il ne tenait plus rien;
Je ne lui ferai pas ce mauvais entretien *;
Mais entre vous et moi vous savez le mystère.
Le voici qui s'avance, et j'aperçois mon père.

SCENE VII.

GÉRONTE, DORANTE, ALCIPPE, CLARICE,
LUCRÈCE, ISABELLE, SABINE, CLITON.

ALCIPPE, sortant de chez Clarice et parlant à elle. Nos parents sont d'accord, et vous êtes à moi.

GÉRONTE, sortant de chez Lucrèce et parlant à elle. Votre père à Dorante engage votre foi.

ALCIPPE, à Clarice.

Un mot de votre main, l'affaire est terminée.

GÉRONTE, à Luerèce.

Un mot de votre bouche achève l'hyménée.

DORANTE, à Lucrèce.

Ne soyez pas rebelle à seconder mes vœux.

ALCIPPE.

Êtes-vous aujourd'hui muettes toutes deux?

CLARICE.

Mon père a sur mes vœux une entière puissance.

De pareils dénoùments sont toujours froids et vicieux, parce qu'ils n'ont point ce qu'on appelle la péripétie; ils n'excitent aucune surprise; il n'y a ni comique ni intérêt. Si mon père consent à mon mariage, y consentez-vous? Oui. Ce n'est pas la peine de faire cinq actes pour amener quelque chose de si trivial; le caractère du Menteur est l'unique cause du succès. (V.)

2 Faire un mauvais entretien est un barbarisme (V.)

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Venez donc ajouter ce doux consentement.

(Alcippe rentre chez Clarice avec elle et Isabelle, et le reste rentre chez Lucrèce.)

SABINE, à Dorante, comme il rentre.

Si vous vous mariez, il ne pleuvra plus guères.

DORANTE.

Je changerai pour toi cette pluie en rivières.

SABINE.

Vous n'aurez pas loisir seulement d'y penser.
Mon métier ne vaut rien quand on s'en peut passer.
CLITON, seul.

Comme en sa propre fourbe un menteur s'embarrasse!
Peu sauraient comme lui s'en tirer avec grâce.

Vous autres qui doutiez s'il en pourrait sortir,

Par un si rare exemple apprenez à mentir2.

Il est assez singulier de remarquer que Corneille a placé ce vers et le suivant dans la bouche de Camille et de Curiace, dans sa belle tragédie des Horaces. (V.)

2 La comédie du Menteur, qui précéda de vingt ans celles de:Molière, fut empruntée des Espagnols, comme le Cid: ainsi nous devons à d'heureuses imitations, embellies par la muse de Corneille, la première tragédie touchante et la première comédie de caractère que l'on ait vues sur notre théâtre; et l'auteur fut, dans l'une et dans l'autre, également supérieur à tous ses contemporains. C'est dans le Menteur qu'on entendit pour la première fois sur la scène la conversation des honnêtes gens. On n'avait eu jusque-là que des farces grossières, telles que les Jodelets de Scarron, et de mauvais romans dialogués. L'intrigue du Menteur est faible, et ne roule que sur une méprise de nom qui n'amène pas des situations fort comiques. Mais la facilité et l'agrément des mensonges de Dorante, et la scène entre son père et lui, où le poëte a su être éloquent sans sortir du ton de la comédie, font toujours revoir cette pièce avec plaisir. (LA H.)

Cette pièce est en partie traduite, en partie imitée de l'espagnol. Le sujet m'en semble si spirituel et si bien tourné, que j'ai dit souvent que je voudrais avoir donné les deux plus belles que j'aye faites, et qu'il fût de mon invention. On l'a attribué au fameux Lope de Vega; mais il m'est tombé depuis peu entre les mains un volume de don Juan d'Alarcon, où il prétend que cette comédie est à lui, et se plaint des imprimeurs qui l'ont fait courir sous le nom d'un autre. Si c'est son hien, je n'empêche pas qu'il ne s'en ressaisisse. De quelque main que parte cette comédie, il est constant qu'elle est très-ingénieuse; et je n'ai rien vu dans cette langue qui m'aye satisfait davantage. J'ai tâché de la réduire à notre usage et dans nos règles; mais il m'a fallu forcer mon aversion pour les a parte, dont je n'aurais pu la purger sans lui faire perdre une bonne partie de ses beautés. Je les ai faits les plus courts que j'ai pu, et je me les suis permis rarement, sans laisser deux acteurs ensemble qui s'entretiennent tout bas cependant que d'autres disent ce que ceux-là ne doivent pas écouter. Cette duplicité d'action particulière ne rompt point l'unité de la principale ; mais elle gène un peu l'attention de l'auditeur, qui ne sait à laquelle s'attacher, et qui se trouve obligé de séparer aux deux ce qu'il est accoutumé de donner à une. L'unité de lieu s'y trouve, et tout ce qui s'y passe dans Paris; mais le premier acte est dans les Tuileries, et le reste à la place Royale. Celle de jour n'y est pas forcée, pourvu qu'on lui laisse les vingt-quatre heures entières. Quant à celle d'action, je ne sais s'il n'y a point quelque chose à dire, en ce que Dorante aime Clarice dans toute la pièce, et épouse Lucrèce à la fin, qui par là ne répond pas à la protase. L'auteur espagnol lui donne ainsi, le change pour punition de ses menteries, et le réduit à épouser par force cette Lucrèce qu'il n'aime point. Comme il se méprend toujours au nom, et croit que Clarice porte celui-là il lui présente la main quand on lui a accordé l'autre, et dit hautement, lorsqu'on l'avertit de son erreur que s'il s'est trompé au nom, il ne se trompe point à la personne. Sur quoi le père de Lucrèce le menace de le tuer s'il n'épouse sa fille après l'avoir demandée et obtenue; et le sien propre lui fait la même menace. Pour moi, j'ai trouvé cette ma nière de finir un peu dure, et cru qu'un mariage moins violenté serait plus au goût de notre auditoire. C'est ce qui m'a obligé à lui donner une pente vers la personne.de Lucrèce au cinquième acte, afin qu'après qu'il a reconnu sa méprise aux noms, il fasse de nécessité vertu de meilleure grâce, et que la comédie se termine avec pleine tranquillité de tous côtés.

DU MENTEUR,

COMÉDIE. (1643.)

DORANTE.

ACTEURS.

CLITON, valet de Dorante.

CLEANDRE, gentilhomme de Lyon.

MÉLISSE, sœur de Cléandre.

PHILISTE, ami de Dorante, et amoureux de Mélisse.
LYSE, femme de chambre de Mélisse.

UN PRÉVOT.

La scène est à Lyon.

ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE'

DORANTE, CLITON.

(Dorante paraît écrivant dans une prison, et le geôlier ouvrant la porte à Cliton, et le lui montrant.)

CLITON.

Ah! monsieur, c'est donc vous?

DORANTE.

Clitou, je te revoi!

CLITON.

Je vous trouve, monsieur, dans la maison du roi!

Dès les premiers vers, un grand intérêt commence : Dorante est en prison, après avoir disparu le jour de ses noces il est vrai qu'il n'a eu aucune raison de s'enfuir quand il allait se marier, que c'est un caprice impardonnable, que ce caprice même le rend un peu méprisable; sa maîtresse a épousé son père, ce père est mort: tout cela excite beaucoup de curiosité. C'est une chose à laquelle il ne faut jamais manquer dans les expositions: toute première scène qui ne donne pas envie de voir les autres ne vaut rien. (V.)

Quel charme, quel désordre, ou quelle raillerie
Des prisons de Lyon fait votre hôtellerie ?

DORANTE.

Tu le sauras tantôt. Mais qui t'amène ici?

Les soins de vous chercher.

CLITON.

DORANTE.

Tu prends trop de souci;

Et bien qu'après deux ans ton devoir s'en avise,
Ta rencontre me plaît, j'en aime la surprise;
Ce devoir, quoique tard, enfin s'est éveillé.

CLITON.

Et qui savait, monsieur, où vous étiez allé?
Vous ne nous témoigniez qu'ardeur et qu'allégresse,
Qu'impatients désirs de posséder Lucrèce;
L'argent était touché, les accords publiés,
Le festin commandé, les parents conviés,
Les violons choisis, ainsi que la journée :

Rien ne semblait plus sûr qu'un si proche hyménée;
Et, parmi ces apprêts, la nuit d'auparavant

Vous sûtes faire gille, et fendites le vent.

Comme il ne fut jamais d'éclipse plus obscure,
Chacun sur ce départ forma sa conjecture;
Tous s'entre-regardaient, étonnés, ébahis :
L'un disait : « Il est jeune, il veut voir le pays ; »
L'autre « Il s'est allé battre, il a quelque querelle;
L'autre d'une autre idée embrouillait sa cervelle;
Et tel vous soupçonnait de quelque guérison
D'un mal privilégié dont je tairai le nom.

Pour moi, j'écoutais tout, et mis dans mon caprice
Qu'on ne devinait rien que par votre artifice.
Ainsi ce qui chez eux prenait plus de crédit
M'était aussi suspect que si vous l'eussiez dit;

2

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Quand quelqu'un s'est dérobé et s'en est fui secrètement, on dit qu'il a fait gille, parce que saint Gilles, prince du Languedoc, s'enfuit secrètement, de peur d'être fait roi. (BELLINGEN, Étymologie des proverbes français, édition de 1686.)

2 Je mis dans mon caprice ne peut signifier je mis dans ma tête, dans ma fantaisie, dans mon imagination, dans mon esprit : on n'a pas le caprice comme on a une faculté de l'âme; on peut bien avotr un caprice dans son idée, mais on n'a point une idée dans son caprice.

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