Vous offre en cette lettre un cœur tout plein de flamme. Une dame? DORANTE. CLITON. Lisez sans faire de façons : Dieu nous aime, monsieur, comme nous sommes bons; « Au bruit du monde qui vous conduisait prisonnier, j'ai « mis les yeux à la fenêtre, et vous ai trouvé de si bonne « mine, que mon cœur est allé dans la même prison que « vous, et n'en veut point sortir tant que vous y serez. Je ⚫ ferai mon possible pour vous en tirer au plus tôt. Cependant « obligez-moi de vous servir de ces cent pistoles que je vous ⚫ envoie; vous en pouvez avoir besoin en l'état où vous êtes, « et il m'en demeure assez d'autres à votre service. » (Dorante continue.) Cette lettre est sans nom. (à Lyse.) CLITON. Les mots en sont françois. Dis-moi, sont-ce louis, ou pistoles de poids? Tais-toi. DORANTE. LYSE, à Dorante. Pour ma maîtresse il est de conséquence De vous taire deux jours son nom et sa naissance; Ce secret trop tôt su peut la perdre d'honneur. DORANTE. Je serai cependant aveugle en mon bonheur? Curiosité bas, prenons toujours la bourse. Souvent c'est perdre tout que vouloir tout savoir. LYSE, à Dorante. CLITON, à Lyse. Puis-je la lui donner? Donne, j'ai tout pouvoir, Quand même ce serait le trésor de Venise. DORANTE. Tout beau, tout beau, Cliton! il nous faut.... Et voulez-vous du ciel renvoyer le secours? DORANTE. Accepter de l'argent porte en soi quelque honte. CLITON. Je m'en charge pour vous, et la prends pour mon compte. Écoute un mot. DORANTE, à Lyse Et reçois comme un prêt le don qu'elle me fait. CLITON, à part. Je suis ressuscité; prêt ou don, ne m'importe. DORANTE, à Cliton, et puis à Lyse. Écoute un mot: tu peux t'en aller à l'instant, Et vous, monsieur, songez à changer de demeure. DORANTE, à Cliton, et puis à Lyse. Ne me romps plus la tête; et toi, tarde un moment; (Dorante va écrire sur la table.) CLITON. Dirons-nous cependant deux mots de guerre ensemble? Que tout vert et rouge, ainsi qu'un perroquet, Tu n'es que bien en cage, et n'as que du caquet. Ferrer la mule, acheter quelque chose pour quelqu'un, et la lui compter plus cher qu'elle n'a coûté. CLITON. Ce ton de voix enfin avec cette parole? LYSE. Ah! c'est là que mes sens demeurent étonnés : CLITON. Je meure, ton humeur me semble si jolie, LYSE. Et tout cela de ce beau ton de voix ? Ah! si tu m'entreprends deux jours de cette sorte, Mon cœur est déconfit, et je me tiens pour morte; Si tu me veux en vie, affaiblis ces attraits, Et retiens pour le moins la moitié de leurs traits. CLITON. Tu sais même charmer alors que tu te moques. Elle n'en prendra pas, monsieur, je vous proteste. LYSE. Celle qui vous l'envoie en a pour moi de reste. CLITON. Je vous le disais bien, elle a le cœur trop bon. LYSE. Lui pourrai-je, monsieur, apprendre votre nom? DORANTE. Il est dans mon billet. Mais prends, je t'en conjure. CLITON. Vous faut-il dire encor que c'est lui faire injure? LYSE. Vous perdez temps, monsieur ; je sais trop mon devoir. CLITON. Adieu, belle railleuse. LYSE. Adieu, cher babillard', SCÈNE III. DORANTE, CLITON. DORANTE. Cette fille est jolie, elle a l'esprit gaillard. 1 S'il ne s'agissait dans cette scène que d'une femme qui a vu passer un prisonnier; qui, sans le connaître, devient amoureuse de lui; qui lui déclare sa passion en lui envoyant de l'argent, ce ne serait qu'une aventure incroyable et indécente de nos anciens romans; et ce qui n'est ni décent ni vraisemblable ne peut jamais plaire: mais cette Mélisse ne fait que son devoir en faisant une démarche si extraordinaire; elle obéit à son frère, pour lequel Dorante est en prison; elle s'égaye même en obéissant, car elle n'est point encore éprise de Dorante; elle veut à la fois le servir comme elle le doit, l'embarrasser un peu, et voir en même temps s'il est digne qu'on s'attache à lui: tout cela est à la fois noble, intéressant, et du haut comique. (V.) |