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CLITON.

J'en estime l'humeur, j'en aime le visage;

Mais plus que tous les deux j'adore son message.

DORANTE.

C'est celle dont il vient qu'il en faut estimer;
C'est elle qui me charme, et que je veux aimer.

CLITON.

Quoi! vous voulez, monsieur, aimer cette inconnue?

DORANTE.

Oui, je la veux aimer, Cliton.

CLITON.

Sans l'avoir vue?

DORANTE.

Un si rare bienfait en un besoin pressant

S'empare puissamment d'un cœur reconnaissant;
Et comme de soi-même il marque un grand mérite,
Dessous cette couleur il parle, il sollicite,

Peint l'objet aussi beau qu'on le voit généreux;
Et si l'on n'est ingrat, il faut être amoureux.

CLITON.

Votre amour va toujours d'un étrange caprice:
Dès l'abord autrefois vous aimâtes Clarice;

Celle-ci, sans la voir : mais, monsieur, votre nom,
Lui deviez-vous l'apprendre, et sitôt ?

DORANTE.

Pourquoi non?

J'ai cru le devoir faire, et l'ai fait avec joie.

CLITON.

Il est plus décrié que la fausse monnoie.

Mon nom?

DORANTE.

CLITON.

Oui. Dans Paris, en langage commun, Dorante et le Menteur à présent ce n'est qu'un ; Et vous y possédez ce haut degré de gloire, Qu'en une comédie on a mis votre histoire.

En une comédie?

DORANTE.

CLITON.

Et si naïvement,

Que j'ai cru, la voyant, voir un enchantement.

On y voit un Dorante avec votre visage;

On le prendrait pour vous; il a votre air, votre âge,
Vos yeux, votre action, votre maigre embonpoint,
Et paraît, comme vous, adroit au dernier point.
Comme à l'événement j'ai part à la peinture;
Après votre portrait on produit ma figure.
Le héros de la farce, un certain Jodelet,
Fait marcher après vous votre digne valet;
Il a jusqu'à mon nez et jusqu'à ma parole,
Et nous avons tous deux appris en même école :
C'est l'original même, il vaut ce que je vaux ;
Si quelque autre s'en mêle, on peut s'inscrire en faux;
Et tout autre que lui dans cette comédie

N'en fera jamais voir qu'une fausse copie.

Pour Clarice et Lucrèce, elles en ont quelque air :
Philiste avec Alcippe y vient vous accorder.
Votre feu père même est joué sous le masque.

DORANTE.

Cette pièce doit être et plaisante et fantasque.
Mais son nom?

CLITON.

Votre nom de guerre, LE MENTEUR '.

DORANTE.

Les vers en sont-ils bons? fait-on cas de l'auteur?

CLITON.

La pièce a réussi, quoique faible de style,

Et d'un nouveau proverbe elle enrichit la ville;
De sorte qu'aujourd'hui presque en tous les quartiers
On dit, quand quelqu'un ment, qu'il revient de Poitiers.
Et pour moi, c'est bien pis, je n'ose plus paraître.
Ce maraud de farceur m'a fait si bien connaître,
Que les petits enfants, sitôt qu'on m'aperçoit,
Me courent dans la rue, et me montrent au doigt;
Et chacun rit de voir les courtauds de boutique,

Cette tirade et toute cette scène durent plaire beaucoup en leur temps; elles rappelaient au public l'idée d'un ouvrage qui avait extrêmement réussi. Beaucoup de vers du Menteur avaient passé en proverbe ; et mème, près de cent ans après, un homine de la cour contant à table des anecdotes très-fausses, comme il n'arrive que trop souvent, un des convives, se tournant vers le laquais de cet homme, lui dit : Cliton, donnez à boire à votre maître. (V.)

Grossissant à l'envi leur chienne de musique,
Se rompre le gosier, dans cette belle humeur,
A crier après moi : Le Valet du MENTEUR!
Vous en riez vous-même !

DORANTE.

Il faut bien que j'en rie.

CLITON.

Je n'y trouve que rire, et cela vous décrie,
Mais si bien, qu'à présent, voulant vous marier,
Vous ne trouveriez pas la fille d'un huissier,
Pas celle d'un recors, pas d'un cabaret même.

DORANTE.

Il faut donc avancer près de celle qui m'aime.
Comme Paris est loin, si je ne suis déçu,
Nous pourrons réussir avant qu'elle ait rien su.
Mais quelqu'un vient à nous, et j'entends du murmure.

SCÈNE IV.

CLEANDRE, DORANTE, CLITON, LE PRÉVÔT.

CLEANDRE, au prévôt.

Ah! je suis innocent; vous me faites injure.

LE PRÉVOT, à Cléandre.

Si vous l'êtes, monsieur, ne craignez aucun mal;
Mais comme enfin le mort était votre rival,
Et que le prisonnier proteste d'innocence,

Je dois sur ce soupçon vous mettre en sa présence.
CLEANDRE, au prévôt.

Et si pour s'affranchir il ose me charger?

LE PRÉVOT, à Cléandre.

La justice entre vous en saura bien juger.
Souffrez paisiblement que l'ordre s'exécute.

( à Dorante.)

Vous avez vu, monsieur, le coup qu'on vous impute: Voyez ce cavalier, en serait-il l'auteur?

CLEANDRE, bas.

Il va me reconnaître. Ah Dieu! je meurs de peur.

DORANTE, au prévôt.

Souffrez que j'examine à loisir son visage.

(bas.)

C'est lui, mais il n'a fait qu'en homme de courage;

Ce serait lâcheté, quoi qu'il puisse arriver,

De perdre un si grand cœur quand je puis le sauver.

Ne le découvrons point.

CLEANDRE, bas.

Il me connaît, je tremble.
DORANTE, au prévôt.

Ce cavalier, monsieur, n'a rien qui lui ressemble;
L'autre est de moindre taille, il a le poil plus blond,
Le teint plus coloré, le visage plus rond,

Et je le connais moins, tant plus je le contemple.

CLEANDRE, bas.

O générosité qui n'eut jamais d'exemple!

DORANTE.

L'habit même est tout autre.

LE PRÉVOT.

Enfin ce n'est pas lui?

DORANTE.

Non, il n'a point de part au duel d'aujourd'hui.

LE PRÉVOT, à Cléandre.

Je suis ravi, monsieur, de voir votre innocence
Assurée à présent par sa reconnaissance:

Sortez quand vous voudrez, vous avez tout pouvoir :

Excusez la rigueur qu'a voulu mon devoir.

Adieu.

CLÉANDRE, au prévôt.

Vous avez fait le dû de votre office'.

SCÈNE V.

DORANTE, CLÉANDRE, CLITON.

DORANTE, à Cléandre.

Mon cavalier, pour vous je me fais injustice;

Je vous tiens pour brave homme, et vous reconnais bien; Faites votre devoir comme j'ai fait le mien.

Monsieur...

CLÉANDRE.

1 Cette scène n'est-elle pas très-vraisemblable, très-attachante? Dorante n'y joue-t-il pas le rôle d'un homme généreux? n'inspire-t-il pas pour lui un grand intérêt ? la situation n'est-elle pas des plus heureuses? ne tient-elle pas les esprits en suspens? Je doute qu'il y ait au théâtre une pièce mieux commencée. (V.)

DORANTE.

Point de réplique, on pourrait nous entendre.

CLEANDRE.

Sachez donc seulement qu'on m'appelle Cléandre,
Que je sais mon devoir, que j'en prendrai souci,
Et que je périrai pour vous tirer d'ici.

SCENE VI.

DORANTE, CLITON.

DORANTE.

N'est-il pas vrai, Cliton, que c'eût été dommage
De livrer au malheur ce généreux courage?
J'avais entre mes mains et sa vie et sa mort,
Et je me viens de voir arbitre de son sort.

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Je ne sais où j'en suis, et deviens tout confus.
Ne m'aviez-vous pas dit que vous ne mentiez plus?

DORANTE.

J'ai vu sur son visage un noble caractère,

Qui, me parlant pour lui, m'a forcé de me taire,
Et, d'une voix connue entre les gens de cœur,
M'a dit qu'en le perdant je me perdrais d'honneur.
J'ai cru devoir mentir pour sauver un brave homme.

CLITON.

Et c'est ainsi, monsieur, que l'on s'amende à Rome '?
Je me tiens au proverbe; oui, courez, voyagez;

Cliton fait fort mal de ne pas approuver un mensonge si noble, et Dorante perd ici une occasion de faire voir qu'il est des cas où il serait infâme de dire la vérité : quel cœur serait assez lâche pour ne point mentir quand il s'agit de sauver la vie et l'honneur d'un père, d'un parent, d'un ami? Il y avait là de quoi faire de très-beaux vers. (V.)

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