Et vous venez de faire un coup de grand esprit. DORANTE. Nomme-les par leur nom, dis de mes imprudences. CLITON. Envoyez vos portraits à de tels étourdis, Ils gardent un secret avec extrême adresse. C'est sa femme, vous dis-je, ou du moins sa maîtresse. Ne l'avez-vous pas vu tout changé de couleur ? DORANTE. Je l'ai vu, comme atteint d'une vive douleur, CLITON. Qu'il fera dangereux rencontrer sa colère! Et je vous tiens pour mort si sa fureur se croit; DORANTE. La chose est sans reinède; en soit ce qui pourra : Ce serait lui prêter un fort mauvais secours Que lui ravir l'honneur en conservant ses jours; D'une belle action j'en ferais une noire. J'en ai fait mon ami, je prends part à sa gloire; De servir un brave homme au prix d'un bien si cher. Et s'il est son amant? CLITON. DORANTE. Puisqu'elle me préfère, Ce que j'ai fait pour lui vaut bien qu'il me défère; Sinon, il a du cœur, il en sait bien les lois, Tandis, pour un moment trêve de raillerie, (Il prend le portrait de Mélisse.) As-tu bien autant de bonté Comme tu me fais voir de charmes? Je ne fais que me figurer Que tu te plains à cette belle, Que tu lui dis mon procédé, Sitôt que je t'eus possédé. Garde mieux le secret que moi, Daigne en ma faveur te contraindre : Te fait criminel d'innocent; Sur toi retombent les vengeances... Vous ne dites, monsieur, que des extravagances, Donnez, j'entretiendrai ce portrait mieux que vous; Qui joins les effets aux paroles, Garde pour toi les confitures, Voilà parler en homme. DORANTE. Arrête tes saillies, Ou va du moins ailleurs débiter tes folies. Je ne suis pas toujours d'humeur à l'écouter. CLITON. Et je ne suis jamais d'humeur à vous flatter; DORANTE. Si c'est là ton talent, ma faute est sans exemple. CLITON. Ne me l'enviez point, le vôtre est assez ample; DORANTE. Tais-toi; le ciel m'envoie un entretien plus doux : CLITON. Que nous apporte-t-elle ? DORANTE. Maraud, veux-tu toujours quelque douceur nouvelle? CLITON. Non pas, mais le passé m'a rendu curieux; Je lui regarde aux mains un peu plutôt qu'aux yeux. SCÈNE III. DORANTE, MÉLISSE, déguisée en servante, cachant son visage sous une coiffe; CLITON, LYSE. CLITON, à Lyse. Montre ton passe-port. Quoi! tu viens les mains vides! (à Dorante.) Ainsi détruit le temps les biens les plus solides; Et moins d'un jour réduit tout votre heur et le mien, Des louis aux douceurs, et des douceurs à rien. LYSE. Si j'apportai tantôt, à présent je demande. Que veux-tu? DORANTE. LYSE. Ce portrait, que je veux qu'on me rende. DORANTE. As-tu pris du secours pour faire plus de bruit? LYSE. J'amène ici ma sœur, parce qu'il s'en va nuit. DORANTE. Quoi! ta maîtresse sait que tu me l'as laissé ? Et si forte, Que je n'ose rentrer si je ne le rapporte : DORANTE. Écoute; il n'est pour toi chose que je ne fisse : Qu'il est l'unique bien où mon espoir se fonde', LYSE. Je ne veux point de vous, ni de vos récompenses. DORANTE. Tu me dédaignes trop. LYSE. CLITON. Tu l'offenses. Mais voulez-vous, monsieur, me croire et vous venger? Rendez-lui son portrait pour la faire enrager. LYSE. O le grand habile homme! il y connaît finesse. Et si c'est sans raison que j'ai tant d'épouvante. DORANTE. Tu verras que ta sœur sera plus obligeante; LYSE. N'importe, parlez-lui; du moins vous saurez d'elle DORANTE, à Mélisse. Son ordre est-il si rude? MÉLISSE. Il est assez exprès; Mais, sans mentir, ma sœur vous presse un peu de près : Quoi qu'elle ait commandé, la chose a deux visages. CLITON. Comme toutes les deux jouent leurs personnages ! Souvent tout cet effort à ravoir un portrait N'est que pour voir l'amour par l'état qu'on en fait. Et de force ou de gré je saurais le garder. Si vous l'aimez, monsieur, croyez qu'en son courage Je l'entreprends pour vous, et vous répondrai bien DORANTE. O ciel! et de quel nom faut-il que je te nomme? CLITON. Ainsi font deux soldats logés chez le bonhomme : |